Cacao : comment la filière camerounaise cherche à sortir de la crise

Yaoundé veut soutenir un secteur touché de plein fouet par la chute des cours mondiaux. Mais le Cameroun, qui vient de conclure un accord d’aide avec le FMI, va devoir marcher sur des œufs.

Transport de fèves de cacao à Kumba, dans la région du Sud-Ouest. © Ann Johansson/Corbis via Getty Images

Transport de fèves de cacao à Kumba, dans la région du Sud-Ouest. © Ann Johansson/Corbis via Getty Images

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Publié le 27 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Séchage des fèves de cacao à la Finca Sampaka, près de Malabo. © Vincent Fournier/Jeune Afrique
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Crise du cacao : une filière en pleine restructuration

Production, commercialisation, financement, débouchés… La récente chute des cours mondiaux du cacao astreint les professionnels du secteur à repenser l’organisation de leur filière.

Sommaire

Quarante mesures pour ranimer une filière en état de choc. Le 5 juin, le Conseil interprofessionnel du cacao et du café (CICC), qui regroupe tous les acteurs de l’économie cacaoyère (producteurs, usiniers, conditionneurs, acheteurs, transformateurs et exportateurs), a remis la synthèse de ses propositions au ministre camerounais du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana. Les décisions les plus urgentes seront annoncées en juillet, lors du lancement de la campagne cacaoyère 2017-2018, après les arbitrages de la primature et de la présidence.

Pour rester à l’équilibre et payer nos charges d’exploitation, nous devons vendre les fèves entre 1 000 et 1 200 F CFA le kilo

La dégringolade du cours mondial, de près de 50 % depuis la mi-août 2016, plonge les producteurs camerounais dans le désarroi. « La vente de dix sacs de cacao rapportait 1 million de F CFA [1 524 euros] il y a un an. Il faut seize sacs aujourd’hui pour obtenir la même somme », explique Emmanuel Alphonse Nguilé, planteur dans le département du Mbam-et-Inoubou, dans le centre du pays. Selon les dernières estimations du CICC, le prix moyen du kilogramme pour les planteurs est passé de 1 400 F CFA au début de la dernière campagne à 900 F CFA aujourd’hui. Il descend même à 650 ou 700 F CFA par endroits. Or, « pour rester à l’équilibre et payer nos charges d’exploitation, nous devons vendre les fèves entre 1 000 et 1 200 F CFA le kilo », estime un producteur.

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Découragement des planteurs

Pour faire face aux échéances de remboursement de certains emprunts, certains louent leurs plantations à des personnes inexpérimentées, qui ne sauront pas les soigner. « Il faut craindre qu’un cycle de chute des prix et de baisse de la production (due au mauvais entretien du verger, ce qui affecte le rendement de 400 kg à l’hectare, déjà au plus bas) se mette progressivement en place », observe notre planteur.

L’économie cacaoyère est un enjeu politique de taille à un an de la présidentielle.

Le Cameroun, cinquième producteur mondial, s’était donné pour ambition en 2014 d’atteindre les 600 000 tonnes en 2020 en plantant 400 000 nouveaux hectares – un objectif à présent qualifié d’« utopique » par le CICC, faute de plants en quantité suffisante. Mais la production évolue en dents de scie depuis une décennie, et Yaoundé redoute désormais que les planteurs ne cèdent au découragement. La menace est d’ailleurs perceptible. Promoteur d’une nouvelle fève, dite hybride, Emmanuel Nguilé note également qu’à peine une douzaine de planteurs se sont approvisionnés ces derniers mois auprès de lui pour étendre leurs plantations. On est loin de la centaine de confrères qu’il recevait annuellement.

Le risque est d’autant plus important que la fève constitue la deuxième source en devises du pays. En 2015, elle représentait 19 % des exportations – derrière les hydrocarbures (44 %) – et a rapporté 454 milliards de F CFA de revenus. L’or brun mobilise plus de 600 000 emplois directs et indirects, et plus de 6 millions de Camerounais dépendent de l’économie cacaoyère. C’est un enjeu politique de taille à un an de la présidentielle.

