Mali : l’effet Boubèye ou l’art de la diplomatie décomplexée

L’arrivée à la tête des Affaires étrangères de l’ex-chef des renseignements, en avril dernier, a décomplexé la diplomatie malienne. Un nouvel élan bienvenu.

Le 11 septembre 2011, S.B. Maïga et son homologue algérien Mourad Medelci. © Farouk Batiche/AFP

Le 11 septembre 2011, S.B. Maïga et son homologue algérien Mourad Medelci. © Farouk Batiche/AFP

Publié le 14 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

Où va le Mali ?
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Où va le Mali ?

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« Les premières années de l’ère ATT [Amadou Toumani Touré, NDLR] ont été marquées par d’incontestables succès diplomatiques. » Deux exemples illustrent parfaitement ces propos d’un haut fonctionnaire international malien : l’élection du prédécesseur d’ATT, Alpha Oumar Konaré, en juillet 2003, à la présidence de la commission de l’Union africaine (UA) et celle, en janvier 2004, de Soumaïla Cissé – rival d’ATT à la présidentielle de 2002 – à la tête de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). « Pour chacune de ces compétitions, poursuit le diplomate, ATT a mouillé son boubou, sillonnant les capitales africaines et poursuivant ses pairs par téléphone pour mieux vendre ses candidats. »

Au début de son premier mandat, il a enregistré un autre succès : la libération, en août 2003, d’une trentaine d’otages occidentaux kidnappés en Algérie par les djihadistes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, devenu depuis Al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi).

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Soupçons

Reçus à Koulouba après leur libération, les otages sont officiellement remis à leurs ambassadeurs respectifs accrédités à Bamako. Cependant, ce qui devait être un triomphe s’est transformé en cauchemar. À la place des lauriers qu’elle était en droit d’attendre, la mé­diation malienne s’est vu soupçonner d’une forme de complicité avec les ­preneurs d’otages.

« Depuis cet épisode, l’image de notre diplomatie a été durablement brouillée, confirme un ancien ambassadeur malien, et la personnalité quelque peu effacée de notre ministre, Moctar Ouane [aux Affaires étrangères de mai 2004 à avril 2011], l’a rendue encore plus discrète. »

Une autre crise va achever de discréditer au niveau régional l’action extérieure du Mali. Le 26 mai 2006, l’irrédentisme touareg prend à nouveau la forme d’une rébellion armée. La gestion pacifiste prônée par ATT, au grand dam de l’ensemble de la classe politique qui privilégiait l’envoi de la troupe, contraste avec celle que préconisent le voisin nigérien et son président Mamadou Tandja. Quant à la crise ivoirienne, un pays où résident près de 2 millions de Maliens, elle contraint le dirigeant à une prudence qui laisse toute la place au dynamisme de la diplomatie burkinabè, Blaise Compaoré s’érigeant en médiateur attitré en Afrique de l’Ouest.

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Côte d’Ivoire, Togo, Guinée… autant de crises dans lesquelles le Mali brille par son absence. En avril dernier, à un an de la fin de son second et ultime mandat, ATT veut éviter que son bilan, plutôt positif sur les plans socioéconomique et politique, soit entaché par la médiocrité de son action diplomatique. Pour cela, il fait appel à une personnalité hors norme, Soumeylou Boubèye Maïga. Et lui confie donc le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération.

L’œil du tigre

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À 57 ans, ce membre influent de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema, mouvance présidentielle), surnommé « le Tigre », est un ancien journaliste et militant de la démocratie. Après la révolution du 26 mars 1991, le natif de Gao (Nord) sera conseiller spécial d’ATT pendant la transition démocratique, chef de cabinet du président Alpha Oumar Konaré (1992), puis directeur général de la sécurité d’État (DGSE) pendant huit ans, avant de prendre le portefeuille des Forces armées en 2002.

Rival malheureux d’ATT à la pré­sidentielle de 2007, « le Tigre » se met en retrait de la scène politique. Un repli qui, loin d’être une traversée du désert, lui permet d’étoffer encore son énorme ­carnet d’adresses à travers l’ONG qu’il crée en 2008, l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie (OSGS), exclusivement consacré à la crise sécu­ritaire dans la bande sahélienne. Un sujet et une expertise qui intéressent au plus haut point les chancelleries occidentales, les capitales de la sous-région et les services de son puissant voisin du Nord, l’Algérie, incontournable partenaire dans la lutte contre Aqmi au Sahel.

Redonner du tonus

L’arrivée de Boubèye à Koulouba (le siège du ministère des Affaires étrangères se situe sur la colline qui abrite le palais présidentiel) redonne du tonus à la diplomatie malienne. Les relations bilatérales sont relancées avec les voisins du Nord (Algérie, Mauritanie) et du Sud (Sénégal, Guinée, Burkina, Niger), et l’action du Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cémoc, basé à Tamanrasset, en Algérie) entre Bamako, Alger, Nouakchott et Niamey est redy­namisée. Une fois apaisés les rapports avec Paris, la France et l’Union européenne réapprennent à faire confiance au Mali. Les contentieux avec les voisins aplanis, les accusations de laxisme envers les djihadistes d’Aqmi oubliées, la réhabilitation de la diplomatie malienne est enfin en marche.

Le président malien donne aussi de sa personne dans cette réhabilitation. Il fait partie du panel de chefs d’État chargés par l’UA de la gestion du conflit libyen et vient par ailleurs de se délester du boulet que traînait la diplomatie malienne concernant la Côte d’Ivoire : la neutralité d’ATT dans la guerre qui a opposé Laurent Gbagbo à Alassane Dramane Ouattara (ADO) lui avait valu les foudres de ce dernier. Un aller-retour, le 7 septembre, à Yamoussoukro, et un discours bien senti ont ému Alassane Ouattara, son gouvernement et l’opinion publique ivoirienne. Le même jour, ADO a promis de se rendre le plus vite possible à Bamako, en visite officielle. Elle est pas belle, la diplomatie ? 

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Cherif Ouazani, envoyé spécial à Bamako

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