Ces étudiants africains qui choisissent l’Inde

Formation en anglais, frais de scolarité abordables, matériel dernier cri… Les universités indiennes attirent de plus en plus d’étudiants africains. Certains réalisent leur rêve, d’autres tombent de haut. Enquête.

Des étudiants regardent les résultats de leurs examens. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Des étudiants regardent les résultats de leurs examens. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Publié le 4 janvier 2017 Lecture : 6 minutes.

«Je rêvais d’étudier en France »… Attablé dans une cafétéria, Armand Tchinda se remémore les raisons qui l’ont amené à s’installer finalement en Inde. « Après avoir été admis dans une école d’ingénieurs parisienne en 2009, j’avais entamé toutes les démarches pour obtenir un visa, en vain », se souvient ce Camerounais de 28 ans. À l’époque, très affecté par ce refus, il se résigne à étudier le génie électrique à Yaoundé.

« Les professeurs étaient compétents. Hélas, nous n’avions que quelques équipements très basiques. Or, la pratique est dix fois plus utile que la théorie », explique-t-il. Un ami lui parle alors de son expérience en Inde. Séduit par les coûts de formation et fasciné par la réussite économique de ce pays, le jeune homme multiplie stages et petits boulots pendant deux ans pour réunir un peu plus de 1 000 euros.

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De quoi payer son visa et les frais d’inscription de la première année de licence à la Lovely Professional University, un établissement privé situé dans l’État du Punjab, à plus de 300 km de New Delhi.

Diversité du système de formation

À l’instar d’Armand Tchinda, les jeunes Africains sont de plus en plus nombreux à prendre la direction de l’Inde : ils étaient 10 664 durant l’année universitaire 2014-2015, contre moins de 7 000 en 2011-2012, selon le ministère indien de l’Enseignement supérieur. Si les Soudanais et les Nigérians sont les plus représentés, les francophones, dont plus de 800 ressortissants des deux Congos et plus de 200 Ivoiriens, se laissent également tenter. La plupart viennent étudier l’informatique, l’ingénierie ou le management, domaines dans lesquels l’Inde s’est bâti une solide réputation.

Dans un pays où la majorité des établissements relèvent du secteur privé, l’éducation est un véritable business. Une myriade d’instituts de formation, plus de 760 universités, près de 40 000 collèges universitaires (qui vont jusqu’à la licence et sont rattachés administrativement à une université publique) se livrent une concurrence effrénée. Certaines écoles redoublent d’ardeur pour recruter leurs étudiants.

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C’est le cas de l’université de Sharda (à une trentaine de kilomètres de New Delhi). Publicités à la télévision, spots à la radio, présence dans les salons étudiants à travers un réseau d’agents sur le continent… Pour attirer de nouveaux élèves, cette université dépense chaque année près de 300 000 euros. Une méthode qui porte ses fruits : 10 % de ses 18 000 étudiants viennent de l’étranger, dont plus de la moitié d’Afrique.

Un coût plus attractif dans les établissements publics

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Walter Simbi, un Congolais de Lubumbashi, y suit un master en finance dont les frais d’inscription s’élèvent à 5 700 euros par an. « Ça serait le double à Londres, sans parler du coût de la vie », rappelle ce francophone de 23 ans pour qui il était « important de suivre une formation en anglais ». Une somme qui reste élevée pour de nombreux étudiants, d’autant que leur visa ne les autorise pas à travailler.

Les universités publiques, parfois plus performantes, pratiquent des tarifs moins prohibitifs. Mais elles sont plus discrètes dans leur recrutement. Ainsi, l’université Jawaharlal-Nehru, l’une des meilleures du pays et dont les frais d’inscription varient de 95 à 800 euros par semestre, ne fait aucune publicité. « Si c’était à refaire, je choisirais un établissement public. Quand je me suis décidé, je manquais d’informations », regrette Marc-Lionel Mgamabi, un ancien étudiant rentré au Cameroun.

Attention aux établissements factices !

Un manque d’information qui peut coûter cher. Car les universités réputées ne sont pas les seules à « draguer » les Africains. Certains ont mordu à l’hameçon de centres peu scrupuleux. Comme Walter Simbi en 2011. À l’époque, il s’inscrit dans une école à New Delhi sur les conseils d’une connaissance. Dès son arrivée, la déception est immense. « J’avais l’impression d’être dans un cybercafé, les salles étaient minuscules et il n’y avait que peu d’ordinateurs », se souvient-il. Il y restera trois mois. Une mésaventure qui lui aura coûté une année entière de frais d’inscription, soit près de 1 000 euros.

