Côte d’Ivoire : le cacao de plus en plus équitable

Elles étaient 18 en 2013. Elles sont aujourd’hui 113. Les coopératives de la filière labellisées « Fairtrade » gagnent du terrain. Quel est leur impact financier, social et environnemental ?

En se regroupant, les producteurs peuvent devenir eux-mêmes exportateurs. © Zhao Yingquan/Xinhua/Gamma

En se regroupant, les producteurs peuvent devenir eux-mêmes exportateurs. © Zhao Yingquan/Xinhua/Gamma

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Publié le 11 janvier 2017 Lecture : 4 minutes.

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Une autre Côte d’Ivoire

Alors que la Côte d’Ivoire vient de changer de Constitution et de République, la voilà qui se dote d’un nouveau gouvernement. 2017 est pour le pays l’année de tous les défis. Jeune Afrique vous en donne un aperçu.

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Permettre aux producteurs du Sud d’avoir plus de poids dans les négociations internationales et leur donner accès aux marchés étrangers : c’est pour prêcher cette bonne parole que Fortin Bley sillonne les villages de Côte d’Ivoire. Producteur de cacao depuis 2004, il dirige l’une des coopératives ivoiriennes labellisées « commerce équitable ». L’an dernier, il est devenu le représentant en Afrique de l’Ouest de Fairetrade Africa, branche continentale de l’association Fairtrade International, qui promeut les labels équitables depuis 1997.

Le long chemin vers la certification

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Fortin Bley a certifié ses produits progressivement. L’idée de se lancer dans le commerce équitable lui est venue lorsqu’il a entendu parler des actions sociales en faveur des producteurs de Kavokiva, la première coopérative ivoirienne, créée en 1999 dans la région du Haut-Sassandra (qui obtiendra sa première certification pour le cacao en 2004). À l’époque, les faux billets circulent en masse sur le territoire, et les producteurs sont souvent escroqués.

Plusieurs années se sont ensuite écoulées avant qu’il remplisse tous les critères exigés par le cahier des charges de Fairtrade International : formation des producteurs, meilleure visibilité sur les contrats de vente, priorité donnée aux intrants naturels, etc. « Au départ, c’est un investissement et cela demande un travail différent, nouveau, souligne l’exploitant. Il faut sensibiliser les producteurs, expliquer la démarche. Mais quand on leur dit qu’il y aura un prix minimal appliqué et une prime de développement, il devient plus facile de changer les méthodes. »

Un secteur fructueux

Après avoir longtemps eu du mal à percer, depuis deux ans, le cacao équitable a littéralement le vent en poupe en Côte d’Ivoire, qui compte désormais le plus grand nombre de coopératives labellisées Fairtrade en Afrique de l’Ouest : 113 actuellement, contre seulement 18 en 2013. Aujourd’hui, selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), plus de 25 000 planteurs ivoiriens de cacao, sur un total de 600 000 producteurs recensés dans le pays, appliquent donc les principes du cahier des charges de Fairtrade International.

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Depuis le mois d’avril, la filière ouest-africaine de cacao labellisée « commerce équitable » bénéficie d’un financement de 3,9 millions d’euros de l’Agence française de développement (AFD) et du Fonds français pour l’environnement mondial.

« Être en coopérative permet aux planteurs de regrouper leurs productions pour les vendre ensemble et, parfois même, de devenir eux-mêmes des exportateurs. De toute façon, pour les producteurs, le cacao est une culture de rente. L’idée est qu’elle puisse être mieux développée, afin d’augmenter les bénéfices, car c’est la seule source d’argent liquide », précise Valeria Rodriguez, responsable de la communication du système Fairtrade-Max Havelaar France. Max Havelaar, qui délivre des certifications « commerce équitable », est la branche la plus connue de Fairtrade International.

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Des coûts persistants

L’une des plus importantes parmi celles présentes en Côte d’Ivoire est Ecookim, qui soutient 8 coopé­ratives dans le sud-ouest du pays pour la vente et l’exportation du cacao, soit 7 000 tonnes vendues en 2015, dont presque la moitié sous le label Fairtrade. Ces dernières années, ses membres ont alloué une partie de la prime Fairtrade à des séances de formation sur les droits des enfants pour que les producteurs et leurs familles soient davantage sensibilisés aux effets néfastes du travail des enfants.

En mai, un rapport de l’association Le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne) intitulé « La Face cachée du chocolat » a tenté d’évaluer les progrès qu’a permis ou non le commerce équitable. Selon cette étude, si la démarche est le levier le plus efficace pour réduire les « coûts cachés » du cacao, comme le travail des enfants et la déforestation, ceux-ci ne diminuent que de 12 %.

« Le commerce équitable change peu la donne, car il ne permet pas de modifier la structuration de la filière, expliquent les auteurs du rapport. En Côte d’Ivoire, par exemple, malgré la mise en place d’une certification équitable, les producteurs de cacao ne parviennent pas à dépasser le seuil de pauvreté, avec un revenu supérieur de seulement 6 % à la filière conventionnelle. »

Par ailleurs, seuls 30 % de la prime équitable sont directement versés aux producteurs et 20 % sont investis dans des services de base locaux (école, santé, transport, etc.). Les coûts cachés ne diminuent ainsi que de 6 % par rapport aux filières certifiées « durables ». Un constat que nuance Valeria Rodriguez : « Le commerce équitable n’a que dix ans en Côte d’Ivoire. C’est un processus long. »

Une demande marginale

L’autre défi est de garantir une certification rigoureuse. Ainsi, les critères des deux autres organismes opérant en Côte d’Ivoire, Rainforest et Utz, sont différents. Dans ses audits, Fairetrade contrôle l’organisation des coopératives, alors qu’Utz et Rainforest portent davantage leur attention sur le développement durable. Le problème soulevé par de nombreux observateurs est que quand le producteur est certifié, l’acheteur l’est automatiquement, sans être lui-même audité.

Enfin, la demande, même si elle augmente, est marginale. Les producteurs vendent en moyenne moins de la moitié de leur production aux conditions du commerce équitable, qui est encore un marché de niche. Difficile alors de convaincre une majorité de producteurs de s’engager, de faire l’effort de changer leurs pratiques et de se mettre aux normes.

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