« Israël coupable du crime d’apartheid » : le rapport qui a coûté son poste à une secrétaire générale adjointe de l’ONU

La Jordanienne Rima Khalaf, secrétaire générale adjointe de l’ONU, vient de claquer la porte. Elle avait refusé l’ordre de sa hiérarchie de retirer un rapport accusant Israël d’apartheid.

Le 17 mars, à Beyrouth, la diplomate Rima Khalaf a annoncé sa démission. © Muhammed Ali Akman/Anadolu Agency

Le 17 mars, à Beyrouth, la diplomate Rima Khalaf a annoncé sa démission. © Muhammed Ali Akman/Anadolu Agency

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 29 mars 2017 Lecture : 3 minutes.

Son insoumission lui aura valu la plus haute décoration de l’Autorité palestinienne. Mais aussi la malédiction d’Israël. Le 17 mars, la Jordanienne Rima Khalaf, secrétaire générale adjointe de l’ONU et chef, à Beyrouth, de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (Cesao), refusait de céder face à son supérieur, António Guterres.

Je suis incapable d’exécuter cet ordre en bonne conscience.

Le secrétaire général de l’ONU, en fonction depuis janvier, avait enjoint à cette diplomate chevronnée de 63 ans de retirer du site de la Commission un rapport publié quarante-huit heures plus tôt, lequel concluait à la mise en œuvre par Israël de pratiques constitutives du crime d’apartheid. « Ce dilemme ne peut être résolu que par mon départ, pour permettre à quelqu’un d’autre d’exécuter un ordre que je suis incapable d’exécuter en bonne conscience », expliquera Rima Khalaf dans sa lettre de démission.

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Une erreur de procédure

« Il ne s’agissait pas du contenu [du rapport] », plaide le porte-parole d’António Guterres, invoquant plutôt un manquement à la procédure – le secrétaire général n’ayant pas été consulté sur cette publication. « Aucun de ceux qui ont attaqué le rapport n’a dit un mot à propos de son contenu », relève pourtant Rima Khalaf. Sur le site du Cesao, la page présentant le rapport est restée, mais le lien vers le texte accusateur – entre-temps reproduit ailleurs – n’est plus actif.

La donne ayant changé à Washington, António Guterres ne veut pas perdre trop de financements.

« Elle occupait un poste très haut placé. Elle avait donc l’autorité requise pour publier ce rapport sans forcément avoir à en référer », explique Chloé Maurel, auteure d’Une brève histoire de l’ONU au fil de ses dirigeants (éd. du Croquant, 2017). Des motifs plus pressants auraient-ils poussé António Guterres à censurer le rapport, comme le suggère Rima Khalaf dans sa lettre de démission ?

« D’une part, Donald Trump a fait pression sur l’ONU en annonçant une réduction de la contribution américaine [à hauteur du quart du budget global]. D’autre part, il veut rompre avec la politique israélienne d’Obama, dont le secrétaire d’État, John Kerry, avait évoqué “un risque d’apartheid”, décrypte Chloé Maurel. À la fin de 2016, de manière inédite, ce dernier s’était d’ailleurs abstenu de mettre son veto à une résolution condamnant la politique de colonisation des territoires palestiniens. La donne ayant changé à Washington, Guterres ne veut pas perdre trop de financements. »

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Crime contre l’humanité

Explosif, le document controversé s’intitule « Pratiques israéliennes envers le peuple palestinien, et la question de l’apartheid ». Sa conclusion : « Sur la base d’une recherche académique et de preuves accablantes, ce rapport établit qu’Israël est coupable du crime d’apartheid. » Si Rima Khalaf a supervisé cette première – et peut-être dernière – publication d’une série intitulée « La Palestine et l’occupation israélienne », elle n’en est toutefois pas l’auteure.

 L’objectif central d’Israël vise à la domination raciale.

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C’est Richard Falk et Virginia Tilley, deux universitaires spécialistes du droit international, experts de la question israélo-palestinienne, qui ont mené l’enquête à la demande des États membres de la Cesao. Leur rapport, étayé par une multitude d’études de cas, est implacable. Ils y affirment « établir au-delà du doute » que l’« objectif central » d’Israël vise à la domination raciale – ce qui est constitutif du crime contre l’humanité.

Au-delà des tensions qu’elle a provoquées à l’ONU, l’affaire Khalaf trahit la nervosité des dirigeants israéliens vis-à-vis de la justice internationale. Et leur irritation face aux parallèles régulièrement établis avec l’Afrique du Sud, qu’il s’agisse de surnommer le prisonnier Marwane Barghouti « le Mandela palestinien » ou d’appeler aux mesures de boycott, au désinvestissement et aux sanctions. Ce que recommandait aussi le rapport censuré.

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