RDC – Sur les traces de Mobutu #1 : Gbadolite en déshérence

Dans sa ville natale ou dans la capitale de la RDC, l’ancien président Mobutu Sese Seko a été un infatigable bâtisseur. Mais la colère des hommes et l’usure du temps ont fait leur oeuvre. Reportage.

La pagode chinoise à Kawele. © Gwenn Dubourthoumieu/http://www.gwenn.fr/

La pagode chinoise à Kawele. © Gwenn Dubourthoumieu/http://www.gwenn.fr/

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Publié le 18 septembre 2012 Lecture : 5 minutes.

Le maréchal-président du Congo-Zaïre Joseph-Désiré Mobutu, en juin 1983, à Lubumbashi. © Pascal Maitre pour J.A.
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RDC : la nostalgie Mobutu

Il y a 50 ans, le 24 novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu, à la tête de l’armée, s’emparait du pouvoir en renversant le premier président de l’ex-Congo belge, Joseph Kasa-Vubu. Près de trente-deux ans plus tard, le 7 septembre 1997, l’ex-président du Zaïre décédait à Rabat, au Maroc, loin des siens. Aujourd’hui, le jugement des Congolais oscille entre indulgence, regret d’un orgueil perdu et souvenir cauchemardesque d’une dictature à bout de souffle. Un dossier paru en 2012 dans Jeune Afrique.

Sommaire

Le moyen-courrier en provenance de Kinshasa se pose sur la piste du petit aéroport de Gemena, dans le Sud-Ubangi (province de l’Équateur), sous les applaudissements des passagers. Il a plu. Mais en cette fin de matinée, le soleil, qui a repris ses droits, réchauffe la terre trempée. Reste maintenant à savoir comment aller à Gbadolite (Nord-Ubangi), qui n’est desservi par aucune compagnie aérienne. Ici, chacun le sait : il faut louer un taxi-moto, payer 200 dollars en plus du carburant, et parcourir 360 km ! Les habitants affirment que la moto, une petite cylindrée made in China, est « plus rapide qu’une automobile ». De toute façon, il n’y a aucune automobile alentour. La durée du voyage ? Le conducteur de la moto bredouille un vague « trois heures » peu rassurant.

La piste en latérite est d’abord carrossable. Mais le parcours est inégal et elle se transforme soudain en une succession de ravines. Ce n’est plus un voyage mais un motocross. Plus loin, le chemin se rétrécit, devient un simple sentier envahi par de hautes herbes. Sinon, c’est une suite de fossés gorgés d’eau, qui condamnent la moto à patiner. Les chutes sont nombreuses. La nuit est tombée. Des lumières blafardes. Un village. Une halte s’impose chez l’habitant. Le gîte, sommaire, est offert. Mais il n’y a rien à se mettre sous la dent. À l’aube, alors que les coqs n’ont pas fini de convoquer le soleil, il faut repartir. Soudain, comme par enchantement, de petits panneaux, quasiment invisibles, indiquent le nom des localités et les kilomètres qui restent à parcourir. À 25 km de Gbadolite, miracle : une route asphaltée ! La ville se montre, baignée de lumière.

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Vélo roi

En cette fin de matinée, il n’y a pas grand monde dans les rues. Ici, le vélo est roi. Très peu de motos et pratiquement pas d’automobiles. Étrange ambiance. Or 149 686 personnes vivent ici. « C’est la première ville construite par des Congolais après l’indépendance », précise Egide Nyikpingo Gbeke, 44 ans, le maire de Gbadolite, érigée par Mobutu sur la terre de ses ancêtres vers la fin des années 1960. Du temps de sa splendeur, le Centre de développement agricole et industriel (CDAI), une entreprise appartenant à la famille Mobutu, employait plus de 4 000 personnes. Des banques s’étaient installées. Des usines, dont Coca-Cola, aussi. Puis arrive 1997. Mobutu est chassé du pouvoir. C’est la dégringolade.

La salle de bal du palais présidentiel de Gbadolite.

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© Gwenn Dubourthoumieu/http://www.gwenn.fr/

« Gbadolite présente une piètre figure », se lamente Egide Nyikpingo Gbeke. « La ville a d’abord été pillée. Puis Gbadolite a essayé de reprendre son souffle, mais la rébellion est arrivée. Elle l’a complètement dévalisée. » Alors qu’un enseignant de l’université se plaint du naufrage de sa ville, « plus enclavée que jamais », un commerçant trouve, lui, que tout va bien. « Les gens ont toujours pensé que Mobutu avait favorisé les Ngbandis. La vérité est que cela n’a jamais été le cas. Sans lui, nous nous en sortons », assure-t-il. Pourtant, il suffit de regarder autour de soi pour évaluer le désastre. Les éclairages publics ne fonctionnent plus, les lampadaires ayant été enlevés et revendus en Centrafrique. Les deux stations-service ont fermé. Le carburant est vendu sur la voie publique, dans de gros bidons. Le vélo sert de corbillard.

