Moussa Mara : « Il n’y aura pas de prime à l’impunité » au Mali

Les priorités du Premier ministre malien, Moussa Mara ? La réforme territoriale, la reprise de l’aide du FMI et les négociations avec les groupes armés. Un domaine où il joue la carte de la fermeté.

Moussa Mara dans son bureau à la primature, en mai. © Daou Bakary Emmanuel pour Jeune Afrique

Moussa Mara dans son bureau à la primature, en mai. © Daou Bakary Emmanuel pour Jeune Afrique

Publié le 30 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Ministre de l’Urbanisme et des Politiques de la ville dans le gouvernement d’Oumar Tatam Ly, son prédécesseur, Moussa Mara, 39 ans, président du parti Yéléma ("changement", en bambara), a pris les rênes du gouvernement le 5 avril. Retour de l’État et de la sécurité dans le Nord, refonte territoriale et organisation des premières élections régionales (prévues en avril 2015), relations tendues avec le Fonds monétaire international (FMI)… Le Premier ministre évoque ses dossiers les plus urgents.

Jeune afrique : Le code électoral et celui des collectivités locales ont été modifiés pour préparer la mise en oeuvre de votre projet de réforme territoriale. Comment se présente-t-il ?

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Moussa Mara : Nous ne souhaitons pas créer de collectivités territoriales ethniquement homogènes, mais des régions qui existent déjà dans l’imaginaire des Maliens, comme le Mandé ou le Wassoulou : une vingtaine de régions seront ainsi constituées, 23 ou 24 ce serait l’idéal. Nous sommes partis du constat que, dans le cadre de la politique de décentralisation menée en 1993 et en 1994, un chaînon manquait entre l’État et les communes.

La population souhaitait aller au-delà de l’échelon du cercle, qui est une forme de collectivité territoriale héritée de la colonisation et qui, je l’espère, disparaîtra d’ici à deux ou trois ans. Une région, elle, est assez vaste pour se prêter à de grands projets de développement. Elle est suffisamment peuplée pour créer les conditions d’une autonomie et constituer un relais entre les communes et l’État.

Aujourd’hui, les élus régionaux manquent de légitimité : ils arrivent à leur poste par cooptation et n’ont pas beaucoup de visibilité. Les candidats aux régionales, eux, pourront mener campagne, ce qui leur conférera une réelle autorité. À terme, la réforme donnera au président de région l’autorité de l’exécutif régional, la tutelle administrative, les services, le budget, qui serviront son programme. À lui, ensuite, de trouver les moyens de le mettre en oeuvre.

Dès janvier 2015, les agences de développement, que nous sommes en train de créer, seront chargées de la coordination et de la mise à disposition des services de l’État pour les huit régions actuellement existantes. Toutes mettent déjà en oeuvre un programme de développement. Par ailleurs, avant les élections locales de 2015, nous supprimerons les communes au profit d’arrondissements : il n’y aura ainsi plus qu’un seul maire à Bamako.

Il y a des signes encourageants : le HCUA a commencé à diffuser des messages en faveur de l’unité nationale.

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Où en est le retour de l’État dans le Nord ?

L’armée est à Tessalit, quelques services administratifs locaux fonctionnent de nouveau, sous la protection de la Minusma [la mission de l’ONU], et toutes les distributions de vivres se font dans la ville, où les habitants sont contre "l’Azawad".

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Restent des problèmes dans la ville de Kidal, où il n’y a ni eau ni électricité… Notre souhait est que l’État revienne s’y installer naturellement. On peut déjà percevoir des signes encourageants : le HCUA, qui occupe les locaux de l’ORTM [l’Office de radiodiffusion-télévision du Mali], a commencé à diffuser des messages en faveur de l’unité nationale.

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Le Nord reste contrôlé par des groupes armés, toujours plus nombreux à vouloir participer aux négociations. Comment expliquez-vous cela ?

Le MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad] n’a pas les moyens de ses ambitions politiques, médiatiques et militaires. L’État n’a cependant aucune intention d’employer la force ni de marginaliser les uns ou les autres.