Fonds de garantie

Luc Magloire Mbarga Atangana tire donc la sonnette d’alarme le 4 mai et demande aux acteurs de formuler des pistes pour sortir de cette mauvaise passe. Ont notamment été proposés l’augmentation de la subvention sur les intrants et le rééchelonnement des dettes contractées par les cacaoculteurs lorsque les cours mondiaux étaient à leur sommet.

Les gouvernements africains ont pris la mauvaise habitude de détourner chaque mécanisme de stabilisation des prix mis en place en utilisant les fonds à d’autres fins

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Depuis la disparition dans les années 1980 de la ristourne, une retenue effectuée sur le prix du kilogramme et redistribuée aux planteurs en cas de retournement de la conjoncture, ces derniers ne disposent plus de coussin de sécurité. Le CICC milite donc pour le renforcement du Fonds de garantie pour les groupements de producteurs. Cependant l’idée n’emporte pas tous les suffrages. « Les gouvernements africains ont pris la mauvaise habitude de détourner chaque mécanisme de stabilisation des prix mis en place en utilisant les fonds à d’autres fins, soutient un analyste. Rien ne prouve que ce ne sera pas le cas cette fois encore, d’autant que la conjoncture économique n’est pas favorable. »

Au sein du Groupement des exportateurs cacao/cafés (Gex), on se plaint d’une augmentation continue des charges depuis 2014. L’organisation suggère, pour soutenir l’effort de relance de la filière, de ramener à 100 F CFA la redevance à l’exportation, passée de 54 à 150 F CFA le kilogramme (+ 177,78 %).

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Plan Marshall

Si le gel demandé de certaines charges au port de Douala est de l’ordre du possible, la mise en place d’une fiscalité spécifique aux filières du cacao et du café sera plus ardue. « La réduction de moitié du minimum de perception prélevé sur le chiffre d’affaires mensuel est impossible à satisfaire, estime un analyste. Cette mesure touche tous les secteurs, et il n’est pas question de faire des exceptions. Le FMI, qui vient de signer un programme avec le Cameroun, pourrait difficilement l’accepter. »

À cela s’ajoute la décote de l’ordre de 200 à 250 livres sterling (227 à 283 euros) que subit l’origine Cameroun depuis près de trois ans à Londres, du fait d’une qualité moyenne de la fève. « Les trois facteurs que sont la chute du prix sur le marché international, le différentiel négatif appliqué à l’origine Cameroun et l’augmentation des charges au plan national, pris individuellement ou concomitamment, induisent nécessairement la baisse du prix payé au planteur », tranche le Gex, qui plaide pour un « véritable plan Marshall » pour le secteur. Mais Yaoundé a-t‑il seulement les moyens d’une politique aussi ambitieuse ?

Transport de fèves de cacao à Kumba, dans la région du Sud-Ouest

L e Cameroun a transformé 30 000 tonnes de fèves au terme de la campagne 2015-2016. À peine 11 % de sa production com­mercialisée (270 000 t) absorbés par le chocolatier Chococam (Tiger Brands) et le broyeur Sic Cacaos (Barry Callebaut) implantés depuis six décennies, alors que le plan de relance de la filière préconise un taux de transformation de 40 %.

Modeste producteur, le Cameroun peine à attirer de grands transformateurs échaudés par l’absence de politique fiscale incitative, par une disponibilité erratique de l’énergie et par des infrastructures de moindre qualité. Pour changer la donne, le CICC propose d’octroyer des crédits à taux concessionnels aux initiatives locales.

Le gouvernement encourage l’entrée de locaux, comme Fapam Industry (25 000 t). Sic Cacaos a fait passer ses capacités de 35 000 à 50 000 t. Dans la région de l’Ouest, Neo Industry, avec le concours du suisse Bühler, investit 27 milliards de F CFA (41 millions d’euros) dans une usine qui entrera en production durant le premier semestre de 2018, à Kekem. Sa capacité de broyage annuelle, de 32 000 t au départ, devrait doubler après trois ans d’activité.

Mais le chemin à parcourir est encore long…

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