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Châteaux en ruines

La crypte, où furent enterrés la première femme de Mobutu, décédée en 1977, et certains de ses enfants, a été profanée. Le caveau est plein d’une eau verdâtre.

Mais ce qui a rendu Gbadolite célèbre, ce sont les résidences construites par Mobutu et que d’aucuns, un peu trop facilement, ont qualifié de « châteaux en pleine forêt équatoriale ». Il s’agissait en fait de somptueuses demeures. La principale se trouve dans la ville. Dès qu’on s’en approche, on a le sentiment qu’un tsunami est passé par là. Ce n’est plus qu’un champ de ruines. Dans cet ensemble composé d’une dizaine de bâtiments, envahi par une végétation sauvage, on peut encore distinguer des manguiers, des cocotiers, des cacaoyers… À l’entrée, sur la gauche, se trouve ce qui reste de la chapelle Marie-la-Miséricorde. Les portes ont toutes été fracassées. La charpente en fer et quelques murs font encore de la résistance. Tout comme la croix métallique et les quatorze cloches. Des morceaux de marbre sont éparpillés sur le sol. La crypte, où furent enterrés la première femme de Mobutu, décédée en 1977, et certains de ses enfants, a été profanée. Le caveau est plein d’une eau verdâtre. Les corps ont été finalement déplacés dans un petit cimetière à côté. En face de la chapelle, le buste de la mère de Mobutu, Marie-Madeleine Yemo, est intact. À l’entrée principale du domaine, deux léopards en bronze couchés sur du marbre montent la garde. La grille d’entrée est ouverte. Dans l’une des annexes, deux militaires et leurs familles surveillent les lieux. Mais à quoi bon ? Des lustres géants dorés pendent encore au plafond. Des lambris refusent de tomber. Un peu plus loin, des graffitis couvrent les murs éventrés. Partout du marbre brisé. L’eau suinte sans arrêt à travers le plafond. Le spectacle est apocalyptique.

Une dizaine de kilomètres plus loin, Kawele. Sur cette colline, Mobutu avait fait construire sa résidence privée, en plus d’une pagode chinoise, avec une superbe vue sur la cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue. La grille est fermée. Un gardien accourt pour l’ouvrir. Après le poste de contrôle, le véhicule s’engage sur une voie asphaltée et passe par un tunnel. C’était « le trou aux lions » où les militaires effectuaient les dernières vérifications d’identité. Devant le palais en lambeaux, des quatre lions sculptés dans du marbre, il n’en reste que trois. Le quatrième a été enlevé !

La résidence privée de l’ancien chef de l’État, à Kawele, près de Gbadolite, dévastée au lendemain de sa chute.

© Gwenn Dubourthoumieu/http://www.gwenn.fr/

Vagues de pillage

En fin de compte, il ne reste plus rien du faste d’antan. « La méchanceté de l’homme a réduit à néant ce qui a nécessité des années d’efforts, constate, amer, Nyikpingo Gbeke. Les gardes du maréchal, poursuit-il, ont été les premiers à emporter tous les objets de valeur. La population est ensuite entrée dans la danse. À l’arrivée des hommes de Laurent-Désiré Kabila, le vandalisme s’est arrêté. C’est avec la deuxième rébellion, celle de 1998, dirigée par Jean-Pierre Bemba, que le pillage a repris. » D’après un habitant de Gbadolite, l’acharnement à casser les murs en marbre vient du fait que les gens étaient persuadés que des trésors étaient cachés dans les bâtiments.

Gbadolite a-t-elle un avenir ? Côté affaires, rien n’est moins sûr, déclare un cadre de l’agence de la Banque centrale, la seule qui fonctionne encore. Mais le maire reste optimiste. « Les infrastructures et les structures sont là. Pour repartir, il nous faut de la volonté. Nous devons nous remettre au travail afin d’honorer la mémoire du fondateur de cette ville. » Gbadolite a de nombreux atouts : son potentiel agricole, son alimentation en électricité par le barrage de Mobayi, à 25 km de là, sur l’Ubangi, la jeunesse de sa population. Mais qui osera prendre le pari du sursaut ? Tous les matins, à l’aube, des fidèles prennent d’assaut l’église de la paroisse Saint-Joseph Ouvrier, à côté de l’hôtel de ville. Leurs chants montent au ciel. Alléluia !

La Matinale.

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