Burkina Faso : ce n’est pas une révolution

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 20 novembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Octobre est décidément le mois de l’année où Blaise Compaoré a engagé sa vie et le destin de son pays, le Burkina.

C’est en effet le 15 octobre 1987, à l’âge de 36 ans, qu’il a accédé au pouvoir suprême, de façon opaque et dans des conditions que les historiens n’ont pas été en mesure d’élucider à ce jour.

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Il l’a exercé pendant vingt-sept ans et, comme si cette longue période de stabilité ne suffisait pas, il s’est résolu, le 21 octobre dernier, sous la mauvaise influence de ses plus proches et, me dit-on, après avoir longtemps hésité, à solliciter par voie parlementaire un énième mandat de cinq ans.

Funeste décision et très mauvaise lecture de l’humeur dominante de son pays et de sa jeunesse, qui voulaient le changement et se sont révélés décidés à l’obtenir.

*

Contre ce mandat de trop, la rue s’est insurgée. Cet irrésistible soulèvement a atteint son paroxysme dès le 28 octobre.

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Au lieu de contrer les manifestants, l’armée, la gendarmerie et les services de sécurité les ont plutôt laissés faire, abandonnant le régime à son sort.

Comme en Tunisie, comme en Égypte il y a près de quatre ans…

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Constatant que le pouvoir lui échappait, le président Compaoré ne s’est pas obstiné : il a démissionné et, le 31 octobre, dernier jour de ce mois fatidique, il quittait son palais, sa capitale et même le pays, accompagné de ses plus proches.

>> Lire aussi : le récit de la chute de Compaoré, heure par heure

La chute de Blaise Compaoré date maintenant de quinze jours. Mais elle fait encore figure d’événement à l’échelle de l’Afrique, et même au-delà.

Inattendue de la plupart, rapide, sans effusion de sang ou presque, elle réverbère, résonne, suscite des interrogations : le Burkina sera-t-il à l’Afrique subsaharienne ce que la Tunisie a été, il y a quatre ans, aux pays arabes, à savoir le pays où a éclos le printemps du changement ?

Ce changement en annonce-t-il d’autres, et lesquels ?

J’estime opportun, en tout cas, de partager avec vous les informations qui me sont parvenues sur cet événement et les réflexions qu’il m’inspire.

*

Blaise Compaoré a été accueilli avec sa suite d’une vingtaine de personnes en Côte d’Ivoire par son ami de longue date, Alassane Ouattara, qui a tenu ainsi à lui marquer sa fidélité.

Le désormais ancien président pourrait rester en Côte d’Ivoire mais, à ses yeux, elle est trop proche du Burkina et il ne veut pas, par sa présence à Yamoussoukro ou à Abidjan, gêner l’installation d’un nouveau pouvoir à Ouagadougou.

Il a donc décidé de s’exiler plus loin, mais toujours en Afrique. Et c’est au Maroc qu’il sera accueilli.

Cela dit, quelle que soit l’issue de la recherche d’un nouveau pouvoir pour conduire la transition, il faut craindre pour le Burkina une longue période d’instabilité politique.

Il est en effet constant, et on l’a vu dans le passé en Côte d’Ivoire et en Indonésie, que lorsque se rompt dans un pays une longue période de stabilité, lui succède, pour de nombreuses années… l’instabilité.

La recherche d’un nouvel équilibre des pouvoirs prend toujours beaucoup de temps.

*

Comment qualifier le changement intervenu le 31 octobre au Burkina ? On a parlé un peu vite et abusivement, y compris dans Jeune Afrique, de "révolution".

Ce terme "romantique" a déjà été utilisé par les Tunisiens, les Libyens et les Égyptiens pour qualifier ce qu’ils ont vécu en 2011. Il se révèle qu’il n’y a pas eu de révolution dans ces trois pays, pas plus qu’il n’y en a une aujourd’hui au Burkina.

Dans les quatre cas, qui se ressemblent plus qu’on ne le croit, il y a eu, tout simplement, un changement brutal de régime, suscité par la rue.

Une partie du peuple exprimant le sentiment quasi général, la très grande majorité des jeunes, des élèves, des étudiants sont sortis dans la rue, ont offert leurs poitrines aux balles, ont manifesté leur "ras-le-bol" du pouvoir, ont exigé et obtenu qu’il s’en aille.

Ce pouvoir, qui s’était installé et avait rassemblé entre ses mains tous les ressorts de la richesse et de la puissance, refusait toute alternance. Abandonné par ses services de sécurité, il a été renversé, mais n’ont été écartés que ses chefs, leurs familles et leurs proches.

Et ont hérité du changement non pas ceux qui se sont soulevés pour l’obtenir mais ceux qui ont collaboré avec l’ancien pouvoir sans s’identifier à ses turpitudes et les quelques courageux qui s’étaient opposés à lui.

Ce n’est donc pas une révolution. Mais une grande alternance au sein de l’establishment politico-social.

L’Égypte et la Tunisie de 2014 le montrent éloquemment et préfigurent le Burkina d’après-demain.

Le 31 octobre, Blaise Compaoré a rejoint Mouammar Kadhafi, Hosni Moubarak et Zine el-Abidine Ben Ali sur la liste des chefs d’État qui ont perdu le pouvoir pour l’avoir occupé trop longtemps et avoir cru possible de s’y maintenir au-delà du raisonnable.

Mais, lui, n’a perdu ni la vie ni la liberté.

*

L’un après l’autre, viendront les rejoindre à leur tour une demi-douzaine d’autres chefs d’État, généralement africains, qui s’obstinent à considérer le pouvoir qu’ils ont conquis comme un bien dont on ne se sépare pas.

Le plus âgé est Robert Mugabe, 91 ans, dont trente-quatre à la tête de son pays, soutenu en cela, mais comme la corde soutient le pendu, par une épouse qui pourrait être, par l’âge, sa fille ou même sa petite-fille.

Savez-vous ce qu’ils ont tous en commun et qui fait qu’ils ont le même itinéraire et connaîtront peu ou prou la même fin ?

L’exercice prolongé du pouvoir suprême : au-delà de quinze ans commence le mal et il s’aggrave d’année en année.

Ils perdent alors le sens des réalités, la lucidité, le contact avec leur peuple et toute lecture de ce qu’il ressent.

Exactement comme celui ou celle qui souffre de la maladie d’Alzheimer perd la mémoire.

*

Ils n’agissent plus mais sont "agis", manipulés par leur proche entourage, le plus proche étant le clan familial, celui qui vous murmure à l’oreille matin et soir.

L’armée, qui est leur bouclier, constate alors qu’ils ne sont plus dignes de sa protection et les lâche.

Ils ne s’en aperçoivent même pas, puisqu’ils n’ont plus le sens des réalités et se retrouvent dès lors à la merci de la rue.

Ou, plus simplement, d’un intrigant ambitieux.

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