RDC – Télévision : quand profusion rime avec saturation

Des centaines de chaînes de télé et de radio, autant de journaux. Tous soumis à une influence politique ou économique, et une seule petite poignée vraiment rentables… La presse congolaise se dit malade.

La chaîne privée B One Télévision sort du lot en termes d’équipement. © Baudouin Mouanda pour J.A.

La chaîne privée B One Télévision sort du lot en termes d’équipement. © Baudouin Mouanda pour J.A.

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Publié le 18 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

RDC : Mbote changement ?
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RDC : Mbote changement ?

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En RD Congo, il existe une telle profusion de journaux et de chaînes de radio et de télévision que même les responsables du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), l’organe de régulation créé en 2011 par le gouvernement, ont du mal à s’y retrouver. Il en naît tous les jours ou presque. La seule ville de Kinshasa compte une soixantaine de chaînes de télévision, plusieurs dizaines de radios, autant de titres de presse écrite. Mais si, en une vingtaine d’années, le nombre de médias a explosé, une question se pose toujours et de façon de plus en plus aiguë : cette prolifération est-elle synonyme de viabilité économique, de professionnalisme, d’indépendance et de responsabilité dans le traitement et la diffusion de l’information ? Rien n’est moins sûr.

L’audiovisuel privé est né à un moment où, après l’ouverture de l’espace politique, en 1990, la soif de parole était grande. C’est dans ce contexte que, en 1994, Ngongo Luwowo, un ancien journaliste de Télé-Zaïre entré en politique, a lancé Télé Kin-Malebo (TKM), la première chaîne de télévision privée du pays. Comme le souligne un observateur, « à l’époque, l’inaccessibilité à certains médias créait le besoin de posséder le sien ». Au fil des années, détenir sa propre chaîne de télévision ou de radio est devenu une préoccupation majeure pour quiconque caresse des ambitions politiques et rêve de peser sur le cours des événements. Jusqu’à ce que la quasi-totalité des médias audiovisuels se trouve appartenir à des politiques, qui les gèrent directement ou via leurs hommes de confiance.

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Viabilité

Beaucoup de chaînes ont ainsi vu le jour à la veille d’élections avant de disparaître sitôt le scrutin passé. Car fonctionner sur le long terme n’est pas simple. Surtout si, comme c’est souvent le cas, il y a un couplage télévision-radio.

« Les médias audiovisuels sont confrontés à un problème général de moyens, constate Chantal Kanyimbo, rapporteuse du CSAC. Le marché de la publicité est très étroit. Il n’y a donc pas de budget et le personnel est rarement rémunéré. La question du non-respect du cahier des charges et de la déontologie se pose aussi. Sans parler du piratage. »

Beaucoup de chaînes ont vu le jour à la veille d’élections, pour disparaître sitôt le scrutin passé.

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Un constat que partage Kibambi Shintwa, responsable de Numerica TV. D’après lui, il y a trop de chaînes inutiles. « Kinshasa a besoin de dix chaînes de télévision au maximum, explique-t-il. Au lieu de mettre en commun nos moyens, de prendre de grandes initiatives, nous nous contentons de créer de petites télés sans ambition parce que chacun veut être patron. Ce n’est pas à soixante que nous pouvons espérer des lendemains meilleurs. Si nous nous regroupons, nous aurons de grandes chaînes. » Avec 3 dollars (2,30 euros) la seconde de publicité et des annonceurs qui ne se bousculent pas au portillon, l’avenir n’est pas rose.

Pourtant, quelques chaînes semblent tirer leur épingle du jeu. Parmi les mieux organisées, on trouve Antenne A (dont le propriétaire est israélien), Raga (dirigée par des Pakistanais), Digital Congo (propriété de Jaynet Kabila, la soeur du président), RTG@ (du député Pius Muabilu Mbayu). Née en 2009, B One Télévision sort du lot en termes d’équipement. Son propriétaire, Jean-Pierre Mutamba, qui affirme y avoir investi 2 millions de dollars (1,5 million d’euros), jette un regard critique sur le paysage audiovisuel. « Les gens ont vite déchanté après avoir découvert que les chaînes non seulement ne sont pas regardées, mais coûtent cher. Avec B One, nous ne voulons pas rester figés dans le rôle de diffuseur, parce qu’ici la production se limite au live. Nous allons nous lancer dans l’événementiel, la production de séries, de musiciens, de comédiens. Et signer des contrats de partenariat avec des entreprises locales. Nous visons désormais la rentabilité. » C’est dans cette perspective que, après avoir rénové et modernisé ses installations, Mutamba projette de construire un studio de deux cents places consacré aux spectacles musicaux.

