Nigeria: une clinique en lutte contre Ebola paye le plus lourd tribut

Si le Nigeria est venu à bout du virus Ebola, la clinique First Consultants, saluée pour sa gestion héroïque du premier cas importé à Lagos, mettra des années à se remettre de cette épidémie, dont elle a payé le plus lourd tribut en nombre de victimes.

Nigeria: une clinique en lutte contre Ebola paye le plus lourd tribut © AFP

Nigeria: une clinique en lutte contre Ebola paye le plus lourd tribut © AFP

Publié le 22 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

Parcourant les pièces immaculées de sa clinique, imprégnée d’une forte odeur de désinfectant, le docteur Benjamin Ohiaeri, les traits tirés, revient sur le séisme que lui et son équipe ont traversé ces trois derniers mois, depuis que le fonctionnaire libérien Patrick Sawyer y a été admis et qu’il y est mort d’Ebola, cinq jours plus tard, après avoir contaminé 13 personnes dont 11 de ses employés.

Au total, l’épidémie a fait 20 victimes au Nigeria, dont huit sont décédées. Si la propagation du virus a pu être contenue dans le pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants), aux hôpitaux publics en piteux état, c’est en grande partie grâce au comportement exemplaire des médecins de ce petit établissement privé de 40 lits.

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Le docteur Stella Adadevoh, notamment, fut la première à diagnostiquer l’Ebola chez le patient, puis elle s’est opposée physiquement à son départ, malgré des pressions morales très importantes de la part de l’entourage du malade.

Quand M. Sawyer a été informé qu’il n’était pas autorisé à quitter la clinique, « il a arraché son intraveineuse et a fait gicler du sang partout, de façon intentionnelle », contaminant plusieurs employés à la fois, raconte M. Ohiaeri, dont le Dr Adadevoh, qui a succombé au virus par la suite.

Après la décontamination de tout le bâtiment, supervisée par un expert de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il a fallu remplacer l’ensemble du matériel contenu dans chacune des pièces traversées par M. Sawyer, de la salle des urgences au laboratoire, en passant par la plomberie de sa salle de bain et par les machines à laver le linge qui avaient contenu ses draps souillés.

Les pertes se chiffrent en millions d’euros pour l’établissement qui a aussi dû fermer pendant deux mois, en continuant à payer les salaires de tous ses employés, et n’a bénéficié pour l’instant que de l’aide financière de donateurs privés.

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– Combattre la stigmatisation des rescapés d’Ebola –

Pour cette clinique fondée par le docteur Ohiaeri il y a plus de 30 ans, le plus dur va être de regagner la confiance des patients, qui sont pour l’instant dix fois moins nombreux qu’auparavant.

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« Nous avons perdu une énorme partie (de notre clientèle) à cause de la stigmatisation » et cela prendra un an, voire deux, à changer, explique-t-il.

Le bâtiment en brique rouge, situé au coeur du quartier populaire d’Obalende, est aujourd’hui associé au virus dans l’esprit du public. D’autant que certains des médecins et des infirmières sont des survivants d’Ebola, souvent accueillis par leur communauté avec une méfiance extrême.

« Il y a un vrai besoin d’informer les gens » sur la façon dont ont attrape l’Ebola, « pour combattre la stigmatisation » des rescapés estime le docteur Akinniyi Fadipe.

Ce médecin de 29 ans a contracté la maladie en pénétrant à deux reprises dans la chambre de M. Sawyer, où il pense avoir touché des éléments souillés. Guéri, il a pu reprendre son travail à First Consultants récemment.

Dennis Akhaga, le mari d’une infirmière de First Consultants décédée d’Ebola, qui a lui-même contracté la maladie mais a pu en guérir, dit avoir été rejeté par son voisinage, au point de se voir refuser l’accès à l’épicerie et au salon de coiffure de son quartier. Il a même perdu son emploi de commercial dans une compagnie pétrolière nigériane, quand son employeur a appris que son épouse avait contracté l’Ebola.

Aujourd’hui, alors que la clinique First Consultants tourne au ralenti et qu’une grande partie des employés souffrent de stress post-traumatique, le docteur Ohiaeri estime que son équipe « a pris les bonnes décisions », « dans l’intérêt public », mais « paie un trop lourd tribut pour pouvoir l’assumer seule », autant d’un point de vue logistique que financier.

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