Côte d’Ivoire – Burkina : condamnés à s’entendre

Ils ont parfois des amitiés contraires, et leurs entourages ne s’apprécient pas toujours. Leurs deux pays ont même été à deux doigts de divorcer. Pourtant, ils n’ont pas tellement le choix : il leur faut faire l’un avec l’autre.

Rencontre entre les présidents ivoirien, Alassane Ouattara, et burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, le 29 janvier 2016, à Addis-Abeba. © Facebook / Présidence Côte d’Ivoire.

Rencontre entre les présidents ivoirien, Alassane Ouattara, et burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, le 29 janvier 2016, à Addis-Abeba. © Facebook / Présidence Côte d’Ivoire.

Publié le 15 février 2016 Lecture : 7 minutes.

Ces dernières semaines, Abidjan et Ouagadougou avaient plutôt donné l’impression de danser un tango à contretemps. Tels des partenaires de longue date soudainement désynchronisés, la Côte d’Ivoire et le Burkina avaient fini par se marcher sur les pieds. Au grand dam des pays voisins et de plusieurs observateurs, qui voyaient dans cette situation un facteur de déstabilisation dont la région pouvait – et devait – faire l’économie. C’est donc peu dire qu’ils ont poussé un ouf ! de soulagement, le 29 janvier, quand Alassane Ouattara et son homologue burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, se sont affichés tout sourire, à Addis-Abeba, en marge du dernier sommet de l’Union africaine.

Pour les deux présidents, ces derniers mois n’ont pas été de tout repos. Ils ont même menacé d’emmener le vieux couple ivoiro-burkinabè au bord du divorce. Pour comprendre pourquoi, il faut remonter à l’insurrection d’octobre 2014 et au départ en exil de Blaise Compaoré. Presque un an plus tard, en septembre 2015, des membres dur régiment de sécurité présidentielle (RSP, l’ancienne garde rapprochée du président déchu) et leur chef, le général Gilbert Diendéré, tentent un coup d’État qui tourne court.

la suite après cette publicité

À partir de ce moment-là, les événements s’emballent : les services de sécurité burkinabè ont mis sur écoute les anciens pontes (civils ou militaires) du régime Compaoré, lesquels ont conservé des amitiés fortes et haut placées en Côte d’Ivoire. Très vite, l’entourage du Premier ministre burkinabè, Isaac Zida, laisse fuiter les enregistrements dans la presse. Leur contenu n’a toujours pas été authentifié, mais il est explosif et accablant, côté ivoirien, pour Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale, et pour le général Soumaïla Bakayoko, le chef d’état-major de l’armée : le premier y détaille une stratégie militaire pour remettre ses alliés au pouvoir et le second dispense des conseils à son vieil ami Diendéré, visiblement dépassé par les événements : « Tu es condamné à mener l’action. Donc monte un truc bien ! »

Le mandat d’arrêt à l’encontre de Guillaume Soro, un geste « inamical »

À Ouaga, où Kaboré a été entre-temps élu président, la réaction ne s’est pas fait attendre. Alors que les esprits s’échauffent et s’invectivent par médias interposés, la justice militaire burkinabè émet, à la fin du mois de décembre 2015, un mandat d’arrêt contre Blaise Compaoré dans le cadre de l’enquête sur la mort de Thomas Sankara. Le 9 janvier, c’est au tour de Guillaume Soro, le propre dauphin constitutionnel d’Alassane Ouattara.

Ouaga met la pression et Abidjan n’apprécie pas. Le geste est « inamical », s’indignent aussitôt les proches de Soro. Dans un communiqué, le chef de l’État ivoirien « s’étonne que ce document, qui vise le président de la deuxième institution de la République de Côte d’Ivoire, ait été émis au mépris des règles et des us et coutumes en la matière ». Les relations entre les deux pays se sont tellement dégradées que les plus anxieux s’inquiètent ouvertement du sort des quatre millions de Burkinabè installés en Côte d’Ivoire. En coulisses, ils envisagent de faire entrer en scène un médiateur sous-régional (les noms du Béninois Thomas Boni Yayi et du Togolais Faure Gnassingbé – tous deux connus pour avoir de bonnes relations avec l’une et l’autre partie – commencent à circuler).

la suite après cette publicité

Alors, forcément, le long tête-à-tête qu’ont eu Ouattara et Kaboré à Addis-Abeba, la poignée de main et les sourires qui ont suivi en ont rassuré plus d’un. Et de fait, des deux côtés, l’heure semble désormais à l’apaisement. « Il y a eu plus de rumeurs et d’incompréhensions qu’autre chose, insiste le nouveau ministre ivoirien des Affaires étrangères, Albert Toikeusse Mabri. La qualité de la relation entre nos deux pays n’a jamais été réellement altérée. D’ailleurs, il n’y a pas eu besoin de médiateurs ou d’émissaires pour que nous nous rencontrions. » À l’en croire, le fait que la Côte d’Ivoire n’avait plus d’ambassadeur à Ouagadougou depuis le mois de juillet n’a pas aidé : « Le Burkina a connu une période particulièrement difficile au cours de laquelle les canaux de communication habituels ne fonctionnaient pas. Mais nous nous sommes enfin parlé et nous nous sommes compris. »

Bakayoko estime « qu’il n’est pas acceptable de recevoir un mandat d’arrêt dans ces conditions et sans respect des procédures »

Et d’affirmer que les échanges avec son nouvel homologue burkinabè, Alpha Barry, sont permanents, qu’une rencontre est d’ores et déjà prévue à Abidjan dans les prochaines semaines, que lui-même ira ensuite à Ouagadougou et que le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire, Soro Kapiélétien, va bientôt être installé dans ses fonctions. Les Conseils des ministres communs aux deux pays devraient aussi rapidement reprendre.