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Malformation

En même temps que les radios et télévisions, une profusion de journaux sont nés avec le changement démocratique. Ces derniers n’échappent pas au clivage classique qui veut que les uns soient en faveur du pouvoir et les autres pour l’opposition. « Les journaux ont vu le jour avec les mêmes motivations : assurer la survie d’un acteur politique, le rendre visible, lui trouver une parcelle de pouvoir, lui servir de tremplin, lui permettre de faire chanter les gens, etc. Victime d’une malformation congénitale, la presse est très malade », commente Alain Nkoy Nsasies, vice-président du CSAC, éditeur d’AfricaNews et enseignant à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (Ifasic) de Kinshasa.

Parmi les causes de cette crise, il évoque la loi de 1996 sur la liberté de la presse, « source de confusion parce qu’on n’y parle pas de journalistes, mais de professionnels des médias ». Ainsi, quiconque est en mesure de payer une taxe de 500 dollars peut créer une société de presse. « Mais ce ne sont pas des entreprises », souligne Nkoy Nsasies, ajoutant que pour grossir les recettes il ne faut pas compter sur les annonceurs, dans un marché publicitaire dominé par des brasseries et des sociétés de téléphonie mobile « qui ne distribuent que des miettes ».

Sur le plan technique, la vétusté des machines est telle qu’aucune imprimerie n’est en mesure de tirer 10 000 exemplaires en une nuit. Quant au lectorat, « il n’existe pratiquement pas. Hier, il était composé essentiellement de fonctionnaires qui avaient les moyens d’acheter un journal. Aujourd’hui, ils ne peuvent plus et se rabattent sur des photocopies vendues moins cher que les originaux ». À moins qu’ils ne se contentent de lire et de commenter les unes exposées par les vendeurs.

Passion

Une aide de l’État à la presse, sous forme directe (subvention) ou indirecte (défiscalisation sur les intrants et autres matériels importés), serait la bienvenue. Mais elle n’est pas d’actualité. Marcel Ngoyi Ngoyi Kyengi, éditeur du quotidien La Prospérité, qui existe depuis douze ans et tire à 1 000 exemplaires du lundi au vendredi, estime que les frais d’impression, de transport, de communication et la masse salariale sont trop élevés, pour un niveau de ventes très faible. « Pour tenir le coup, nous comptons sur les abonnements, les insertions publicitaires, les reportages facturés. Mais ce métier est d’abord une passion, une sorte d’apostolat », insiste-t-il… tout en déplorant moult entorses à la déontologie. « Si le pouvoir en place était plus regardant de ce côté-là, beaucoup de confrères seraient en prison. Il y a dans nos journaux plus d’attaques personnelles que d’informations. Certains journalistes s’en prennent aux gens dans l’espoir d’attirer l’attention. La misère les pousse à inventer des choses… » Et Ngoyi Ngoyi, en amoureux qui châtie bien, est de ceux, nombreux, qui pensent qu’en RD Congo, dans le monde des médias, tout est à refaire.

Toujours plus, mais moins cher

La multiplicité des chaînes locales n’émousse pas la curiosité des téléspectateurs congolais. Ils en veulent toujours davantage et profitent des très attractives offres d’abonnement proposées par le plus ancien des trois opérateurs agréés, TéléSat, distributeur officiel des bouquets Canalsat et DSTV depuis dix ans. La formule pérenne est à 10 dollars (7,75 euros) par mois. Elle permet de capter 56 chaînes étrangères de télévision et de radio en plus de la chaîne nationale. « Nous avons développé une offre d’abonnement populaire en vue d’augmenter le nombre de nos abonnés. Ce n’est pas très rentable, mais c’est un investissement à long terme », explique Désiré Kabasele, secrétaire général de TéléSat. Une fois l’abonnement souscrit, le client doit encore s’équiper. L’antenne parabolique et le décodeur lui coûtent 89 dollars en période de promotion, et 99 dollars sans promotion. T.L.M.K.

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