Le Yémen, l’eau, la guerre

Il y a plus d’une vingtaine d’années, un chercheur canadien, appelons-le Stéphane L., était venu nous rendre visite au centre de recherche où je travaillais alors, à l’École des mines de Paris.

Fouad Laroui © DR

Publié le 17 avril 2015 Lecture : 2 minutes.

Pendant son séjour, il donna une petite conférence qui résumait ses travaux. À la fin de son exposé, Stéphane pointa l’index sur une carte du monde qu’il avait punaisée sur un mur – PowerPoint n’existait pas encore… – et affirma :

"Dans vingt ans, une guerre civile éclatera dans ce pays." Nous ajustâmes nos bésicles. Le Canadien venait de désigner l’insignifiant Yémen. Nous haussâmes collectivement les épaules. Le Yémen ? N’était-ce pas ce bout de terre que les Romains nommaient Arabia felix, l’Arabie heureuse ? Avec un nom pareil, où était le problème ? Ce Canadien avait sans doute abusé du jus d’érable. Ferait mieux de s’occuper de ses grizzlis au lieu de jouer les Nostradamus.

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Je pense à lui aujourd’hui que le Yémen est à feu et à sang et je lui présente mentalement mes excuses. Il avait raison, le trappeur.

Vous vous demandez maintenant qui était ce quidam doté d’une telle prescience ? Un lauréat de Sciences-Po Chicoutimi ? Un expert de la stratégie ? Un polémologue ? Un astrologue ? Madame Soleil ?

Pas du tout : c’était un hydrologue.

Il avait expliqué son raisonnement : il n’y a pratiquement pas d’eau au Yémen. À terme, ils devront déplacer carrément leur capitale : plus de nappe phréatique là-dessous. Et ils continuent de faire trop d’enfants. On ne peut rien leur dire, c’est le tabou absolu. La population croît, l’eau s’en va. Quand ils auront trop soif, quand ils seront trop nombreux, ils trouveront un prétexte pour déclencher une guerre civile : maintenant qu’il n’y a plus d’épidémie, c’est le seul moyen de réduire la population.

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Aujourd’hui que la prédiction de Stéphane s’est réalisée, les analystes qui viennent de découvrir le Yémen nous parlent doctement de l’affrontement chiites-sunnites, de la dialectique des tribus et de l’État central, de l’étrange rébellion houthie – je paie des frites à quiconque pourra me l’expliquer clairement -, de la fracture Nord-Sud, d’Aden Arabie et de l’âge du capitaine. Moi je pense à mon hydrologue canadien. Et si c’était lui qui avait raison ?

Question subsidiaire : s’il a eu raison vingt ans trop tôt, qu’en est-il du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Jordanie, etc. ? J’ai eu la curiosité de demander à un spécialiste de la question quels étaient les pays arabes en situation de stress hydrique et qui auront des problèmes aigus d’approvisionnement en eau dans les décennies qui viennent.

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Sa réponse fait froid dans le dos. Elle tient en un mot : tous.

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