Si les groupes armés sont toujours plus nombreux, c’est parce que les Imrads et les groupes sédentaires se sont divisés… Chacun veut affirmer son identité pour obtenir quelque chose en retour. Ces vingt dernières années, à chaque accord, des faveurs ont été accordées par le gouvernement, et la population en a conclu qu’il existe une prime aux groupes armés… ce qui suscite des vocations.

Soyons fidèles à nos principes républicains : priorité à l’unité nationale, au développement et à la réconciliation. Tous ceux qui attendent des contreparties financières ou des avantages seront déçus : il n’y aura pas de prime à l’impunité.

Pensez-vous pouvoir parvenir à un accord ?

Un accord est inéluctable. Les groupes qui n’en voudront pas s’excluront d’eux-mêmes. Mais, avant cela, nous voulons que les groupes armés quittent Ménaka, Djebok, Anéfis, Aguelhok et Ber. Et que les forces maliennes et internationales reprennent les villes. Nous avons demandé à la Minusma de nous aider à convaincre les groupes de les quitter, car ces occupations sont contraires aux accords.

On constate une réelle accalmie sur le terrain, un recul du banditisme.

Mais je reste optimiste. On constate une réelle accalmie sur le terrain, un recul du banditisme. Et les membres des groupes armés, qui sont tous plus ou moins des narcotrafiquants, sentent que le vent tourne.

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Quels sont les principes sur lesquels l’État ne transigera pas ?

Nous serons inflexibles sur trois points : l’intégrité territoriale, le caractère républicain du pays et la laïcité. Nous allons à Alger [où le dialogue intermalien a repris le 1er septembre] sans a priori. Depuis début août, nos équipes, constituées du chef d’état-major, de quatre ministres et d’experts, travaillent sur différents thèmes. Désormais, il ne s’agira plus d’une négociation : nous allons nous retrouver entre frères maliens, avec, cette fois-ci, la participation de la société civile, afin de définir un ordre nouveau pour la partie nord de notre territoire.

En juin, le FMI a décidé de geler son aide au Mali en raison de l’achat, à un coût qu’il juge excessif, d’un avion présidentiel. Vos relations ont-elles repris ?

Nous allons tout faire pour nous comprendre. Le FMI est au Mali depuis plus de trente ans et il n’est guère étonnant que des difficultés surgissent au cours d’une si longue relation. Cela étant, nous avons préparé suffisamment d’éléments pour montrer que nous sommes encore "dans les clous".

Alors, oui, il va nous falloir convaincre et expliquer… Pas tant pour les ressources dont nous sommes privés en raison de cette sanction, que pour l’image que nous donnons de nous. Nous ne voulons pas avoir l’air d’un pays où l’on aime vivre au-dessus de ses moyens. Le niveau de fonctionnement de notre État n’a rien à envier aux autres.

Quoi qu’il en soit, seules les aides budgétaires globales, c’est-à-dire les ressources sans affectation précise, ont été suspendues. Les aides sectorielles, d’un montant de 63 millions de dollars [environ 47,5 millions d’euros], ont, elles, été maintenues à tous les niveaux : emploi des jeunes, développement rural, etc.

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L’opposition a déposé une motion de censure en juin et, de leur côté, certains membres du parti présidentiel, le Rassemblement pour le Mali (RPM), dont vous ne faites pas partie, remettent en question votre légitimité à ce poste…

Ce n’est là que la traduction d’un exercice démocratique : une majorité qui travaille, une opposition qui s’oppose… Et on ne peut pas dire que notre opposition soit inactive : tous les jours, elle réclame ma démission ! Nous préparons par ailleurs une réforme de son statut, qui doit être soumise au Parlement. Concernant les tensions supposées au sein du RPM, elles ne me gênent en rien dans mon travail : chaque fois que le gouvernement a eu besoin du soutien de la majorité, il l’a obtenu. C’est l’essentiel.

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Propos recueillis à Bamako par Dorothée Thiénot

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