Diaspora : « black » clichés à la télé française

L’émission Enquête exclusive, sur M6, promettait de mettre en lumière les succès de la diaspora africaine en France. De nombreux téléspectateurs se sont émus d’un florilège d’idées reçues…

 © GLEZ

Publié le 29 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

L’Afrique n’était plus censée se faire d’illusions sur le traitement médiatique occidental du continent. Lorsque les organes de presse du Nord se nourrissent du Sud, c’est généralement pour régurgiter aussitôt des litanies misérabilistes teintées de maladies moyenâgeuses ou de dérives politico-militaires incurables.

De temps en temps surgit un afro-optimisme tout aussi artificiel, tant il fleure le publireportage fardé ou, finalement, l’afrocentrisme de journalistes de la diaspora auxquels on sous-loue une petite fenêtre médiatique. Fallait-il s’attendre à autre chose lorsque la chaîne française M6 décida de s’attarder sur l’Afrique, en se rendant à peine sur place ?

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Un jaillissement de lieux communs

En ce dimanche 14 mai, jour d’investiture du nouveau président français, la diaspora subsaharienne aurait sans doute aimé se voir conter la success-story de Sibeth Ndiaye, née sénégalaise et conseillère en communication d’­Emmanuel Macron. Mais c’est à Bernard de La Villardière, globe-trotteur sensationnaliste, que fut confiée l’africanisation des antennes dominicales de M6.

Dès la bande-annonce de « Black, chics et festifs : secrets et succès des Africains de Paris », le ton est donné, sur l’air désuet du Yéké Yéké, de Mory Kanté. Les expatriés sudistes se muent en « blacks » ayant biberonné aux marques de luxe, adeptes d’une superficialité aussi nombriliste que risible, adulescents « enjaillés » qui n’ont cure de leurs parents restés au village. Même lorsque le teaser évoque « l’incroyable succès » de la « blackgeoisie » (bourgeoisie black), on subodore un jaillissement de lieux communs…

Si le reportage manque la promesse de son pitch verbeux, il tient en revanche celle de l’enfilade de tartes à la crème : une pincée de sapologues qui n’attendrissent plus depuis le tube de Maître Gims Sapés comme jamais, une dose de salon de coiffure qui fleure bon le communautarisme figé (une Africaine coiffe d’autres Africaines), un diplomate bling-bling adepte de soirées people dont on présume que l’enrichissement – forcément louche – est irrigué par les biens mal acquis.

Cinq minutes sur les entrepreneurs et cinquante-cinq sur les clichés

Quelque exemple d’intégration ­authentique ? Point. Des incarnations de cette « nouvelle génération ambitieuse » formant l’élite de la communauté ? Pas davantage…

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Même largement habitués aux us et coutumes de l’émission, les réseaux sociaux afros sont froissés. « Cinq minutes sur les entrepreneurs et cinquante-cinq sur les clichés », se désespère un twittos. Un autre dénonce les évocations déjà vues d’une méthode de tissage en spirale, la vacuité d’une Miss naïve, la captation « rare » d’une négociation de dot ou la trajectoire d’un DJ, sempiternelles réductions de la vie des « Noirs » aux activités physico-musicales et à la fortune que celles-ci font miroiter. Un troisième internaute souligne la cerise sur le gâteau : le portrait d’un pasteur évangélique dont le business florissant offre l’ultime caricature d’une superstition exploitable.

Les écoles de journalisme ne serinent-elles pas qu’on ne fait pas d’audience avec les trains qui arrivent à l’heure ?

Où sont les intellectuels ? Il serait faux d’affirmer qu’aucune émission littéraire française n’en invite, et tendancieux de soutenir que l’horaire et la chaîne d’Enquête exclusive s’y prêtaient. Les écoles de journalisme ne serinent-elles pas qu’on ne fait pas d’audience avec les trains qui arrivent à l’heure ? On entend déjà Bernard de La Villardière arguer que, toutes choses étant égales par ailleurs, le succès d’une Miss est tout de même un succès.

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D’ailleurs, sur un réseau de partage de vidéos qui a phagocyté l’émission le soir de sa diffusion, l’internaute Marcel lance un « Fier de voir les Africains réussir », tandis qu’Yves s’enthousiasme : « Black is beautiful. » Y aurait-il un premier degré qui flatte les téléspectateurs distraits et un second qui échappe aux gardiens boudeurs de la fierté black ?

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