Hermas Ndala, un Brazzavillois de 22 ans, a lui aussi suivi les conseils d’un « ami ». En 2013, il entre dans un « collège universitaire » qu’il croit reconnu. Ce n’est qu’après avoir passé les examens du premier semestre qu’il se rend compte que ledit collège n’est affilié à aucune université et n’est donc pas en mesure de délivrer de diplômes. Il est tombé sur ce que l’on qualifie, sur place, de fake universities (« fausses universités »).

Lutter contre « le laisser faire ambiant »

« L’Inde a les avantages de ses inconvénients : il est facile de venir y étudier, mais le laisser-faire ambiant ne permet aucun recours en cas de déconvenue », prévient Jean-Joseph Boillot, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII, à Paris) et auteur de nombreux ouvrages sur l’Inde. Comme Walter et Hermas, bien d’autres Africains ont naïvement fait confiance à certains de leurs compatriotes, qu’ils soupçonnent a posteriori d’avoir agi dans l’intérêt de certains centres de formation…

Afin que l’expérience des aînés bénéficie aux générations futures, l’Association des étudiants africains en Inde travaille à une campagne d’information. Avec un double objectif : éviter les déceptions sur le plan académique et préparer les nouveaux arrivés à la vie en Inde. « Les différences culturelles m’ont beaucoup choqué, se souvient Armand Tchinda. D’abord, je ne pensais pas que la pratique de l’hindi était si répandue et ce, au détriment de l’anglais. Ensuite, le premier campus que j’ai fréquenté était végétarien », poursuit le jeune homme, qui en a visiblement souffert.

Le racisme, principale difficulté 

Mais ce qui affecte le plus les Africains, dans une société où le racisme est lié au système des castes, ce sont les moqueries et les injures. Des comportements qui virent parfois au drame. La mort d’un professeur congolais, lapidé en pleine rue en mai, a profondément marqué la communauté africaine. Arrivé il y a six ans, Paul juge néanmoins que la vie quotidienne s’est améliorée. « Au début, je me faisais régulièrement insulter, et tout le monde me dévisageait dans le métro, raconte ce natif de Bukavu (RD Congo). Aujourd’hui, les gens continuent de m’interpeller dans les transports en commun, mais cela relève davantage de la curiosité. »

Des manifestations de curiosité que certains considèrent comme des intrusions mais qui ont permis à Audrey Arly, une Camerounaise de 24 ans, de se faire beaucoup d’amies indiennes. Il n’empêche, les discriminations ont la vie dure. « Lorsque je cherchais un appartement, j’ai senti des réticences, et certains m’ont carrément dit qu’ils ne voulaient pas louer à des Africains, admet-elle. Mais c’est la même chose dans tous les pays du monde. »

Tout comme sa compatriote, Armand Tchinda ne déconseillerait pas à de futurs étudiants de sauter le pas. « Le coût des études, le matériel dont disposent les universités indiennes et le fait d’évoluer dans un environnement anglophone sont des atouts certains », juge-t-il, même s’il n’existe pas encore d’enquête sur ce que sont devenus les Africains qui ont obtenu leurs diplômes en Inde. Mais, conclut Walter Simbi, « celui qui s’adapte ici, s’adapte partout ».

Boom des bourses

Depuis 2012, le ministère indien des Affaires étrangères attribue chaque année 1 000 bourses à des Africains sélectionnés grâce à son réseau d’ambassades. Les heureux élus voient leurs frais d’inscription et leur loyer pris en charge. Ils touchent par ailleurs entre 75 et 80 euros mensuels – une somme pas toujours suffisante pour subvenir à leurs besoins. « New Delhi cherche à contrebalancer l’influence de Pékin, souligne Jean-Joseph Boillot, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Paris).

Au début des années 1980, l’Inde comptait encore de nombreux étudiants africains : reliquat des années Nehru-Gandhi, quand la diplomatie indienne s’inscrivait dans le cadre du mouvement des non-alignés. » Aujourd’hui, difficile de faire le poids face à une Chine qui, rien qu’en 2012, a attribué 18 000 bourses à des Africains.

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