São Tomé-et-Príncipe : ni ethnies, ni tribus…

Ils sont métis, bantous ou européens… Et à 85 % descendants d’esclaves. Fiers de leur diversité et unis, les Santoméens s’ouvrent au reste du monde.

Plage à São Tomé. © GEORGE OSODI/AP/SIPA

Plage à São Tomé. © GEORGE OSODI/AP/SIPA

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Publié le 27 mai 2016 Lecture : 5 minutes.

Plage à São Tomé. © ARMANDO FRANCA/AP/SIPA
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São Tomé-et-Prìncipe : grandeur nature

Démocratie solidement enracinée, jeunesse inventive, ouverture sur le centre et sur l’ouest du continent, beauté des paysages… L’archipel a de quoi se tailler une place de choix en Afrique. Saisira-t-il sa chance?

Sommaire

Les Santoméens le répètent à l’envi : « Ici, il n’y a ni ethnies ni tribus. Il n’y a qu’un peuple, avec ses différentes composantes. » Au commencement, deux navigateurs portugais découvrirent un archipel inhabité, « les îles du milieu du monde », le 21 décembre 1471, jour de la Saint-Thomas – São Tomé. Une dizaine d’années plus tard, Lisbonne décida d’y envoyer quelques colons, accompagnés de leurs esclaves, pour cultiver la canne à sucre, puis d’y expédier tous ses citoyens indésirables, en particulier les victimes de l’Inquisition.

Dès la fin du XVe siècle, les concelhos (« municipalités », en portugais, terme qui désigne aujourd’hui les deux îles principales) étaient devenues une plaque tournante du trafic d’esclaves, que l’on capturait essentiellement en Angola pour aller les vendre au Brésil et à Cuba. Après l’abolition de l’esclavage (1876), ceux qui trimaient dans les plantations de canne à sucre et de cacao furent secondés par des saisonniers venus d’Angola, du Mozambique, du Cap-Vert ou du Gabon.

Les descendants d’esclaves représentent plus de 85 % de l’actuelle population de l’archipel.

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Aujourd’hui, les Santoméens sont mesticos (métis, descendants d’esclaves amenés au début de la colonisation et d’Européens), angolares (descendants d’esclaves venus du comptoir négrier de Luanda), forros (descendants d’affranchis) ou serviçais (descendants de travailleurs contractuels originaires d’Angola, du Mozambique, du Cap-Vert). On rencontre aussi quelques Fangs, venus du Gabon, et un petit pourcentage d’Européens, aux ancêtres portugais.

Les descendants d’esclaves représentent plus de 85 % de l’actuelle population de l’archipel. Pendant longtemps, en fonction de leur origine et au gré de l’Histoire, certains se révélèrent doués pour la pêche, d’autres pour le travail de la terre. Quelques-uns (notamment forros) se réclamèrent d’une caste de « grandes familles », et leurs héritiers considérèrent que tout leur était dû : le pouvoir, la richesse, les honneurs… Ces prétentions ne sont plus d’actualité, et l’ascension sociale est désormais liée au mérite.

Les Santoméens ont gardé le portugais comme langue officielle. Mais ils utilisent surtout plusieurs langues créoles, le forro principalement (mélange de portugais, de langues bantoues et de kwa), l’angolare (qui combine le portugais, le kimbundu et le kikongo) et le moncó, parlé à Príncipe (mêlant le kwa et des langues bantoues). Patronymes et toponymes restent cependant quasiment tous lusophones. Autre héritage de la longue présence portugaise dans l’archipel : les Santoméens sont en grande majorité chrétiens, catholiques romains pour plus de 70 %, et encore très pratiquants.

En revanche, Lisbonne est désormais loin d’être leur unique référence. Les jeunes, notamment, partent se former aussi bien au Gabon, en Angola, au Maroc, à Taïwan ou en France que dans l’ancienne métropole. Ils étudient l’anglais et le français, le regard tourné vers l’Afrique et le monde.

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Ils font bouger Sao Tomé

Wildiley Barroca

Silhouette longiligne, tout en fous rires et poignées de main, il est chaleureux. Et infatigable. À vingt-cinq ans, Afonso Fernandes Wildiley Barroca est déjà un membre influent de la société civile africaine et de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP).

