Dix jours en France

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 22 janvier 2015 Lecture : 5 minutes.

La France vient de vivre dix journées d’une intensité dramatique sans précédent. Ses habitants ont eu l’impression d’avoir été les acteurs-spectateurs d’un film policier dont les épisodes haletants et pleins de rebondissements se déroulaient dans leur capitale et ses environs.

Ils en sont sortis transformés, ainsi que leurs dirigeants.

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Point de départ de l’action, l’irruption, à la mi-journée du 7 janvier, de deux tireurs aguerris dans la rédaction d’un hebdomadaire où, de sang-froid et méthodiquement, ils ont assassiné des journalistes de renom et deux policiers, dont celui qui assurait la protection du directeur de la publication. Douze personnes abattues en trois minutes, à la kalachnikov et presque à bout portant.

Les tueurs se sont échappés, mais ont été rapidement identifiés.

Magnifiée par l’omniprésence et la toute-puissance des nouvelles technologies de l’information qui ont fait de la terre un village planétaire, la suite du film a été vécue ou suivie, en France et dans le reste du monde, par des centaines de millions de personnes.

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Elle a vite tourné à la traque policière, exacerbant le suspense.

Mais la liste des victimes allait encore s’alourdir avec l’entrée en scène de nouveaux personnages : au duo de jihadistes aux noms à consonance arabe du premier jour est venu s’ajouter un Subsaharien, jihadiste déclaré lui aussi, décidé, comme ses comparses, à tuer et à mourir ; une prise d’otages visant des Juifs, dont quatre seront abattus, a fait monter l’émotion ; aux policiers du début se sont substituées, à partir du deuxième jour, les unités spécialisées du Raid et du GIGN.

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Le film s’est terminé sur un "happy end" : les méchants ont été défaits et neutralisés.

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Dès vendredi, on assiste à l’entrée en scène des hommes politiques : les Français ont alors vu leur président et leur Premier ministre transformés par l’événement, se hissant au niveau requis, faisant ce qu’ils avaient à faire.

Tout d’un coup, en quelques heures, par un dimanche ensoleillé, est réapparu aux yeux des Français, ébahis, et des observateurs internationaux, eux-mêmes interloqués, le poids réel de la France dans le monde.

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Avant que n’éclate ce drame, dans les sphères du pouvoir français, on se mortifiait d’apprendre que le pays venait d’être surpassé par un Royaume-Uni plus dynamique : l’économie de la France n’était plus la cinquième du monde, mais la sixième.

Au pouvoir depuis près de trois ans, la gauche faisait encore plus mal que la droite, qui avait été aux affaires pendant les dix années précédentes, et il ne restait plus, semblait-il à beaucoup, qu’à essayer l’extrême droite.

La France, dont l’industrie s’est rétractée, exportait de moins en moins, ne parvenait à réduire ni son déséquilibre des échanges extérieurs, ni son endettement, ni le chômage, lequel démoralisait sa population.

Son poids dans le monde se ramenait à trois chiffres cruels : 0,4 % de la superficie de la planète, 0,9 % de sa population, à peine plus de 3 % du PIB mondial.

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Ce constat amer et le découragement qu’il suscitait ont été balayés par le spectacle donné à eux-mêmes et au monde par les Français tout au long des dix derniers jours.

Des forces de sécurité d’une remarquable efficacité, bien dirigées et qui ont su se garder de tout excès.

Une cohésion nationale retrouvée et suffisamment assurée pour se payer le luxe d’exclure les dirigeants de l’extrême droite.

Des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire agissant de concert, mais sans les couacs qui ont entaché leur action tout au long des dernières années.

Et, pour couronner le tout, un large soutien venu de tous les horizons et tous les continents, concrétisé par la présence à Paris, dimanche 11 janvier – encore un onze ! – pour y défiler dans la rue aux côtés de l’establishment politique français, de plusieurs dizaines de dirigeants du plus haut rang : européens, asiatiques, africains mêlés.

En l’absence notable des États-Unis – mais ils ont faire leur mea culpa ! -, le monde entier disait à la France que, par son passé et son rayonnement de puissance séculaire, elle valait mieux et représentait plus que ne le disaient les chiffres.

Désormais, c’est de ce piédestal que le pays du général de Gaulle se regarde et voit le reste du monde.

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Un premier bilan donne ceci :

o Ce n’est pas à l’extrême droite de Marine Le Pen que les jihadistes ont rendu service cette fois : on l’a vue reléguée à la périphérie des événements, exclue de l’engagement national.

o L’hebdomadaire satirique attaqué a vu son équipe décimée. Mais il est devenu une icône mondiale, a conquis une audience et une aura dont ses journalistes défunts n’auraient jamais rêvé.

Sur la défensive, les musulmans, dont des pseudo-coreligionnaires ont déclenché le drame, ont réagi en ordre dispersé. Il reviendra à Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah libanais, de faire l’analyse la plus juste : "Ceux qui ont tué des dessinateurs et des journalistes en prétendant défendre le prophète de l’islam sont des barbares qui, par leurs actes violents et inhumains, ont fait plus de tort à l’islam et à son prophète que, par leurs caricatures, les dessinateurs qu’ils ont tués. Leurs actes constituent le plus grand défi que l’islam doit relever."

o Les Français parlent de dix-sept morts. Ils devraient en dénombrer vingt : les trois jihadistes auteurs du massacre et qui ont été tués sont des Français dévoyés et égarés. La France les a en réalité perdus deux fois.

o Le plus grand bénéficiaire de ces dix jours qui ont transformé la France a pour nom François Hollande.

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Président de la République française depuis près de trois ans, François Hollande était dans une situation quasi désespérée, au plus bas dans les sondages, sans espoir sérieux de parvenir à seulement se présenter en 2017 pour un second mandat.

Mais cet homme politique a été, pour la deuxième fois, servi par une chance phénoménale dont il a su, à nouveau, tirer le meilleur parti.

La première fois en mai 2011, quand les turpitudes de Dominique Strauss-Kahn lui ouvrent la route de l’Élysée.

La seconde fois le 7 janvier 2015, quand des jihadistes incultes manipulés par Al-Qaïda assassinent douze personnes, journalistes et policiers, donnant à François Hollande la chance inespérée de montrer à ses concitoyens qu’ils tiennent en lui, dans des circonstances exceptionnelles, l’homme de la situation.

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Les premiers sondages effectués à l’issue de cet épisode dramatique qui a révélé la France à elle-même et au monde indiquent que François Hollande vient d’être enfin intronisé par les Français comme leur président.

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