Océan indien : talents d’outre-mer

Photographe, cuisinier, chef d’entreprise, champion olympique, romancier-documentaliste… les habitants de l’Indiaocéanie font preuve d’une créativité aussi diverse que le sont leurs îles.

Marie-Joseph Malé. © DR

Marie-Joseph Malé. © DR

fxf

Publié le 15 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

L’île de North-Island, dans l’archipel des Seychelles. © AP / SIPA
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Océan indien : destins communs

Malgré leur volonté d’avancer ensemble, les pays membres de la Commission de l’Océan indien (COI) sont confrontés à de nombreux contentieux frontaliers qui empoisonnent leurs relations.

Sommaire

Pierrot Men, sous la lumière

De Paris à Antananarivo, Pierrot Men semble n’avoir que des amis. Cet éternel adolescent suscite la sympathie autour de lui. Ce qui l’a certainement aidé dans son métier de photographe, où il a su s’imposer, sans esbroufe, avec son seul talent. « Je travaille librement, à l’instinct. Cela me permet de rester sincère. » Après avoir appris à composer et à cadrer, la photographie s’impose définitivement à lui quand, en 1994, il rafle le premier prix du concours Leica Mother Jones de San Francisco. Privilégiant le noir et blanc, ses clichés sont des peintures sociales de son pays.

Ils captent la misère humaine sans jamais tomber dans le misérabilisme. « Dans mes photos, il y a du drame, mais je ne trahis jamais la dignité des gens. » Il sillonne Madagascar pour rencontrer ses sujets, ceux qu’il appelle « les voisins ». C’est de cette façon qu’il a rencontré un jour la communauté chrétienne de Soatanana. Ses photos, aussi mystiques que mythiques, de croyants tout de blanc vêtus ont depuis fait le tour du monde.

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À 61 ans, Pierrot Men n’a jamais été tenté par l’exil : « Je n’ai jamais éprouvé le besoin de photographier ailleurs que dans mon pays », affirme-t-il. Cela fait quarante ans qu’il vit à Fianarantsoa, le long de la route qui dessert le sud du pays depuis la capitale. Et vingt ans déjà qu’il tient son petit magasin de photo dans le centre-ville. S’il avoue s’être beaucoup inspiré du travail de Sebastião Salgado, lui est resté sédentaire quand le Brésilien a opté pour le nomadisme. Ce qui n’empêche pas Pierrot d’être exposé aux quatre coins du monde, comme c’est actuellement le cas à Nantes (ouest de la France) et à Bruxelles (Belgique).

Franco Bowanee, la tête dans les étoiles

D’un quartier modeste de Beau Bassin-Rose Hill, à Maurice, au château de Vault-de-Lugny, dans le centre-est de la France, la vie de Franco Bowanee a tout d’un conte de fées. Titulaire d’un CAP obtenu à l’école d’hôtellerie d’Ébène, le chef mauricien se forge vite une réputation lorsqu’il débarque en Bourgogne, en 2008, à l’âge de 36 ans.

« Je travaillais depuis plusieurs années au prestigieux Labourdonnais Hotel de Port-Louis quand on m’a demandé de préparer un menu gastronomique pour un couple de clients. » Séduits par les talents culinaires de Franco, ces derniers lui proposent de venir travailler dans leur établissement inscrit au catalogue des Relais & Châteaux et auréolé de 5 étoiles.

Avec sa femme, Karina, douée pour la pâtisserie, ils forment un duo de choc derrière les fourneaux du château de Vault-de-Lugny. Même si ça n’a pas été si simple.

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« Je ne savais même pas ce qu’étaient des œufs meurette », sourit aujourd’hui Franco. Ses patrons l’envoient alors en stage chez les grands de la gastronomie, d’abord chez Christophe Muller, chef exécutif dans le trois-étoiles de Paul Bocuse, puis chez Gérard Besson, à Paris. Le temps de se former aux subtilités de la cuisine française et il retourne œuvrer dans son château, situé à quelques kilomètres seulement de la basilique de Vézelay, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.

Il y dirige une équipe de sept commis, dont des Mauriciens, et en profite pour « créoliser » la carte. À chaque voyage au pays, les époux Bowanee ramènent les épices et les légumes introuvables en France. « Comme ce cœur de palmier au goût de noisette », salive le cuistot mauricien. Demi-finaliste au concours du meilleur ouvrier de France en 2015, il rêve maintenant d’ajouter une étoile Michelin à la galaxie qui illumine déjà sa table.

Franco Bowanee. © DR

Franco Bowanee. © DR

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Badrou, le messager

«J’ai toujours refusé d’être le Noir de service », annonce d’entrée Badroudine Saïd Abdallah. À 23 ans, le Franco-Comorien cumule les projets après avoir multiplié les expériences. Fils d’imam, né à Nairobi mais qui a grandi dans la banlieue parisienne, il ne cherche qu’à mettre sa réussite aux services des autres. À commencer par cette jeunesse des quartiers défavorisés qui n’a pas toujours sa chance.