la suite après cette publicité

À Abidjan, on affirme donc que « l’épisode est clos » et que la coopération va s’intensifier dans tous les domaines, notamment dans le domaine économique. « C’était une tempête dans un verre d’eau, résume encore un diplomate ivoirien. La sérénité a toujours été de mise entre Roch et son aîné. Ils se fréquentent depuis très longtemps et connaissent trop leurs pays et leurs liens pour bousculer l’équilibre. »

Ce n’est pas un hasard si Ouattara a demandé à deux de ses collaborateurs les plus proches de travailler au dégel des relations : à Marcel Amon Tanoh, son directeur de cabinet et conseiller sur les questions diplomatiques, et à Hamed Bakayoko, son ministre de l’Intérieur, dont la proximité avec le président du Faso lui permet de jouer les go-between. Ils auront notamment la lourde tâche de négocier le retrait du mandat d’arrêt visant Guillaume Soro – Bakayoko estimant « qu’il n’est pas acceptable de recevoir un mandat d’arrêt dans ces conditions et sans respect des procédures ». Leurs espoirs reposent sur l’opposition initiale de Kaboré à l’émission même de ce mandat, lequel, selon plusieurs sources, doit son existence aux pressions répétées d’Isaac Zida.

La realpolitik de Roch Kaboré

Et côté Burkina ? Un mois à peine après sa prise de fonctions, Kaboré est déjà rattrapé par les exigences de la realpolitik ; il ne peut ignorer la dépendance économique du Faso aux terres éburnéennes. Il a par ailleurs été élu sur des promesses (en matière d’emploi, d’accès à l’eau, à l’électricité, etc.) dont la concrétisation dépend fortement du voisin ivoirien. « Le mandat de cinq ans pour lequel il a été élu ne va pas s’étendre, ironise un diplomate burkinabè. Il y a tellement de problèmes et les attentes des Burkinabè sont tellement grandes que ces bisbilles avec les Ivoiriens deviendront rapidement secondaires. Dans six mois, on n’en parlera plus ! »

Laurent Bigot, ancien diplomate français aujourd’hui à la tête du cabinet de conseil Gaskiya, ne dit pas autre chose : « Ni la Côte d’Ivoire ni le Burkina n’ont intérêt à ce que cette brouille se prolonge. Kaboré est confronté à tant de défis sécuritaires, sociaux ou économiques qu’il ne peut pas se permettre d’ouvrir un nouveau front avec Abidjan. Et puis tout le monde connaît les liens qui unissent Guillaume Soro et les anciens comzones ivoiriens au Burkina, et personne n’a intérêt à rouvrir ce dossier. Ce sont deux pays imbriqués, qui doivent marcher ensemble. »

Soit. Mais Kaboré doit aussi composer avec son opinion publique, qui n’apprécierait pas de le voir se mettre en travers de la route de la justice militaire. Il doit faire aussi avec les « faucons » de son parti, qui ne digèrent pas la présence de « Blaise » à Abidjan. L’un d’eux explique : « Le clan Compaoré a la rancune tenace contre tous ceux qui ont contribué à sa chute. Il est capable de tout ! » « Nous savions qu’ils n’allaient pas nous laisser gouverner tranquillement », ajoute un proche du président Kaboré ; allusion à peine voilée à l’attaque d’un dépôt d’armes, le 22 janvier, imputée à des anciens du RSP, et aux théories complotistes qui font florès depuis que Ouagadougou a été la cible d’attaques terroristes.

Ouattara a certes peu apprécié d’apprendre les manigances présumées du président de l’Assemblée nationale, mais il ne semble pas, pour l’instant, prêt à le lâcher

Le cas des ex-RSP qui se sont réfugiés à Abidjan après le putsch manqué de septembre a d’ailleurs été évoqué par les deux chefs d’État lors de leur rencontre éthiopienne. « Nous avons demandé de façon informelle à la Côte d’Ivoire de les ramener au Burkina pour qu’ils puissent être jugés comme tous les autres, mais nous avons également confirmé cela par des mandats d’arrêt », a affirmé le président burkinabè. À Ouaga, on certifie que Ouattara a promis qu’ils seront recherchés et mis à disposition de la justice burkinabè mais, côté ivoirien, le lyrisme des « deux pays au destin commun » vanté par Toikeusse Mabri laisse place à un silence plus gêné lorsque l’on entre dans les détails.

Le même silence entoure l’exécution des mandats d’arrêt contre Soro et Compaoré. Ouattara a certes peu apprécié d’apprendre les manigances présumées du président de l’Assemblée nationale, mais il ne semble pas, pour l’instant, prêt à le lâcher. Quant à Compaoré, Abidjan affirme s’être entendu avec les autorités burkinabè pour ne plus aborder la question d’une éventuelle extradition. L’intéressé, que Jeune Afrique a plusieurs fois rencontré, affirme d’ailleurs que le mandat d’arrêt ne lui a pas encore été notifié.

Récemment naturalisé ivoirien, il a aussi récupéré son passeport burkinabè. De là à dire qu’il peut désormais voyager plus librement et qu’il compte bien un jour ou l’autre rentrer chez lui, il n’y a qu’un pas que son entourage – et lui-même ! – franchissent volontiers. Réplique d’un proche de Kaboré : « Blaise reste au cœur du problème. » Un pas en avant, deux pas en arrière… Et dire que l’on pensait le tango enfin synchro !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image