A Raïs, on vote pour conjurer le mauvais sort des massacres

A Rais, un village de la banlieue d’Alger victime de l’un des plus grands massacres des années 1990, les habitants votaient jeudi pour « la stabilité » et « la paix » lors de l’élection présidentielle.

A Raïs, on vote pour conjurer le mauvais sort des massacres © AFP

A Raïs, on vote pour conjurer le mauvais sort des massacres © AFP

Publié le 17 avril 2014 Lecture : 3 minutes.

« La paix vaut mieux que toutes les richesses », affirme Abdelkrim, un retraité qui s’est rangé dans la file d’attente avant même l’ouverture du bureau de vote à 08h00 (07H00 GMT).

Les électeurs sont pour la plupart âgés. « Le plus gros contingent des électeurs arrive après le déjeuner et la prière de la mi-journée », observe l’un d’eux.

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« Nous votons pour la paix, c’est tout ce que nous voulons », lance Khadidja, la cinquantaine, dont le mari a été tué en cette terrible nuit du 28 au 29 août 1997.

Cette nuit-là, des hommes du Groupe islamique armé (GIA) ont pénétré dans Raïs, au coeur de la plaine agricole de la Mitidja, et massacré sans discernement des centaines d’habitants, fusillés ou égorgés.

Enveloppé dans un voile ne laissant apparaître que ses grands yeux noirs soulignés de khôl, Khadidja reste submergée d’émotion à l’évocation de cette nuit.

Mais « tout a changé » dans ce bourg de 8. 000 habitants, se félicite Kheïra, également voilée. « Nous pouvons maintenant sortir et rentrer chez nous sans avoir en nous cette peur qui nous a tordu les entrailles durant de nombreuses années ».

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« Certains d’entre nous font encore des cauchemars. Mais nous apprenons à panser nos blessures », ajoute-t-elle, un sourire en coin.

Dans l’école transformée en bureau de vote, le directeur de l’établissement, Mohamed Kelouaz, également chef du centre de vote de Rais, tient sous son contrôle 12 bureaux de vote pour 5. 028 électeurs inscrits. « Ici tout est transparent, aucune fraude n’est possible », assure-t-il en désignant un tableau dans la cour nettoyée avec un puissant jet d’eau.

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La fraude, « mal incurable » des élections en Algérie selon la presse, a été un thème dominant de la campagne électorale.

« Toutes les informations seront affichées sur ce tableau: le nombre de votants dans chaque bureau, les noms des directeurs de bureaux, des observateurs désignés par les candidats. . . Je veux que tout fonctionne », ajoute-t-il.

Jeudi matin, des représentants du président sortant Abdelaziz Bouteflika et de son principal rival Ali Benflis étaient présents dans ce centre, mais pas des quatre autres candidats. « Même si au fond de moi, j’ai mes préférences, je ne dois rien laisser apparaître en tant que directeur », explique M. Kelouaz.

– Peur de revivre l’horreur –

Mercredi, le préfet délégué de la circonscription a inspecté les lieux en compagnie du maire. Les gendarmes sont pour leur part présents depuis mardi.

Un ancien wali (préfet) ayant révélé que la fraude avait bien lieu, Ali Benflis a interpellé directement les fonctionnaires, préfets et sous-préfets, n’hésitant pas à employer un argument religieux.

« La fraude est haram » (péché), a-t-il insisté, ce qui lui a attiré le courroux de M. Bouteflika, qui l’a accusé de « terrorisme à travers la télévision ».

Redouane, 44 ans, vote sans grande conviction. « C’est juste une façon de conjurer le mauvais sort » car « j’ai peur de l’instabilité, de revivre l’horreur des années 1990. Je ne veux pas me rappeler cette nuit-là ». Sa soeur Aicha, 35 ans, partie passer la nuit chez ses frères avec ses trois enfants, a été égorgée avec trois de ses belles-s?urs.

« J’étais dehors quand les tirs ont commencé, j’ai réveillé mes frères et nous nous sommes enfuis sans nous imaginer qu’ils pouvaient s’en prendre aux femmes et aux enfants. L’horreur a duré de minuit à 4 heures du matin. Le reste vous le connaissez, au moins 500 morts enterrés à la hâte dans deux cimetières », raconte Redouane la voix nouée et les yeux embuées.

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