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Son credo ? « Le monde peut changer, il suffit de le vouloir ». Il est ainsi vice-président de l’Union panafricaine de la jeunesse (UPJ), membre du Parlement mondial de la jeunesse pour l’eau (PNJA), fondateur de sa représentation nationale (PNJA-STP), de l’antenne locale du Réseau des jeunes pour les forêts d’Afrique centrale (Rejefac São Tomé)… Des responsabilités qui le font voyager, de l’Angola au Cameroun, de la Guinée équatoriale au Cap-Vert, du Kenya à l’Afrique du Sud, en passant par le Brésil ou la Belgique.

Diplômé en droit international de l’Institut universitaire de comptabilité, d’administration et d’informatique de São Tomé (IUCAI) et du SAE Institute USA (Institut international des médias de création), Wildiley Barroca parle couramment l’anglais, le français et l’espagnol, en plus du portugais. Après avoir animé des émissions culturelles à la télévision et à la radio nationales de 2009 à 2012, il collabore à plusieurs journaux locaux et étrangers, en version papier ou numérique. Passionné d’écriture, il est aussi président de l’Union littéraire et artistique de la jeunesse et coordinateur du Club des poètes et troubadours de São Tomé-et-Príncipe.

Wildiley Barroca. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Wildiley Barroca. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Alda Ramos

Députée du district de Mé-Zóchi (à 10 km à l’ouest de la capitale) et secrétaire du groupe parlementaire de l’Action démocratique indépendante (ADI, du Premier ministre, Patrice Trovoada), Alda Ramos préside Qua-Téla, une ONG qui, depuis 2009, promeut les produits de la terre santoméenne et met l’accent sur leur transformation. « Les agriculteurs n’arrivaient pas à les écouler, et il y avait un gaspillage considérable », explique la parlementaire, elle-même productrice de curcuma et de gingembre.

Une quarantaine de transformateurs (parmi lesquels une forte proportion de femmes) se sont donc regroupés au sein de l’ONG afin d’acheter directement leurs récoltes aux producteurs. « On peut ainsi organiser le secteur et améliorer les conditions de vie des agriculteurs, souligne Alda Ramos. Ils peuvent travailler en étant assurés qu’ils auront des acheteurs. » Qua-Téla se charge ensuite de la commercialisation et de la promotion des produits – chips de banane, farine de manioc, confitures, plats cuisinés… -, qui sont distribués dans le magasin de l’ONG, situé en plein centre de la capitale (rue Barão-de-Água-Izé) et fréquenté par de nombreux Santoméens comme par les touristes.

Alda Ramos. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Alda Ramos. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Katya Aragão

À tout juste 30 ans, Katya Dória Aragão s’est déjà fait un nom dans son archipel natal. Après des études de communication à Lisbonne (Portugal), elle y est revenue en 2009 pour commencer une carrière de journaliste au sein de plusieurs médias locaux, dont le journal en ligne Téla Nón et la chaîne Televisão santomense (TVS). Elle est aujourd’hui rédactrice en chef du site d’information STP Digital.

En 2013, la jeune femme a lancé le programme TEDxSão Tomé, une franchise des célèbres conférences internationales TED (Technology, Entertainment, Design) nées aux États-Unis au milieu des années 1980 pour mettre en lumière « des idées qui valent la peine d’être diffusées » (« Ideas worth spreading ») dans les domaines de la technologie, du divertissement et du design. Le principe ? Inviter des personnalités, locales ou étrangères, à venir défendre leurs idées ou leur projet, en accordant à chacune dix-huit minutes chrono. L’un des premiers orateurs accueillis, en 2013 : le milliardaire anglo-sud-africain Mark Shuttleworth (lire pp. 90-91).

Animé par une équipe d’une quinzaine de jeunes, TEDxSão Tomé réunit chaque année une centaine d’invités pour ses conférences. « Notre objectif est d’échanger des idées et de profiter de TED, marque de renommée mondiale, pour faire connaître notre pays », précise Katya Aragão.

Parmi les prochains hôtes attendus, le Nigérian Taofick Okoya, créateur des poupées noires Queens of Africa, qui évoquera la place des femmes dans la société. Un débat bienvenu à São Tomé-et-Príncipe, où la parité est encore loin d’être assurée.

Katya Aragão. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Katya Aragão. © VINCENT FOURNIER/J.A.

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