André Lewin : « J’ai réconcilié la France et la Guinée »

André Lewin est ancien ambassadeur de France en Guinée (1975-1979), et collaborateur de Jeune Afrique.

Publié le 2 avril 2012 Lecture : 3 minutes.

Guinée : Alpha Condé à l’épreuve
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Dans les derniers jours de 1978, Jeune Afrique me faisait l’honneur de me consacrer sa couverture, où je figurais en pleine page avec les présidents Sékou Touré et Giscard d’Estaing. Et la flatteuse appréciation : « André Lewin, l’homme qui a réconcilié Sékou Touré et la France ».

Cela n’a pas plu à tout le monde. Aussitôt, je fus vilipendé comme complice du sanguinaire Sékou Touré et, trente ans plus tard, cela dure encore. Il y a quelques années, l’écrivain militant Tierno Monénembo, Prix Renaudot 2008, invité par ma compagne Catherine Clément à l’Université populaire du Quai-Branly, qu’elle dirige, accepta l’invitation avant de se désister, simplement parce qu’elle partageait la vie du complice du tyran. Récemment, un blogueur écrivait : « Il faut empêcher ce Lewin-là de revenir en Guinée. » Mon crime ? Il est terrible. En effet, j’ai réconcilié la France et la Guinée.

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Nommé représentant personnel du secrétaire général de l’ONU, dont j’étais le porte-parole (de 1972 à 1975), je n’avais aucune idée préconçue sur la mission qui m’attendait : sortir des geôles de Sékou Touré un maximum de personnes emprisonnées. Cela ne se fit pas en un jour. Il me fallut faire preuve de fermeté, de diplomatie, d’expertise et de patience. Après de longs mois de négociations, mon action a permis la libération d’une cinquantaine de prisonniers politiques et, du coup, a enclenché la normalisation des relations entre la Guinée et la France. Les deux nations étaient au plus mal depuis la visite à Conakry, le 25 août 1958, du général de Gaulle, impressionné et agacé par le brio de l’orateur qui l’accueillait, un Syli (« éléphant ») déjà en boubou blanc, un Sékou Touré formé au syndicalisme et passé par le Parlement français. Même si, dix ans plus tard, de Gaulle fit montre d’une passion pour l’indépendance (« Vive le Québec libre ! »), il quitta Conakry fort mécontent. La Guinée fut la seule colonie d’Afrique de l’Ouest qui vota négativement au référendum du 28 septembre 1958. Elle le paya fort cher et pendant fort longtemps. La rancune du général s’acharna sur le pays colonisé qui avait osé lui résister.

Mauvais dès l’indépendance, les liens diplomatiques entre la France et la Guinée étaient inexistants depuis 1965. La normalisation des relations et la libération des prisonniers français, le 14 juillet 1975, conduisirent le président Giscard d’Estaing à me nommer ambassadeur à Conakry fin 1975. Il manifestait ainsi son désir de rompre avec la politique gaullienne.

Mais, à l’étonnement général, lorsque, des années plus tard, je publiai une biographie de Diallo Telli sous le titre La Fin tragique d’un grand Africain, l’ouvrage fut préfacé par Siradiou Diallo, alors rédacteur en chef de Jeune Afrique, un Peul éminent et un adversaire déterminé de Sékou Touré. Dans sa préface, Siradiou Diallo lui-même commençait par s’étonner de l’objectivité de mon travail, compte tenu de ma supposée « complicité » avec l’assassin de Diallo Telli. Enfin, je soutins à l’université d’Aix-en-Provence une thèse sur Sékou Touré, parue en huit volumes aux éditions L’Harmattan. Sans la justifier le moins du monde, je voulais expliquer la politique du leader guinéen et, surtout, comprendre un mystère : comment un homme si doué, capable de conduire son pays à l’indépendance, avait-il pu se transformer en paranoïaque aux actions d’une insoutenable cruauté, comme la diète noire Ce mystère dépasse le sort de la Guinée ; c’est une question, hélas, universelle.

Plus d’un demi-siècle après la proclamation de l’indépendance, le peuple guinéen continue à souffrir des conséquences négatives de ces événements, résultats des politiques franchement caractérielles des uns et des autres, alors que tout, qualités humaines, qualifications personnelles, talents oratoires, intelligence des situations, permettait d’imaginer un avenir prometteur que même la politique coloniale n’avait pas compromis.

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Alors qu’Alpha Condé, ancien opposant de Sékou Touré, cinquième président et premier dirigeant guinéen démocratiquement élu, a accédé il y a quinze mois à la tête de l’État, il serait désastreux que cette chance ne soit pas saisie pour permettre enfin à ce peuple talentueux, à ce pays si richement doté par la nature, de justifier les espoirs que le monde place en lui.

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