Des Noirs et des microbes

On croit les gens éveillés. Mais on se rend compte qu’ils ne sont pas de notre époque. Que, bizarrement, beaucoup d’esprits sont obtus.

« J’ai voulu savoir pourquoi ils gaspillaient  toute leur énergie en jouant au football plutôt que de débarrasser le quartier des montagnes d’immondices » © Fernando Vergara/AP/SIPA

« J’ai voulu savoir pourquoi ils gaspillaient toute leur énergie en jouant au football plutôt que de débarrasser le quartier des montagnes d’immondices » © Fernando Vergara/AP/SIPA

ProfilAuteur_TshitengeLubabu
  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 28 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.

Un exemple ? « Les microbes ne tuent pas les Noirs. » Qui a dit cela ? Un ethnologue occidental déjanté ? Non. Un anthropologue occidental du dimanche ? Que nenni. Un raciste invétéré, un microbiologiste louftingue ? Non et non. Ce sont des Noirs, oui, qui le clament haut et fort ! Ils ne plaisantent pas, ils le pensent. Sous nos latitudes, c’est monnaie courante. Cette assertion est une conviction pour ceux qui n’aiment pas entendre parler d’hygiène publique, d’assainissement du cadre de vie. À Kinshasa, particulièrement, la phrase est répétée à l’envi.

Pas plus tard qu’en juin, des jeunes gens de mon quartier sont venus me demander une contribution financière pour un tournoi de football qui, ont-ils affirmé, est doté d’une coupe et oppose plusieurs quartiers de notre commune. J’ai donné ce que je pouvais. Ils sont revenus. J’ai encore donné ma quote-part. La troisième fois, j’ai dit non : c’était une arnaque permanente organisée par des parasites. Un vrai attrape-nigaud ! Je leur ai dit que je n’étais ni Crésus, roi de Lydie, ni Aristote Onassis, encore moins Bill Gates.

Les microbes ne tuent pas les Noirs. Sinon nous serions tous déjà morts »

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J’ai voulu savoir pourquoi ils gaspillaient toute leur énergie en jouant au football sur un terrain vague, dans un tournoi bidon, plutôt que de débarrasser le quartier des montagnes d’immondices qui nous entourent, comme dans le reste de notre capitale. En ajoutant que nous risquions, si ce n’est déjà le cas, d’attraper des maladies mortelles. Une voix s’est élevée pour me répondre, avec un incroyable aplomb : « Les microbes ne tuent pas les Noirs. Sinon nous serions tous déjà morts. » Pas de doute, ce garçon de moins de 25 ans, comme tous ses camarades, a entendu cette élucubration depuis son enfance de la bouche de ses parents ou d’autres adultes très mal inspirés et il y a cru.

« Ce sont les sorciers qui nous bouffent »

En suivant cette façon de voir les choses, j’ai demandé à mes interlocuteurs pourquoi nous mourrons quand même si les microbes ont peur de nous. La réponse suivante m’a été donnée : « Ce sont les sorciers qui nous bouffent ! » Parce que les sorciers existent ? « Bien sûr, vieux ! Nous sommes africains », me rétorque quelqu’un. Sapristi ! Si j’ai bien saisi le raisonnement, sorcier et africain sont indissociables. Mais quand je veux savoir qui connaît un sorcier, personne ne bronche.

Plus inquiétant, ces jeunes gens n’ont jamais entendu parler de changement climatique, de protection de l’environnement, d’hygiène… Ils vont continuer de jeter dans la rue des bouteilles et des sachets en plastique, des ordures ménagères et tout ce qu’ils auront entre leurs mains. Ils vont continuer d’acheter et de manger de la nourriture vendue sur des rues poussiéreuses et exposée à côté de caniveaux nauséabonds ou de poubelles à ciel ouvert. Et s’il leur arrivait de tomber malades ou de trépasser, leurs parents, incorrigibles, accuseront les « sorciers », c’est à-dire, en général, les grands-parents, les tantes, les oncles mécontents ou jaloux. Vous conviendrez avec moi que, malgré un semblant de saut dans la « modernité », nous sommes encore au Moyen Âge.

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