En Côte d’Ivoire, Ali Hojeij bouscule Unilever et Nestlé

Cosmétiques, lessive, mayonnaise… Sur ces produits, le patron de Sivop et de Sipro-Chim s’est taillé la part du lion. Aujourd’hui, il se lance dans les bouillons en cube. Au grand dam des multinationales.

Ali Hojeij © SAAD POUR J.A.

Ali Hojeij © SAAD POUR J.A.

Publié le 2 mars 2016 Lecture : 5 minutes.

Ali Hojeij est un homme discret, insaisissable, toujours entre deux avions qui l’emmènent de Paris à Beyrouth ou à Abidjan. Sur lui et sur ses entreprises, Sipro-Chim (produits alimentaires et produits d’entretien) et Sivop (parfums et cosmétiques), les informations sont rares. Le groupe est pourtant un poids lourd en Côte d’Ivoire. Et l’effervescence qui règne autour de son immense usine de Yopougon est là pour le rappeler : une cohue de manutentionnaires qui chargent, dans les ruelles inondées par les orages, des camions de dentifrices, crèmes corporelles et autres détergents qui seront écoulés dans tout le pays.

Bientôt, ces véhicules transporteront un nouveau produit que le patron libanais concocte depuis des mois avec ses équipes. « Nous nous lançons dans le bouillon ! » lâche le PDG lorsqu’il nous reçoit dans les locaux de la direction – qui contrastent, par leur calme, leur carrelage immaculé et leur système de reconnaissance digitale à l’entrée, avec le chaos du dehors. À l’évocation de ce projet, Ali Hojeij, habituellement très réservé, s’anime. Et pour cause, l’affaire n’a rien d’anecdotique : il se vend chaque année quelque 30 000 tonnes de bouillons en cube en Côte d’Ivoire, selon le cabinet Sagaci Research, ce qui représente pas moins de 90 milliards de F CFA (137 millions d’euros).

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En s’attaquant à ce créneau, Sipro-Chim va chasser sur les plates-bandes du géant Nestlé, qui culmine avec sa marque Maggi à environ 75 % de parts de marché, suivi par Jumbo (de l’espagnol GB Foods), Doli (du sénégalais Patisen) et Maxi Goût (de l’ivoiro-libanais Eurofind). « Nous y allons parce que le marché est gros, explique le patron au regard clair sous des sourcils en bataille. Mais nous savons que Nestlé nous prépare un cadeau de bienvenue… » Le sourire de l’homme d’affaires trahit bien plus d’impatience que de crainte.

Course

Car ce n’est pas la première fois qu’Ali Hojeij empiète sur le terrain des multinationales. Lancée il y a moins de cinq ans, sa mayonnaise Aromate est parvenue à détrôner la marque locale d’Unilever en Côte d’Ivoire. Dès 2013, son produit avait conquis près de 15 % de parts de marché, contre 8 % pour la mayonnaise Calvé – mais le géant néerlandais distribue aussi sa marque internationale Amora, qui détient 10 % du marché, selon Euromonitor. Depuis, les deux parties se livrent une course aux capacités de production : tandis qu’Unilever construit une nouvelle usine à Vridi, Sipro-Chim installe de nouvelles lignes dans son fief de Yopougon.

Quelques années auparavant, c’est dans la lessive que le groupe ivoiro-libanais avait lancé l’offensive, parvenant avec sa marque Nil (14 % de parts de marché, toujours selon Euromonitor) à se placer en deuxième position derrière la célèbre Omo d’Unilever (18 %). Mais la partie fut moins facile. « Nous avons beaucoup souffert au début, car ici le consommateur ne va pas acheter de la « lessive », il va acheter de l’ »Omo », admet Ali Hojeij. Pendant deux ans, Unilever n’a pas arrêté : des guerres de prix, des promotions, tout un tapage… Ils ont mis tout leur budget communication sur Omo, peut-être 3 ou 4 milliards de F CFA… »

