Un conflit clanique ravage le centre du Soudan du Sud, épargné par la guerre civile

Epargné par la guerre civile qui ravage le Soudan du Sud, l’Etat des Lacs (centre) est pourtant ensanglanté depuis plusieurs années par un conflit communautaire meurtrier et destructeur, avec un interminable cycle de tueries et de représailles entre voisins.

Un conflit clanique ravage le centre du Soudan du Sud, épargné par la guerre civile © AFP

Un conflit clanique ravage le centre du Soudan du Sud, épargné par la guerre civile © AFP

Publié le 6 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

« Avant, vous pouviez aller dans un autre village ou un autre district (. . . ) maintenant vous risquez d’être tué », explique Sebastian Mabor, infirmier de 37 ans, qui a échappé à la mort début février.

Parti à la recherche d’une de ses vaches, il est tombé sur un groupe de jeunes armés de fusils. « L’un a dit +on doit le tuer+, mais un autre a dit +non, il doit d’abord dire à quel sous-clan il appartient+ ». Par chance, Sebastian n’est pas du sous-clan dont voulaient se venger ces jeunes.

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Le Soudan du Sud compte 64 peuples, les plus nombreux étant les Dinka et les Nuer. Comme d’autres, le peuple dinka est constitué de plusieurs clans, eux-même subdivisés en sous-clans.

Si les conflits sanglants entre tribus ne sont pas rares au Soudan du Sud, le cycle meurtrier dans les Lacs a ceci de « particulier qu’il est devenu très virulent au sein d’une même tribu et d’un même voisinage », explique le père catholique Henry Gidudu, coordinateur Paix et justice du diocèse.

Les sous-clans qui s’affrontent sont tous issus du clan Dinka Agar, ultra-majoritaire dans l’Etat des Lacs.

« Le conflit empire, on assiste à vengeance après vengeance, les gens se tuent, se détruisent », poursuit le père Henry. Une situation telle que mi-février, le président sud-soudanais Salva Kiir lui-même – un Dinka – a pris part à Rumbek, capitale de l’Etat, à une « conférence de paix » rassemblant responsables locaux, chef traditionnels et religieux.

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« C’est un conflit purement intraclanique » qui « n’a rien à voir avec la guerre civile » opposant depuis décembre 2013 le gouvernement (dominé par les Dinka) à une rébellion (dominée par les Nuer), souligne le prêtre.

– La vache, dot et monnaie d’échange –

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Au départ, souvent un vol de bétail: la vache, élément central de la culture dinka, sert notamment de monnaie et de dot, et les razzias traditionnelles se sont désormais muées en raids meurtriers sur des villages. Ou une banale altercation entre jeunes: des coups partent, des proches arrivent armés de bâtons ou de lances. Cela se termine souvent par un mort qu’il importe alors de venger.

L’oncle de David Deng, gardien de 34 ans, a ainsi péri dans une bagarre qui a déclenché représailles et contre-représailles: un an de violences et plus de 70 morts, avant que l’affaire ne soit réglée par des compensations en vaches aux familles des victimes.

Ces vengeances « existaient dans le passé, mais on n’avait jamais compté autant de morts », explique James Kunhiak, gestionnaire de 28 ans. La kalachnikov a remplacé lances et bâtons traditionnels et transformé les représailles en véritables opérations punitives, durant lesquelles des dizaines d’hommes armés de fusils automatiques fondent sur des villages.

Dans la région, où les armes pullulent depuis la guerre d’indépendance contre Khartoum (1983-2005), les autorités ont récemment « distribué massivement des armes (aux civils) pour combattre la rébellion », admet le vice-gouverneur de l’Etat, Santo Domic Chol.

Selon lui, cette « prolifération des armes a sapé les modes traditionnels » de résolution des conflits et amoindri l’influence des chefs traditionnels.

Dieng et Kunhiak prônent un « désarmement complet » pour faire cesser les tueries. Mais « le gouvernement est réticent à désarmer » une population supposée lui être favorable dans la guerre civile, selon James Kunhiak.

Selon le vice-gouverneur, désarmer n’est pas simple: la population n’a pas confiance dans les institutions ou les forces de sécurité et chacun préfère garder une arme.

Les tueries suppléent notamment à l’indigence du système judiciaire. « Si vous tuez quelqu’un, vous ne serez jamais arrêté; ou si c’est le cas, vous devrez simplement payer une compensation, souvent supportée par le clan », explique M. Kunhiak.

Pour le père Henry, « il faut aussi changer les mentalités » et « passer d’une culture de la violence à une culture de la paix, d’une culture de la vengeance à une culture du pardon ».

Chez les Dinka, « si vous ne vous vengez pas, vous êtes un lâche », rappelle le vice-gouverneur. « C’est un état d’esprit, il faut montrer que vous n’êtes pas faible » et la pression du groupe s’ajoute à la perte d’influence modératrice des aînés, reconnaît James Kunhiak.

Récemment, un homme a vengé son père, tué il y a 12 ans. Il avait à l’époque choisi de ne pas répliquer, mais pendant toutes ces années, « les gens l’ont harcelé pour qu’il se venge », raconte David Deng. Le fils a tué un important chef traditionnel, déclenchant un nouveau cycle sanglant.

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