En Algérie et dans le reste du Maghreb, des tabous freinent le don d’organes

En lui offrant un rein, Nawel a permis à son mari Boubaker d’en finir avec 16 ans de dialyse, « une renaissance ». Mais en Algérie comme ailleurs dans le Maghreb, des patients souffrent ou meurent faute de greffe, souvent en raison de règlements et de préjugés tenaces dissuadant les dons.

Le Dr Ahmed Bougroura (D), chef du service de néphrologie du CHU de Batna, s’entretient avec un patient qui vient d’être transplanté, le 26 juillet 2017. © AFP / Ryad Kramdi

Le Dr Ahmed Bougroura (D), chef du service de néphrologie du CHU de Batna, s’entretient avec un patient qui vient d’être transplanté, le 26 juillet 2017. © AFP / Ryad Kramdi

Publié le 17 septembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Des lois restrictives freinent les prélèvements sur les défunts, auxquelles s’ajoutent des réticences culturelles ou religieuses — que des médecins et de théologiens musulmans jugent pourtant infondées.

Ainsi, parce qu’il croyait faire courir un risque à son épouse, Boubaker Ziani, un Algérien de 47 ans, a longtemps refusé cet organe que Nawel lui proposait. Elle ne supportait plus de voir son mari affaibli, incapable de porter ses enfants ou de jouer avec eux.

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Il s’est finalement résolu à l’accepter, en l’absence d’alternative.

Boubaker Ziani a été opéré au Centre hospitalier universitaire de Batna, à 435 km à l’est d’Alger, devenu l’un des deux « centres de référence » pour les greffes de rein en Algérie, grâce à une jeune équipe médicale multidisciplinaire.

« Je suis comme un nouveau-né », a-t-il expliqué à l’AFP les larmes aux yeux, après cette greffe salvatrice.

Dans une salle de consultation, Abderahmane, 47 ans, va lui en finir avec 24 ans de dialyse grâce au rein donné par sa mère. « La dialyse a dominé mon existence. Je veux pouvoir me reposer de cette machine et vivre », confie-t-il.

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Sa maladie est héréditaire. Un de ses frères, non greffé, est mort. Un autre est sous dialyse depuis deux ans.

En Algérie, plus de 22.000 insuffisants rénaux sont sous dialyse, selon le ministère de la Santé. Un tiers d’entre eux attend une transplantation rénale.

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Le nombre exact de patients en attente de transplantation en Algérie, tous organes confondus, est inconnu car il n’existe aucun registre national les recensant.

De nombreux malades ont besoin d’une greffe de foie, et sont ainsi tributaires du don d’un parent ou d’une personne décédée. Beaucoup d’autres sont dans une situation critique parce qu’ils ont besoin d’un coeur, par exemple, un organe qu’on ne peut prélever que sur un défunt.

Or la loi algérienne prévoit qu’une personne vivante ne peut donner qu’à ses parents, ses enfants, son frère, sa soeur et son conjoint. Ce qui limite les possibilités de greffe.

Et elle soumet le prélèvement des organes d’un défunt à l’accord de sa famille, or l’écrasante majorité s’y oppose par manque d’information, par crainte d’enfreindre un éventuel interdit religieux ou par défiance vis-à-vis des médecins.

« Aumône continu »‘

Dans une société gangrenée par la corruption, certains craignent que les greffes ne bénéficient qu’à ceux ayant les moyens de s’offrir un organe.

« Certaines familles n’avaient jamais entendu parler de prélèvement sur cadavre avant le décès de leur proche », explique à l’AFP le Dr Ahmed Bougroura, chef du service de néphrologie du CHU de Batna et coordinateur de l’équipe greffe.

Le théologien Kamel Chekkat, membre de l’association des oulémas d’Algérie, balaie les tabous liés à l’islam: « Du point de vue religieux, rien ne s’oppose au don d’organes et au prélèvement sur des cadavres », explique-t-il.

Selon lui et d’autres théologiens musulmans, le don d’organe est même « une aumône continue » (sadaqa jâriya), terme qui désigne dans l’islam un bienfait qui se poursuit après le décès de son auteur.

Ce don réalise « l’un des objectifs majeurs de la loi canonique musulmane, qui est la préservation de la vie », précise Kamel Chekkat.

À ceux qui s’inquiètent de la piété du receveur, il rappelle que « quelle que soit la religion du patient, et même si c’est un ennemi de Dieu, la loi de Dieu veut que l’on préserve sa vie ».

Sensibiliser

En 2015, seuls deux reins d’un donneur décédé ont été transplantés en Algérie, selon l’Observatoire mondial sur le don et la transplantation (GODT). Et les organes d’à peine une dizaine de défunts ont été prélevés au Maroc ou en Tunisie, la situation n’est pas meilleure.

« Le don d’organes (…) peine à s’ancrer au Maroc bien qu’il n’y ait aucune interdiction, ni médicale ni légale ni religieuse », regrettait récemment Saïd Sabri, responsable de l’association marocaine de don d’organes.

En Tunisie, « comme dans tous les pays du Maghreb (…) le don de personnes décédées reste minime », essentiellement en raison du refus des familles, selon le Dr Rafika Bardi, directrice du Centre tunisien pour la promotion de la transplantation d’organes (CNPTO).

Elle déplore « l’absence de culture du don d’organes (…) et une confusion chez les gens entre le don et le trafic d’organes ».

Pour encourager les dons, l’Algérie étudie une modification de la loi qui permettrait à chacun d’indiquer par écrit s’il refuse ou autorise que ses organes soient prélevés en cas de décès, permettant dans ce dernier cas de passer outre un refus de la famille.

Les spécialistes jugent une telle initiative insuffisante : ils réclament la création d’une « liste des refus », où s’inscriraient ceux s’opposant à tout prélèvement, ce qui permettrait à l’inverse de considérer comme donneur quiconque n’y figurant pas, selon le principe du consentement présumé. Une telle mesure, en vigueur en France notamment, est aussi réclamée en Tunisie.

Médecins et patients algériens demandent surtout des campagnes d’information: « Quand il s’agit d’aller voter, l’État met tous les moyens pour que même une personne sous une tente au Sahara soit informée », s’insurge Farid Sekouf, 41 ans dont six sous dialyse. Il s’apprête à recevoir le rein de son épouse.

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