Un monde qui se rééquilibre…

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 21 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Il ne se passe pas une semaine sans qu’une publication de réputation mondiale ou le rapport d’un expert à l’autorité reconnue ne nous dise, chiffres et graphiques à l’appui, que le continent africain et ses économies sont en train (ou sur le point) de "décoller".

Les Africains, eux, n’ont pas encore senti souffler sur leurs pays le vent du changement. Ils ne vivent pas mieux et ne se jugent pas assez bien gouvernés ; ils ne sont pas bien logés et leurs infrastructures – écoles, hôpitaux, routes, voies ferrées -, dont trop peu ont vu le jour au cours de ces dernières années, sont aussi vétustes qu’il y a dix ans.

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Pourquoi les bons chiffres de la macroé conomie ne se traduisent-ils pas encore dans la vie quotidienne des Africains, comme c’est déjà le cas en Asie ? Peut-on espérer qu’il en ira autrement demain ? Est-ce pour l’année prochaine ou seulement dans cinq ans ?

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Voyons d’abord ce que disent ces chiffres et ceux qui les commentent :

  • D’ici à 2020, les Africains seront, dans leur majorité, jeunes et urbanisés ; leurs classes moyennes seront en expansion et consommeront davantage de biens, de services et d’énergie.
  • Peu porté sur l’hyperbole, le Fonds monétaire international (FMI) annonce pourtant qu’en 2014 l’Afrique affichera le deuxième meilleur taux de croissance économique mondial, derrière l’Asie. Entre 2000 et  2012, l’Afrique subsaharienne avait déjà connu une croissance de 5,6 % par an, plus de deux fois supérieure à celle des années 1990, laquelle n’avait été que de 2,2 %.

Le revenu par habitant a augmenté de 40 % en dépit de la forte croissance démographique, alors qu’il avait stagné tout au long des trente dernières années du XXe siècle.

  • L’Agence internationale de l’énergie (AIE) annonce, de son côté, que l’Afrique verra sa consommation d’énergie entre 2012 et 2018 croître à un rythme plus élevé que celui de tous les autres continents : 4 % par an, contre 1,3 % de moyenne mondiale.
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Il est vrai qu’elle était très faible.

La capacité africaine de raffinage de produits pétroliers devrait également être considérablement renforcée.

  • Plus nombreux et se nourrissant mieux, les Africains importent déjà beaucoup plus de céréales : alors qu’ils en achetaient moins de 30 millions de tonnes par an il y a encore vingt ans, leurs importations annuelles s’élèvent désormais à 70 millions de tonnes, soit plus du double.
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Les chiffres ne mentent pas et disent tout aussi vrai que ceux qui en font état pour nous annoncer que s’est déjà levé le vent du changement qui va souffler sur notre continent.

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Nous allons sentir, dans les deux ou trois prochaines années, que le continent africain s’est enfin mis à bouger.

Après l’Asie et les Amériques du centre et du Sud, l’Afrique va en effet bénéficier, à son tour, de l’extraordinaire rééquilibrage du monde provoqué par la mondialisation.

Survenue à la fin du dernier siècle, cette mondialisation va combler, en quelques décennies, le fossé qui séparait depuis plus de deux siècles le petit monde des pays développés, situé dans le nord de la planète, du gros de l’humanité, qui en peuplait le sud.

Le premier avait fait la révolution industrielle qui l’a engagé sur le chemin du progrès, le second l’avait manquée et, de ce fait, était resté au bord de la route : on l’a appelé "Tiers Monde" et il rassemblait plus des trois quarts de l’humanité.

Vers la fin des années 1970, Deng Xiaoping a ouvert son pays, la Chine, à l’économie de marché et au commerce avec le reste du monde ; les Chinois ont alors renoué avec leur glorieux passé et, s’astreignant à un contrôle des naissances draconien, ils ont peu à peu cessé d’être "innombrables et misérables".

Ils se sont ainsi ouvert la route de la mondialisation et, ce faisant, l’ont ouverte aux autres pays de l’ancien Tiers Monde ; ces derniers l’ont empruntée les uns après les autres.

Et, last but not least, ils ont "découvert" l’Afrique. Comme au XVe siècle Christophe Colomb avait découvert l’Amérique.

*

Les Africains savent que les Européens, qui les avaient colonisés et spoliés de leurs richesses minières, ont peu à peu jugé leur continent comme un fardeau et l’ont délaissé.

De leur côté, les Américains n’ont pas trouvé d’intérêt suffisant à y investir, de sorte que, la guerre froide terminée, les Africains ont été livrés à eux-mêmes, abandonnés par les hommes et les dieux.

Jusqu’à ce que la Chine se dise que ce continent qui ne semble plus intéresser grand monde pouvait être sa "nouvelle frontière".

C’est donc à la Chine que les Africains doivent de se trouver, en cette fin d’année 2013, à la lisière du décollage économique et, de nouveau, au centre de l’intérêt des Euro-Américains.

*

Nous sommes doublement redevables à la Chine.

1) Elle fut, comme nous l’avons rappelé ci-dessus, le pionnier de cette mondialisation qui a conduit notre planète à se rééquilibrer et à se remettre sur ses deux jambes.

2) Et même s’il n’a pris en considération que ses propres intérêts, "l’empire du Milieu" a fait briller notre continent aux yeux de ceux-là qui, hier encore, n’avaient pour lui que condescendance.

Il leur a dit en somme : Vous vous trompiez sur l’Afrique et la mésestimiez. Regardez ce qu’on y trouve et ce qu’on peut faire avec ses habitants.

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