Musique : Baloji, sorcier poète de Lubumbashi

Originaire de la République démocratique du Congo, l’enfant de Lubumbashi installé en Belgique a trouvé sa voie dans la musique.

Durant trois ans, l’artiste a vécu dans l’illégalité, sous la menace d’une expulsion. © c.brandon/redferns/ GETTY IMAGES

Durant trois ans, l’artiste a vécu dans l’illégalité, sous la menace d’une expulsion. © c.brandon/redferns/ GETTY IMAGES

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Publié le 23 août 2016 Lecture : 4 minutes.

«Imagine : tu grandis en Europe et tu t’appelles ‘la peste’ ou ‘le diable’… » Baloji Tshiani en a fait l’expérience, son prénom signifiant « groupe de sorciers » en tshiluba, l’une des quatre langues nationales de sa RD Congo natale. Toute sa jeunesse, il a été le bouc émissaire facile de tous les malheurs qui pouvaient s’abattre sur la famille. Alors qu’en lui donnant ce prénom, puisé dans le patrimoine culturel des Balubakat (les Baluba du Katanga), son père convalescent voulait simplement saluer la naissance de son garçon, coïncidant avec sa propre guérison.

« Étymologiquement, Baloji fait référence aux hommes de science. C’est avec l’arrivée des missionnaires catholiques que ce mot a pris une connotation négative », rappelle aujourd’hui le jeune homme, qui a longtemps « détesté » son prénom. Mais l’artiste a fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur. Exit Tshiani, seul Baloji apparaît sur les pochettes de ses albums.

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En ce mois de juillet ensoleillé, il s’est retranché dans un studio d’enregistrement à La Hulpe, près de Bruxelles. Loin du brouhaha de la capitale, il travaille sur son quatrième opus, 137, avenue Kanyama. Un clin d’œil à cette rue de Katuba, à Lubumbashi, où il naquit il y a bientôt trente-six ans. « Ma mère y vit encore », confie-t-il, un brin nostalgique.

À seulement 15 ans, il choisit de fuir ce toit familial

Il n’avait que « trois ou quatre ans » lorsque le paternel, homme d’affaires, a décidé de l’envoyer en Europe. « Il a dit à ma mère, qui n’était que l’une de ses aventures d’un soir, un énième bureau, qu’il m’emmenait à Ostende, au pays de Marvin Gaye », se souvient Baloji. Au début des années 1980, il quitte donc la capitale minière pour la Belgique, où vit sa belle-famille. Mais la cohabitation est tendue. « Je ne me sentais pas chez moi », explique-t-il. Et son prénom de sorcier ne l’a pas aidé…

À seulement 15 ans, il choisit de fuir ce toit familial. Adieu également les études ! Métamorphosé en MC Balo, il s’intéresse au rap et intègre Starflam (anagramme de Malfrats Linguistiks), groupe de hip-hop composé de rappeurs belges, belgo-colombien et belgo-équatorien. Le succès est au rendez-vous. Des tournées suivent, Baloji quitte pour la première fois Liège pour donner des concerts dans plusieurs villes de Belgique. Mais, en 1998, « tout s’écroule » lorsque les autorités refusent de renouveler son titre de séjour.

L’année suivante, tombe l’ordre de quitter le territoire. Baloji reste, vit caché. Il est interpellé en 2001 et passe quarante-cinq jours dans un centre fermé en attendant son expulsion. In extremis, la mère de sa petite amie accepte de le prendre en charge et lui évite un retour précipité au pays natal. Trois ans et zéro conviction plus tard, il se fait naturaliser.

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Désormais citoyen belge, Baloji a pourtant renoué avec ses racines. Il est retourné pour la première fois en RD Congo en 2008, deux ans après avoir reçu un courrier de sa mère, qu’il n’avait plus revue depuis près de trente ans ! Celle-ci voulait savoir ce que son fils était devenu. Mais, au téléphone, les mots ne venaient pas. « Je n’osais pas lui dire que son enfant avait un casier judiciaire et aucun diplôme… » S’inspirant de Marvin Gaye, l’une de ses idoles, dans I’m Going Home, Baloji compose alors Hôtel Impala, du nom du célèbre hôtel de Likasi (des parachutistes belges y avaient atterri durant la seconde guerre du Shaba, en 1978), propriété de son père, détruit lors des pillages de 1991.

Ma mère attendait de moi que je prenne en charge le reste de la fratrie…

« Chaque morceau de l’opus raconte une période de ma vie », commente son auteur. Fier, il rapporte à sa mère le disque emballé dans un beau livret. À l’intérieur, des secrets de famille sont déballés. Sacrilège !

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« Chez nous, le linge sale ne se lave pas sur la place publique », lui reprocheront ses parents. Pis, le « mikiliste » a débarqué les mains vides. À vrai dire, « ma mère s’en foutait du disque : elle attendait de moi, son premier fils, que je prenne en charge le reste de la fratrie… ». « Grandi à l’européenne », Baloji avait « oublié » cette réalité. De passage à Kinshasa quelques jours plus tard, il tombe amoureux de la capitale. Une ville en éternel mouvement qui lui rappelle « étrangement » New York.

« Mais, musicalement, ça tourne un peu en rond : il nous faut un renouvellement », explique-t-il, sans remettre en question « l’élégance » de la musique de son pays. Il y retourne l’année suivante pour enregistrer Kinshasa Succursale avec des artistes locaux. Et, sur certains morceaux de son prochain opus, Baloji, influencé par l’électro de Londres, compte rajouter un peu plus de « base » à la finesse des solos de guitare de la rumba congolaise. Un mélange osé pour tenter de faire éclore du « soukouss base ».

En attendant, Baloji, qui se voit en « poète », voudrait relancer son troisième album, 64 Bits and Malachite, sorti en 2015 et dont la promotion a été négligée par le label Island Africa (Universal France). « Ils l’ont laissé mourir », lâche Baloji. Dépité mais déterminé, il est prêt à donner un souffle nouveau à son œuvre.

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