Formation continue

Tribune : comment le numérique se met au service de l’éducation en Afrique

Pour Antoine Amiel, PDG de la start-up LearnAssembly, spécialisée dans le maintien de l’employabilité et la formation continue auprès des entreprises, le numérique et notamment le téléphone mobile peuvent jouer un rôle dans la formation des futurs leaders africains.

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Mis à jour le 17 avril 2018
Antoine Amiel, PDG de LearnAssembly © Antoine Amiel/Learn Assembly/2018

Antoine Amiel/Learn Assembly/2018

Pour Antoine Amiel, PDG de la start-up LearnAssembly, spécialisée dans le maintien de l’employabilité et la formation continue auprès des entreprises, le numérique et notamment le téléphone mobile peuvent jouer un rôle dans la formation des futurs leaders africains.

Avec 230 millions d’habitants en 1950 et une estimation de 2,5 milliards en 2050, la croissance démographique africaine crée une pression sur les systèmes éducatifs tout simplement intenable. Depuis quelques années, les initiatives edtech – pour education technology – foisonnent, soit à l’initiative de start-up, soit de rapprochements entre ONG-acteurs étatiques et acteurs venus du numérique, soit venant de grandes entreprises qui voient dans la formation continue un levier stratégique pour réduire la fracture numérique et les écarts de compétences.

Démocratiser l’accès à la connaissance

Restons prudents : la jeunesse de ces initiatives privées ou publiques, l’absence d’études d’impact publiques ainsi que l’enthousiasme débordant et parfois naïf pour tout ce qui est numérique, invite à la prudence. Les innovations edtech ont cependant le mérite de proposer des solutions alternatives pour démocratiser l’accès à la connaissance et offrir des opportunités à ceux qui s’en saisiront. À titre d’exemple, les récentes polémiques autour de l’attribution des marchés publics de livres scolaires en Côte d’Ivoire montrent bien la difficulté de construire un système de formation, allant du primaire à la formation continue, via les canaux institutionnels.

L’enjeu est de donner accès au savoir, en contournant les contraintes structurelles comme l’équipement et l’accès à Internet.

Avec une population rurale oscillant de 30 % à 50 % selon les pays, voire plus dans des pays comme le Niger ou le Tchad, l’enjeu premier est d’arriver à toucher l’ensemble d’un territoire. Les investissements nécessaires à la construction d’écoles ou centres de formation continue sont colossaux; quand bien même les « murs » seraient construits, le recrutement, la formation d’équipes pédagogiques, la création des cursus seraient un travail de titan, auquel vient s’ajouter l’achat de plateformes de diffusion (learning management systems). L’enjeu est donc de donner accès au savoir, en contournant les contraintes structurelles comme l’équipement et l’accès à Internet.

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Les spécificités du continent africain (sous-investissement dans les infrastructures pédagogiques, forte population rurale éparpillée sur de vastes territoires, inégalités dans l’accès à Internet, faible maturité des entreprises sur la formation continue) favorisent l’émergence de stratégies pédagogiques de contournement et d’initiatives passionnantes.

Barrière des coûts

Le coût de l’éducation, primaire ou continue, est une barrière considérable. Pour remédier à ce problème, certains acteurs de l’éducation s’inspirent de modèles venus du mobile banking en utilisant le mobile comme un outil de partage de connaissances mais aussi d’achats de micro-contenus pédagogiques. Le mobile learning est en pleine effervescence en Afrique et propose des moyens d’accéder au savoir réellement innovants.

Le mobile learning est en pleine effervescence en Afrique et propose des moyens d’accéder au savoir réellement innovants.

La start-up kenyane eLimu a poussé ce concept en équipant des tablettes de contenus pédagogiques (activités, vidéos, jeux, quizzes) et en proposant un système de micro-paiement permettant aux parents de n’acheter que certains chapitres d’un manuel. La solution permet ainsi de contourner les problèmes de bande-passante et réduit le prix du matériel pédagogique.

Autre exemple très parlant, la société tanzanienne Ubongo. Elle conçoit des dessins animés pédagogiques interactifs, diffusés à la fois sur les chaînes de télévision nationales et maintenant sur une plateforme réutilisable par des ONG ou professeurs. Mais la société va plus loin que la simple production de contenus digital learning : elle crée des quizzes associés aux cartoons, auxquels les enfants peuvent répondre sur mobile. La complémentarité entre télévision et mobile permet de démocratiser l’accès au savoir, mais aussi de mettre en pratique.On peut également citer Eneza, qui revendique 200 000 étudiants actifs mensuels ou encore Chalkboard Education qui propose une solution de mobile learning sans connexion wifi.

