Le volcan gabonais

Le décès d’André Mba Obame, ancien frère d’armes, de coeur, mais aussi de lumière d’Ali Bongo Ondimba (ABO) sous le règne d’Omar avant d’en devenir le principal adversaire à la mort de ce dernier, ouvre une nouvelle période d’incertitude au Gabon. Et peut-être de tensions, puisqu’une partie de l’opposition, Jean Ping en tête, entend instrumentaliser le décès du leader fang (l’ethnie majoritaire au Gabon, environ 30 % de la population) à des fins bassement politiciennes en accusant le Palais du bord de mer d’en être responsable.

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Publié le 20 avril 2015 Lecture : 3 minutes.

Dans ce pays où la fascination pour la mystique le dispute au culte de l’argent facile et à l’insatiable appétit de pouvoir d’une classe politique cryogénisée – les seuls changements notables, depuis 2009, ont été le passage de caciques du Parti démocratique gabonais (PDG) dans le camp d’en face et la disparition de l’opposant historique Pierre Mamboundou -, l’argument porte, et pas seulement chez les plus défavorisés ou les moins éduqués.

Ici, au royaume de l’iboga, crimes rituels, sortilèges, "coups de fusil nocturnes" et amulettes ont la vie dure… Ainsi va la vie politique gabonaise, où la seule chose qui compte, au point de faire tourner bien des têtes, est de poser son séant sur le fauteuil présidentiel, dans le mythique bureau situé au premier étage du Palais du bord de mer, ancien antre d’Omar et désormais celui d’Ali.

Le climat social, nourri de grèves à répétition et de contestation syndicale, ne laisse d’inquiéter.

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Ce pourrait être une noble entreprise, fondée sur de nobles idéaux. En lieu et place : une guerre de tranchées où tous les coups sont permis, surtout les plus bas. Non contente d’avoir boycotté tous les scrutins passés, l’opposition actuelle, inextricable écheveau de personnalités et d’ego autrefois peu compatibles, voire ennemis, mais aujourd’hui unis pour déloger Ali, semble miser sur le chaos et non sur l’action politique pour parvenir à ses fins.

Le contexte, pour le moins tendu, évidemment, lui offre un champ d’action particulièrement propice. Le climat social, nourri de grèves à répétition et de contestation syndicale, ne laisse d’inquiéter. Tout comme les conséquences économiques de la chute des cours du baril qui réduisent considérablement la marge de manoeuvre du gouvernement.

Avant les accusations de sorcellerie et d’assassinat de Mba Obame (qui ont tout de même abouti à l’incendie de l’ambassade du Bénin, fief africain du vaudou, manière de cibler le directeur de cabinet d’ABO, Maixent Accrombessi), il y a eu les attaques xénophobes (la "légion étrangère" qui entourerait le chef de l’État), la remise en question de sa filiation avec Omar (ses supposées origines biafraises chères à Pierre Péan) pour l’exclure du scrutin présidentiel de 2016, la responsabilité du pouvoir dans les crimes rituels, les "biens mal acquis" (en la matière, rares sont pourtant ceux qui peuvent exciper d’une intégrité reconnue…), le goût du luxe, etc.

Étonnamment, la sexualité du président n’y est pas encore passée (même si Péan, toujours lui, a bien essayé) ! L’opposition, du moins ses principaux leaders, préfère jouer avec le feu plutôt que de faire de la politique, la vraie, pas celle qui consiste à distiller le venin des rumeurs.

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Elle pourrait, et devrait même, s’attaquer, par exemple, au bilan de Bongo plutôt qu’à son ADN. Elle pourrait examiner ses promesses de 2009, nombreuses, et dénoncer celles qui n’ont pas été tenues. Elle pourrait se pencher sur le travail du gouvernement, critiquer ses choix stratégiques ou humains, ses errements, faire le compte des réformes, relever leurs retards. Elle pourrait, surtout, exiger des résultats en matière d’emploi, de logement ou dans les domaines de la santé, de l’éducation ou des transports, priorités des Gabonais.

Sans compter qu’un jour il n’est pas exclu qu’elle soit amenée à proposer son propre programme et, partant, ses solutions aux maux qu’elle diagnostique souvent de manière empirique ("le Gabon va mal"), sans jamais entrer dans le détail. De leurs hommes et femmes politiques, engagés dans une guerre de machiavels à la sauce odika et une stratégie du pire laissant craindre que le volcan ne finisse par entrer en éruption, les Gabonais attendent forcément autre chose. Aujourd’hui, ils ne peuvent qu’assister, impuissants et effarés, à ce triste spectacle. Et considérer que, décidément, ils comptent bien peu…

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