Nous sommes plus proches du terrain, du marché et des clients que les multinationales, explique-t-il sans triomphalisme

Pour enfoncer le clou, Sipro-Chim a mis sur le marché, en 2015, un nouveau produit plus haut de gamme, Bêko, qui commence à se faire une place et ne manquera pas d’écorner un peu plus l’ancien monopole d’Unilever dans le vocabulaire de la lessive. Le groupe néerlandais, qui reste par ailleurs loin devant sur d’autres produits comme les dentifrices, n’est pas le seul à accuser le coup. Ainsi Nestlé voit-il son lait en poudre Nido concurrencé par la marque ProLait, lancée récemment par Sipro-Chim.

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Comment Ali Hojeij réussit-il ces tours de force ? « Nous sommes plus proches du terrain, du marché et des clients que les multinationales », explique-t-il sans triomphalisme. Sipro-Chim est avant tout une entreprise locale, capable de jouer sur les prix dans un marché des biens de consommation où le pouvoir d’achat est, dit-il, « un facteur bien plus déterminant » que l’attachement à la marque : ainsi, les petites portions de Nil s’alignent sur les prix d’Omo, tandis que les gros paquets sont moins chers.

Le patron mise ensuite sur un atout majeur face aux groupes étrangers : fin connaisseur du terrain ivoirien, son groupe possède son propre réseau de distribution. Un chaînon stratégique qui permet d’aller « au plus près des petits revendeurs », privilégiés par plus de 90 % des consommateurs (contre moins de 10 % pour les centres commerciaux, selon Sagaci Research).

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« C’est une belle société, salue un industriel. Ce sont tout d’abord des Libanais : ils ont le sens de la concurrence, de l’entrepreneuriat, des opportunités. Ensuite, les sociétés locales de ce type font preuve d’une agilité incroyable face aux lourdeurs des multinationales, qu’il s’agisse de lancer un produit ou de payer moins de charges. Ce sont des start-up, mais à un niveau industriel. »

Locomotive

Aujourd’hui, le groupe formé par Sipro-Chim et Sivop est devenu rien de moins qu’un mini-Unilever. La branche parfums et cosmétiques a engrangé quelque 25 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2015 (en hausse de 10 % par rapport à l’année précédente), pour un résultat net de 900 millions de F CFA. Dans ce secteur, la concurrence reste, malgré le renforcement de L’Oréal (qui a établi un partenariat local de production et de distribution avec CFAO début 2015), principalement locale : sur les parfums, soins capillaires et corporels, notamment les crèmes éclaircissantes, Sivop affronte la Nouvelle Parfumerie Gandour, qui appartient à la famille libanaise éponyme.

Le marché des cosmétiques se porte bien en Côte d’Ivoire, et la demande à l’export vers les pays du continent (Togo, Sénégal et RD Congo) représente des volumes intéressants pour Sivop, qui, pour renforcer son offre, s’est associé au groupe allemand Henkel, dont il importe les marques Fa (gels douche, shampoings et déodorants) et Vademecum (dentifrices).

Mais le créneau des produits alimentaires et des produits d’entretien est beaucoup plus dynamique. Bien plus récente (début des années 2000), cette activité représente désormais près de 50 % des revenus du groupe, avec un chiffre d’affaires de 22 milliards de F CFA en 2015, pour 1,2 milliard de résultat net. Le patron voit d’ailleurs dans ce segment la future locomotive de son business.

Qu’envisage-t-il pour l’avenir ? Autour du patriarche, le clan est en place. Tandis que son frère Youssef œuvre au département recherche et développement, ses fils Karim et Wassim occupent des postes de direction. À 64 ans, Ali Hojeij, qui possède d’autres affaires en France (les parfumeries Paris bleu) et au Liban (Isofood), prétend qu’il aimerait lever le pied « pour profiter un peu ». Sur ce point, on a bien du mal à le croire.

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