Les solutions de démocratisation de l’éducation en Afrique ne s’arrêtent pas à l’éducation primaire ou secondaire. Au contraire, c’est peut-être sur le plan du lifelong learning, ou formation tout au long de la vie, que tout pourrait se jouer.

Apprendre à apprendre

La formation continue est le meilleur moyen de compenser des inégalités : elle est l’école de la seconde chance. La vague de digitalisation du savoir entamée notamment avec les Massive open online courses (Moocs) est une aubaine formidable pour la formation continue en Afrique, leur gratuité – seul le certificat étant payant – rendant accessible le savoir.

L’enjeu prioritaire n’est pas tant de produire du contenu pédagogique mais bien de développer une culture du lifelong learning

Mais les limites de cette vague de digitalisation sont réelles : au cours de déplacements dans plusieurs pays africains pour y travailler sur les stratégies de formation digitales, j’ai pu constater que l’écrasante majorité des personnes interrogées, pourtant diplômées de l’enseignement supérieur et bien insérées professionnellement, n’avaient tout simplement jamais entendu parler des Moocs, applications de mobile learning ou autres dispositifs pédagogiques, et plus généralement des contenus gratuits ou abordables d’auto-formation.

On le voit, l’enjeu prioritaire n’est pas tant de produire du contenu pédagogique – celui-ci existe déjà ou sera créé -, mais bien de développer une culture du lifelong learning, une culture d’apprendre à apprendre. À ce titre, les entreprises ont un rôle important à jouer. La difficulté à recruter oblige les entreprises à investir dans la formation de leurs collaborateurs. Certaines grandes entreprises panafricaines ou étrangères implantées en Afrique se préoccupent de plus en plus du développement des compétences des salariés pour pallier les manques.

Le digital learning est également un levier puissant pour démocratiser le savoir

Afin de professionnaliser les managers, les entreprises cherchent à faire émerger des modèles de leadership africains, plutôt que d’importer des modèles venus d’Europe ou des États-Unis. L’African Leadership University, dont les campus sont installés à Maurice et au Rwanda – pays moteur de la transformation numérique  – est l’exemple de ces offres universitaires pensées par des Africains pour des Africains.

Le digital learning est également un levier puissant pour démocratiser le savoir; qu’il s’agisse de savoir-faire industriel ou technique, de formations comportementales ou sur le digital, la création de digital learning factories dans des entreprises permet de valoriser le savoir de quelques experts pour le diffuser à tous. Nous avons ainsi observé l’impact de la digitalisation des compétences d’experts qui deviennent ainsi des role models et valorisent le fait d’apprendre.

Créer une culture commune

Cette reprise en main par les entreprises de la formation est une tendance structurelle. Avec la transformation numérique, les entreprises ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin. les opérations de croissance externes menées notamment par des entreprises sud-africaines ou marocaines entraînent des besoins de formation énormes. Le learning est un moyen de créer une culture commune, de réduire les silos. Plutôt que d’attendre et partant du principe qu’elles ont les savoir-faire, elles créent leurs propres contenus, soit sous forme de Moocs d’entreprise, soit de partenariats avec des universités.

En conclusion, si l’accès au contenu pédagogique reste le frein le plus évident pour l’éducation primaire, ce n’est plus le cas pour la formation continue. Certains individus se forment directement sur des cours en ligne ou plateformes de social learning, mais restent encore trop peu nombreux. Les États, les startups et les entreprises ont un effort d’évangélisation et de pédagogie sur le sujet de la formation à faire, pour développer l’empowerment et fluidifier l’accès aux compétences nécessaires au développement du continent.

Ces actions d’empowerment individuels et collectifs peuvent se faire par la création d’incubateurs comme Injini, spécialisé dans l’éducation en Afrique du Sud. Mais aussi par la diffusion de contenus pédagogiques sur mobile ou télévision; par la localisation et le sous-titrage encore trop souvent anglophones ou francophones; par la diffusion de moocs dès l’enseignement secondaire; et enfin par des investissements des grandes entreprises dans la formation, et l’ouverture de ces formations à l’extérieur. Enfin, l’accès au digital learning pour les femmes est probablement l’enjeu le plus complexe et ambitieux. Là encore, l’entreprise a un rôle sociétal à jouer.