Cemac : comment sortir de la crise ?

L’aide du FMI ne suffira pas à relancer les économies de la zone. Nouvelles sources de financement, recettes fiscales, diversification… JA fait le tour des réformes à engager d’urgence pour renouer avec la croissance.

Siège de la Communauté, à Bangui. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Siège de la Communauté, à Bangui. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 2 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

«Le chemin est encore long, mais les signes d’un regain de croissance sont bien visibles. » Paul Tasong, commissaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) chargé des politiques économique, monétaire et financière, se veut optimiste. D’après cet économiste camerounais, les mesures d’urgence mises en œuvre depuis la réunion de crise de Yaoundé, en décembre 2016, « devront permettre de porter le taux de croissance de la Cemac à 0,5 % en 2017, contre une récession de – 0,4 % enregistrée en 2016 ».

Près de dix mois après que les chefs d’État de la zone se sont engagés à mener des réformes pour redresser leurs comptes publics, quatre pays – le Cameroun, le Gabon, la Centrafrique et le Tchad – sur les six membres de la Communauté ont conclu un programme d’ajustement avec le FMI et bénéficient de son appui budgétaire. Au total, l’institution de Bretton Woods devrait décaisser en leur faveur quelque 1 044 milliards de F CFA (près de 1,6 milliard d’euros) d’ici à 2020.

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La première tranche – 383 milliards de F CFA – a été versée cette année et a eu mécaniquement un effet positif sur les réserves de change, éloignant ainsi le spectre de la dévaluation du franc CFA de cette zone. « La mise en œuvre de l’ensemble des mesures d’urgence a permis de diminuer le rythme de déperdition de ces réserves de change, affirme Paul Tasong. Celui-ci est passé de 267 milliards de F CFA en moyenne mensuelle en 2016 à 55,3 milliards au cours des cinq premiers mois de 2017. »

Le chemin du redressement

Le Cameroun, le Gabon, le Tchad ou encore la Centrafrique ont certes retrouvé un peu plus de marge, mais rien n’est encore gagné. Bien au contraire. « D’abord, parce qu’aucune véritable sortie de crise n’est envisageable tant que la Guinée équatoriale et le Congo, des ténors de la zone, n’auront pas retrouvé le chemin du redressement », estime une source institutionnelle.

D’après les prévisions, ces deux économies connaîtront une nouvelle récession en 2017, pour la cinquième année consécutive en Guinée équatoriale et la deuxième au Congo. Dans ce dernier pays, le FMI a estimé début 2017 que le ralentissement de la croissance s’aggravait, malgré l’entrée en production, mi-mars, du nouveau champ pétrolier de Moho Nord. La Banque centrale de la zone (BEAC) soutient cependant que la contraction du PIB sera moins forte cette année (– 1,9 %) qu’en 2016 (– 2,8%).

La Guinée équatoriale est entrée en négociation avec l’institution de Bretton Woods afin de conclure, avant la fin de l’année, un accord pour la mise en place d’un programme d’ajustement structurel et de bénéficier d’un soutien financier. Le Congo devrait lui emboîter le pas prochainement. Cela devient urgent : le retard pris par ces deux pays pour solliciter l’aide du FMI a commencé à agacer certains voisins, faisant craindre l’apparition de tensions politiques entre les États membres. Selon notre source institutionnelle, « le Gabon et le Cameroun estiment qu’il est hors de question que le Congo et la Guinée équatoriale profitent du redressement des réserves de change sans avoir à passer par la case des ajustements structurels du FMI ».

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Créer une BRVM d’Afrique centrale

Alors que le Gabon a levé, en août, 200 millions de dollars à travers un eurobond, le Cameroun, qui prépare lui aussi une émission obligataire, mise plutôt sur son marché local. La Société générale du Cameroun, Afriland First Bank et Ecobank Development Corporation (EDC) sont en lice pour arranger l’opération. Celle-ci doit permettre au pays de lever près de 130 milliards de F CFA (près de 200 millions d’euros) pour financer des projets prioritaires, dont la liste est en cours de validation à la présidence. Et de couvrir en partie le déficit budgétaire de 2017, qui devrait s’établir à 617 milliards de F CFA.

Cette démarche visant à lever sa dette en monnaie locale (donc non soumise aux risques de change) vient rappeler aux pays de la Cemac la nécessité de s’entendre pour créer enfin un marché financier régional dynamique, à l’instar de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) – la place commune de l’Uemoa, zone CFA ouest-africaine –, en fusionnant la Bourse de Douala et celle de Libreville.

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À court terme

Mais, même lorsque tous les pays auront conclu un programme avec le Fonds, seul le tiers du chemin aura été parcouru. Et encore… Car l’aide de celui-ci n’aura d’effet qu’à court terme et ne couvrira qu’une partie des montants nécessaires pour combler les déficits budgétaires des États de la zone. D’après les chiffres fournis par la commission de la Cemac, les quatre pays qui ont déjà conclu un programme avec l’institution dirigée par la française Christine Lagarde auront encore besoin de plus de 2 600 milliards de F CFA pour rétablir l’équilibre dans leurs finances publiques. Un chiffre qui, pour la Guinée équatoriale et pour le Congo, est estimé à 2 345 milliards de F CFA.

Le recours aux marchés financiers internationaux aura ses limites. La dette augmente trop vite

Pour relancer définitivement leurs machines économiques, les États de la Cemac vont donc devoir trouver d’autres sources de financement. Ils ne pourront pas compter sur le pétrole. S’il constitue leur principale source de revenus, son prix devrait rester durablement bas.

Le Gabon a levé avec succès un emprunt obligataire de 200 millions de dollars sur les marchés financiers internationaux, et le Cameroun s’apprête à solliciter les investisseurs nationaux et régionaux. Quant au Tchad, il a réussi, début septembre, à mobiliser sous forme de promesses de prêts environ 5 milliards d’euros. « Mais le recours aux marchés financiers internationaux aura ses limites en raison de la dette [celle-ci doit être restructurée pour des pays comme la Centrafrique, le Congo et le Tchad], qui augmente vite. Et le financement des bailleurs de fonds internationaux ne suffira pas », prévient l’économiste d’une banque d’affaires.

Cadastres

Après avoir réduit drastiquement leurs dépenses publiques, les États doivent désormais trouver les moyens d’accroître leurs recettes fiscales. « Cela va prendre du temps. Il est donc urgent de commencer à traiter le problème. Il faut mettre à niveau les différents services des impôts, élargir l’assiette fiscale de ces économies en réfléchissant à un moyen d’imposer le secteur informel, en mettant en place des cadastres ou encore la TVA », suggère notre banquier d’affaires.

De même, la diversification de l’économie, toujours prônée mais rarement engagée, est plus que jamais devenue impérative. L’agriculture doit à nouveau occuper une place plus importante dans la création de richesses. L’exemple du Gabon, qui a multiplié ces dernières années les initiatives en obligeant les exploitants forestiers à transformer localement les grumes de bois avant toute exportation et en développant la production d’huile de palme, peut être suivi par le Congo et la Guinée équatoriale.

Cette dernière et son voisin direct, le Cameroun, tentent par ailleurs de faire émerger une filière gazière pour combler la baisse de leurs productions pétrolières. Et le Tchad doit, quant à lui, relancer sa filière coton. Alors que cette activité représentait près de 12 % du PIB avant la découverte du pétrole dans son sous-sol, elle n’en pèse désormais plus que 2 %. Et la production est descendue à environ 127 000 tonnes en 2016-2017 alors même qu’elle avait atteint un record de 263 000 tonnes vingt ans plus tôt.

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