Ebola, la pire des missions pour des humanitaires endurcis

C’est l’ennemi invisible, foudroyant, qui impose aux soignants des conditions de travail à la limite du supportable. Pour des humanitaires même endurcis par 20 ans de terrain, Ebola est une épreuve exténuante qui malmène les émotions.

Ebola, la pire des missions pour des humanitaires endurcis © AFP

Ebola, la pire des missions pour des humanitaires endurcis © AFP

Publié le 21 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

« Sur un conflit, vous évitez les zones où il y a un risque, des mines. . . Ici l’ennemi est partout », résume le Dr Joachim Gardemann, pédiatre allemand qui dirige l’hôpital de campagne de la Croix-Rouge près de Kenema, dans l’est de la Sierra Leone où le virus a tué au moins 1. 250 personnes.

« Ca fait 20 ans que je travaille avec la Croix-Rouge, j’ai suivi la plupart des conflits, Rwanda, Bosnie, Syrie. D’ordinaire, la médecine est votre meilleure protection car, si vous travaillez bien, personne ne viendra s’en prendre à vous. Avec Ebola, vous-mêmes êtes une cible ».

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Le virus a frappé des centaines de soignants locaux, sans épargner leurs collègues de pays plus développés.

Un médecin du contingent cubain en Sierra Leone a été évacué jeudi vers Genève après avoir été contaminé et une coopérante espagnole de Médecins sans frontières (MSF) qui s’est blessée en soignant un malade d’Ebola au Mali a été rapatriée par précaution à Madrid vendredi.

A Kenema, une vingtaine de médecins infirmiers étrangers – suisses, canadien, norvégien, portugais – s’affairent autour des 60 lits.

« Nous avons de l’expérience, vécu des guerres, des tremblements de terre, des tsunami, des inondations. . . Sur une catastrophe, après quelques jours vous avez de moins en moins de nouveaux patients. Ici, ça augmente », reprend le pédiatre.

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Les conditions de travail sont épuisantes dans ces combinaisons qui les couvrent de la tête aux bottes en caoutchouc, visage et yeux compris, protégés par les masques en plexiglas sous plus de 35°C.

L?infirmière écossaise Margie Lee et sa cons?ur Liz, de Nouvelle-Zélande, sortent d’une rotation auprès des malades: elles ont perfusé une fillette exsangue, courbées en deux au-dessus d’elle, gênées par la double épaisseur des gants de caoutchouc.

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Les deux femmes passent simultanément à la douche chlorée et au déshabillage, l’exercice le plus délicat puisqu’il faut se débarrasser de la combinaison en réduisant les contacts au strict minimum. Malgré l’épuisement, elles doivent agir lentement, concentrées. Liz regarde en l’air, Margie a fermé les yeux.

‘Emotionnellement épuisant’

Chaque élément est retiré méthodiquement, sous les ordres de « l’habilleur » qui contrôle les gestes. Le tout prend 15 à 20 minutes. Sous la combinaison, les blouses sont détrempées. Sans chance de prendre une douche avant ce soir. « Sans l’habilleur, même après trois semaines on sauterait une étape », confie Margie.

« On fait deux à trois vacations par jour, d’une heure maxi. Toujours par deux et avec une montre sur la manche pour contrôler le temps écoulé. On doit bouger doucement. La sueur forme un brouillard sur les masques, elle coule dedans. . . C’est difficile de poser une intraveineuse ainsi, surtout avec les gants. Mais on sait qu’on n’a pas droit à l’erreur », dit-elle.

« C’est émotionnellement épuisant », lâche-t-elle. Les patients meurent subitement, comme cet enfant de 18 mois hier matin. Le bébé était arrivé il y a deux semaines avec sa mère, morte depuis. Lui paraissait s’en tirer. Mais Ebola c’est ça, dit-elle: « Vous parlez avec quelqu’un qui semble bien et une heure plus tard, il est mort ».

La voix de Margie se casse. « Les enfants. . . ils meurent tout seuls, subitement, sans personne à leur côté. Les autres ont peur d’eux, ils ne s’approchent pas ». Et quand ils la voient, elle, c’est derrière son masque. « Mais ils ne semblent pas perturbés par notre apparence, ils l’acceptent, c’est tout ».

« L’étrangeté de la situation, juge la gestionnaire du centre Ranveig Tveitnes, une solide Norvégienne, c’est qu’ici votre sécurité passe en premier, puis la santé publique (empêcher la propagation, NDLR) et enfin seulement, le patient. C’est difficile pour des soignants ».

« Et ça ne s’arrête jamais: le soir on évoque les cas du jour ». Paradoxalement, seul le cimetière, à l’écart sous les arbres, permet de décompresser.

Les missions durent 4 à 5 semaines, sans contact tactile – ni poignée de mains, ni bises, pas de bras secourables. Alors, quand récemment, un médecin britannique devenu un ami a quitté le centre, raconte le pédiatre allemand, « on a tous deux revêtu une combinaison pour pouvoir se donner une grande accolade ».

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