Badrou a su saisir la sienne à chaque fois qu’elle se présentait, et le plus souvent avec son pote, Mehdi Meklat, croisé sur les bancs du lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen. Ensemble, ils démarrent en 2007 au sein du Bondy blog, qui donne la parole aux cités sensibles, avant de se faire repérer et de proposer une chronique à deux voix sur France Inter, qu’ils vont tenir pendant six ans. Le temps d’écrire un premier roman à quatre mains, Burn Out, publié en 2015. Depuis, les projets s’enchaînent. « La réussite n’a rien d’impressionnant dès lors qu’on ne s’enferme pas sur soi. Pour changer les choses, on ne peut pas faire bande à part. »

En France comme aux Comores, où il s’est rendu en 2014 pour filmer Le Grand Mariage, un documentaire sous forme de satire sociale sur la tradition du « anda », qui sacralise, lors de longues fêtes dispendieuses, une union déjà scellée. Badrou s’active en ce moment autour du lancement de Téléramadan, la revue qu’il vient de fonder, disponible en ligne et en kiosque. Il n’oublie pas non plus de transmettre, via son association Mille Visages, qui forme les jeunes des cités aux métiers de l’audiovisuel. Comme un passage de témoin.

Badrouine Saïd Abdallah. © CHRISTOPHE PETIT TESSON/MAXPPP

Badrouine Saïd Abdallah. © CHRISTOPHE PETIT TESSON/MAXPPP

Jean-Paul Adam, bleu piscine

Blaser marine, chemise impeccablement repassée, Jean-Paul Adam a gardé l’allure sportive du champion de natation qu’il a été. En 1992, il participait aux épreuves de nage libre lors des Jeux olympiques d’été à Barcelone. Vingt-quatre ans plus tard, il affiche déjà, à 39 ans, un sacré cursus politique dans son pays, les Seychelles. Des piscines aux ministères, Jean-Paul Adam a toujours eu le goût des défis.

Le jeune ministre des Finances, du Commerce et de l’Économie a été pendant six ans chef de la diplomatie de son pays, puis secrétaire d’État durant treize ans. Réputé être un compétiteur né, il impressionne autant par sa forte carrure que par son discours. Homme de confiance depuis vingt ans du président, James Michel, il a été nommé à la tête de l’économie seychelloise en 2015 pour l’assainir et la dynamiser.

Aussi moderne qu’idéaliste, il a vite trouvé le cap à suivre : l’économie bleue, fondée sur les deux piliers que sont l’écotourisme et la pêche durable. « Le territoire seychellois est composé d’océan à 99 %. Notre mode de développement doit saisir cette occasion, dans une optique de développement durable. » « Pêcher moins, mais pêcher mieux », précisait récemment le ministre, présent en décembre 2015 à Paris pour la COP21.

Né à La Réunion et passé par les meilleures universités britanniques, Jean-Paul Adam semble déjà mener la course qui pourrait bien, en 2020, le mener à la présidence.

Marie-Joseph Malé, en altitude…

Quand Marie-Joseph Malé raconte sa vie, c’est avec le sourire. Pas de nuage dans la vie bleu ciel du PDG d’Air Austral, né au Cameroun d’une famille originaire du sud de l’Inde. « J’ai vécu une enfance heureuse en Afrique, j’ai commencé mes études à Polytechnique, à Paris, avant de les poursuivre à Boston. J’ai vécu des expériences très enrichissantes. » Professionnellement, il a bien voyagé. D’abord en Italie, en 1990, pour le compte d’UTA, puis aux États-Unis et en Asie, où il rejoint la direction d’Air France pour une vingtaine d’années.

Mais c’est à la tête d’Air Austral qu’il gagne ses galons. Engagé en 2012 pour redonner un peu d’oxygène à une compagnie en chute libre, il parvient à la sauver de la faillite. « Air Austral vivait au-dessus de ses moyens. Nous avons réduit la voilure, vendu des avions, fermé les lignes provinciales en France pour nous concentrer sur l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et sur la zone océan Indien. » Désormais, le groupe Air Austral, qui s’est enrichi en 2013 d’EWA, sa filiale mahoraise, emploie 900 personnes, détient 9 gros-porteurs, dont le fameux Dreamliner 787-8 de Boeing.

Elle propose douze vols par semaine au départ de Paris vers La Réunion, Mayotte, les Comores, Madagascar et l’Afrique du Sud. Elle développe sa présence en Asie et prévoit, en collaboration avec Air Madagascar, un vol hebdomadaire sur Canton. « Les liens entre la Chine et l’Afrique australe s’intensifient. L’océan Indien peut tenir un rôle de plateforme », parie-t-il. L’ancien ingénieur des Ponts et Chaussées prévoit déjà de finir sa carrière au sein d’Air Austral et de profiter de sa retraite à La Réunion. Il s’y sent si bien !

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