Maroc : à l’institut Al Mowafaqa, protestants et catholiques s’intéressent à l’Islam

Créé en 2014, l’institut Al Mowafaqa, à Rabat, accueille des étudiants en théologie chrétienne, majoritairement subsahariens. Et les forme aussi au dialogue interreligieux. Reportage.

Institut Al-Mowafaqa © institut al mowafaqa

Institut Al-Mowafaqa © institut al mowafaqa

CRETOIS Jules

Publié le 21 février 2017 Lecture : 4 minutes.

Il est midi. Les étudiants sortent de classe. Jacob, un Guinéen approchant la trentaine, discute avec un condisciple français à peu près du même âge. Le premier est protestant et officie déjà comme pasteur à Mohammedia. Le second est catholique et s’apprête à entrer dans l’ordre des franciscains. Nous sommes à Rabat, à l’institut Al Mowafaqa, un lieu rare de formation universitaire œcuménique qui accueille protestants et catholiques.

Inauguré en 2014, l’établissement a vu le jour pour répondre aux besoins des églises et des temples face au nombre croissant de chrétiens présents sur le sol marocain. Dynamique migratoire oblige, ils viennent du Congo, du Mali, du Burkina Faso et d’autres pays subsahariens.

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Ouverture sur l’islam

Financé par des temples protestants et des églises catholiques locaux, le centre propose une licence en théologie en bonne et due forme, dont le programme est en partie calqué sur celui de ses universités partenaires à Strasbourg et à Paris, ainsi qu’une formation plus spécialisée et plus courte à l’intention des chercheurs.

Les médias parlent beaucoup de l’islam, mais on trouve aussi de nombreux chrétiens qui prêchent ou avalent n’importe quoi.

En 2014, le président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), Driss El Yazami, insistait déjà sur le besoin de transparence pour ne pas laisser trop d’espace aux informelles « églises de maison ». Un étudiant d’Afrique centrale concède en effet de but en blanc : « En ce moment, les médias parlent beaucoup de l’islam, mais on trouve aussi de nombreux chrétiens qui prêchent ou avalent n’importe quoi, surtout quand ils ne sont pas encadrés ou sont en situation de minorité, comme c’est le cas au Maghreb. L’intolérance existe partout. »

Un lieu de dialogue

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Mais, très vite, le contexte marocain a apporté une touche originale à cet espace déjà rare en soi. « De lieu de dialogue entre chrétiens, l’institut est très vite devenu un lieu de dialogue tout court, avec l’islam notamment », explique Bernard Coyault, ancien pasteur, anthropologue et directeur de l’institut. Ici, outre l’hébreu et le grec, obligatoires pour tout étudiant en théologie chrétienne, les deux promotions d’une trentaine d’élèves apprennent l’arabe classique. Yelins Mahtat, le discret mais passionné professeur d’arabe, sourit : « Les étudiants ont appris par cœur la fatiha et quelques autres versets populaires. »

Cette ouverture du centre vers l’islam fait l’unanimité parmi les élèves. « Vivre dans une bulle chrétienne, ce n’est pas possible et c’est même dangereux », confie l’un d’eux. Pour Mohamed Sghir Janjar, docteur en anthropologie et directeur adjoint de la Fondation du roi Abdul-Aziz de Casablanca, qui donne occasionnellement des cours à Al Mowafaqa, « le Maroc est devenu une terre d’accueil pour une population subsaharienne dont les membres baignent souvent dans un protestantisme évangélique enthousiaste, voire fondamentaliste par certains aspects. La majorité de ces personnes sont appelées à rester longtemps dans le pays. Il est donc dans l’intérêt de tous qu’elles se familiarisent avec la culture et la religion locales ».

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« Je me sens ici comme au centre de quatre cercles : africain, arabe, islamique et chrétien », s’enthousiasme Bibiane, une franciscaine congolaise installée au Maroc depuis 1992 et qui a fait vœu de pauvreté et de chasteté. Missionnée par sa congrégation et en accord avec les autorités marocaines, elle est kinésithérapeute à l’hôpital public de Midelt, après avoir été en poste dans un orphelinat de Rabat et dans un centre de santé à Ouarzazate.

Ensemble face au terrorisme

À Midelt, elle côtoie le frère Jean-Pierre, seul survivant du groupe des moines de Tibhirine. « Je ne sais pas si ce qu’on fait ici peut empêcher cela, poursuit Bibiane, mais l’idée est là : favoriser le dialogue, la compréhension, le pardon et l’amour de son prochain. » De fait, l’encadrement d’une minorité chrétienne en terre musulmane comme le dialogue interreligieux en terre subsaharienne sont des missions qui ne pouvaient rester longtemps déconnectées des réalités du moment.

« La guerre au Mali, les violences au Cameroun… Tout cela a aiguisé notre travail, confirme Coyault. Les élèves eux-mêmes sont demandeurs, ils posent des questions sur Boko Haram, le terrorisme… » La direction a d’ailleurs fait venir des enseignants de tout le continent – dont des intervenants arrivés de Tombouctou, qui ont fait face sur le terrain à la violence religieuse – pour parler de sujets chauds.

Une institution saluée par le pape

L’institut a même accueilli un colloque, fin 2016, « Afrique et radicalités religieuses ». La Tunisienne Olfa Youssef posait la question « Le Coran permet-il la violence ? », tandis que le tidjane sénégalais Cherif Sidi Brahim Tidjani sondait les possibilités pour une confrérie soufie de résister aux menaces de groupes extrémistes. Le programme a visiblement conquis. Aujourd’hui, des églises ouest-africaines envoient des jeunes suivre le cursus court de l’institut.

Le rôle d’Al Mowafaqa a été salué par le pape lui-même lors d’un concile en 2015, tandis que les autorités locales voient d’un très bon œil ses activités, même si l’institut se garde pour le moment d’accueillir des étudiants marocains dans un pays où le prosélytisme chrétien peut être sévèrement puni. « Comme le dit le dicton marocain, l’hôte donne le meilleur et l’invité n’exige rien », plaisante Coyault. Mais il se chuchote que la Rabita Mohammedia des oulémas, une structure officielle, pourrait demander à l’institut d’aider des religieux marocains musulmans à découvrir la théologie chrétienne. Le dialogue interreligieux est plus que jamais à l’ordre du jour.

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