Ethiopie: la scène jazz ébranlée par l’incendie du légendaire Jazzamba

Un amas de fers tordus et de cendres: c’est tout ce qui reste de Jazzamba, le club d’Addis Abeba qui a redonné vie au jazz éthiopien après les années de plomb de la dictature communiste.

Ethiopie: la scène jazz ébranlée par l’incendie du légendaire Jazzamba © AFP

Ethiopie: la scène jazz ébranlée par l’incendie du légendaire Jazzamba © AFP

Publié le 3 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Un incendie l’a dévasté en janvier, laissant la bouillonnante scène musicale locale en plein désarroi.

« Je n’arrive toujours pas à y croire », se désole Misale Legesse, un percussionniste habitué des lieux.

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« Pour moi, ce n’était pas seulement un club. C’était mon école. Là où j’ai tout appris et joué avec les plus grands », dit-il en désignant la scène entièrement carbonisée sur laquelle on peut encore discerner des enceintes noircies et, au sol, un micro.

Trois soirs par semaine, le jeune musicien avait l’habitude de se produire avec les grands noms de l’Ethio-jazz, comme Alemayehu Eshete ou Bahta Gebrehiwot. Le genre musical, inventé par Mulatu Astatke dans les années 60, est issu de la fusion du jazz et de la musique traditionnelle éthiopienne.

Jazzamba peut se targuer d’avoir été le premier club d’Addis à proposer des concerts tous les soirs et à promouvoir le jazz autrement que comme une musique d’accompagnement dans les restaurants des grands hôtels de la ville.

« Des musiciens de tous les horizons venaient jouer les uns avec les autres. Nous avions jusqu’à 300 ou 400 personnes qui se serraient dans la salle. Cela a vraiment contribué à créer un mouvement. Puis cet accident est arrivé? », regrette Henok Temesgen, bassiste et l?un des fondateurs du club.

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Le Jazzamba était hébergé dans le légendaire Taitu Hotel, le plus vieil hôtel d’Addis, construit au début du siècle dernier et baptisé du prénom de l’épouse de l’empereur Menelik II.

Avec ses boiseries et sa décoration quasi d’origine, la bâtisse a servi de décor au roman satirique « Scoop » de l’écrivain britannique Evelyn Waugh et aux déboires de son héros, un correspondant de presse venu couvrir l’invasion italienne de l’Abyssinie de l’époque. Nichée au c?ur du quartier italien de Piazza, elle a depuis gardé un charme suranné unique à Addis Abeba.

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Avant d’être ravagé par les flammes, le Jazzamba n’était lui ouvert que depuis quatre ans. Mais en quatre ans, il avait su s’imposer comme le club de jazz de référence de la capitale, contribuant même grandement à la redécouverte de l?Ethio-jazz brisé par les années du régime communiste de Mengistu (1977-1991).

– Lente renaissance –

Pendant les deux décennies de règne du « Negus (empereur) rouge », la scène musicale éthiopienne était tombée dans l?oubli.

Les clubs avaient fermé. Les musiciens s’étaient exilés.

« En dehors de chansons à la gloire du régime et de quelques boîtes de nuit, il ne se passait plus rien », rappelle Henok Temesgen.

Il a fallu attendre la fin des années 90 pour assister à la lente renaissance du jazz éthiopien.

« Les gens n’avaient plus l’habitude d?écouter de la musique instrumentale. Il fallait nécessairement avoir un chanteur sur scène. Aujourd’hui, grâce aux stations de radio et aux clubs comme Jazzamba, le public est beaucoup plus ouvert à l’improvisation et à la musique expérimentale », explique-t-il.

Depuis, l’intérêt pour le jazz éthiopien n’a plus faibli.

« La scène musicale éthiopienne est très dynamique. Le public local s’intéresse de plus en plus à l’Ethio-jazz et à la musique traditionnelle. De plus en plus de gens viennent aux concerts », se félicite Girum Mezmur, co-fondateur de Jazzamba.

Depuis l’incendie, le guitariste a trouvé refuge avec ses musiciens au Mama’s Kitchen, un nouveau restaurant de la ville, qui propose plusieurs concerts par semaine et ambitionne de devenir un haut lieu de la scène musicale d’Addis.

« Nous avons perdu un club emblématique dans un lieu chargé d’histoire, c’est vrai. Mais la scène musicale d’Addis ne se résume pas à Jazzamba. Je suis très optimiste sur le développement de la musique éthiopienne », nuance le guitariste.

Le Coffee House, l’un des premiers clubs de jazz de la ville, vient ainsi tout juste de rouvrir après des années de fermeture.

Persuadés que l’Ethio-jazz a un bel avenir devant lui, Girum Mezmur et Henok Temesgen ont fondé une école dans les environs d?Addis: elle propose une formation sur trois ans, et accueille 70 élèves.

L’établissement était jusqu’ici entièrement financé grâce aux revenus du Jazzamba. Mais un producteur éthiopien de vin, Awash, s?est proposé pour compenser pendant un an les pertes liées à la fermeture du club.

De quoi envisager plus sereinement la reconstruction éventuelle de Jazzamba, et l’avenir du jazz éthiopien.

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