Vivants !

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 22 septembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Dimanche 14 septembre, 14 h 30, aéroport de Tunis-Carthage. Massées dans le hall, des centaines de personnes attendent le retour après trois ans d’exil parisien de Mondher Zenaïdi, ancien ministre de Ben Ali (Transports, Commerce, Tourisme, Santé). Devant l’aéroport trônent un portrait géant de Habib Bourguiba et un immense drapeau tunisien. L’enfant de Kasserine débarque, on frise l’émeute, la police fait évacuer la foule. Ne vous y trompez pas : il ne s’agissait nullement d’une énième manifestation de révolutionnaires haineux contre tout ce qui leur rappelle l’ère "Zaba" – l’ancien régime. Au contraire, les slogans scandés sur fond d’hymne national chantaient les louanges du "héros" du jour : "Dieu est avec toi", "la Tunisie au-dessus de tout"… Il faut dire que Zenaïdi a davantage le profil d’un grand commis de l’État à la compétence reconnue que celui d’un porte-flingue ou d’un homme des Trabelsi !

Trois ans presque jour pour jour après les premières élections libres et démocratiques de l’histoire du pays, les Tunisiens s’apprêtent à retourner aux urnes : le 26 octobre pour les législatives, le 23 novembre pour la présidentielle. Paradoxalement, alors que la nature du régime a changé et que la présidence n’est plus ce qu’elle était, ces législatives ne passionnent guère les foules. Sans doute la culture du zaïm (chef) reste-t-elle exagérément ancrée dans les mentalités… Quoi qu’il en soit, seuls les candidats, réels ou supposés, au Palais de Carthage cristallisent l’attention. Dans leurs rangs, ceux qui ont occupé de hautes fonctions sous Ben Ali (au gouvernement ou au Rassemblement constitutionnel démocratique, RCD), quelles qu’aient été leur proximité avec le raïs déchu et/ou les distances qu’ils ont été ultérieurement amenés à prendre avec lui, sont légion : de Mustapha Kamel Nabli (ancien patron de la Bourse de Tunis et ministre du Plan) à Kamel Morjane (Défense et Affaires étrangères), en passant par Abderrahim Zouari (Justice, Jeunesse, Éducation, Tourisme, Transports) et Mondher Zenaïdi. Inimaginable, il y a seulement quelques mois, même si, aujourd’hui encore, leurs ambitions ne vont pas sans susciter de vives réactions. Qu’en penser ? Primo, que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et que leurs candidatures sont logiques, voire souhaitables.

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Tous ont été voués aux gémonies dès janvier 2011. Certains ont été incarcérés pendant de trop longs mois avant que leurs cas soient examinés par la justice. D’autres se sont vu confisquer leur passeport. Au bout du compte, tous ont été blanchis. Pourquoi donc se priver de leur expérience et de leurs compétences, avérées, contrairement à celles de certains de leurs successeurs ? Pourquoi les empêcher de concourir ? Exclure tous ceux qui ont exercé des fonctions officielles sous Ben Ali au nom d’on ne sait quelle pureté révolutionnaire est un non-sens. Une aberration. Deuzio, que Béji Caïd Essebsi, le porte-drapeau des destouriens, n’a pas su ou pas pu rassembler cette famille politique, la seule capable de lutter contre les islamistes et de rééquilibrer l’échiquier politique tunisien. Comme l’ensemble de l’opposition, elle ne tient aucun compte des trois années écoulées et s’obstine à se présenter en ordre dispersé. On peut reprocher beaucoup de choses à Ennahdha, mais au moins le parti islamiste sait-il adapter sa stratégie au contexte, évoluer et tirer les leçons de ses erreurs. Tertio – et c’est à vrai dire l’essentiel -, que la Tunisie est sur le bon chemin. L’exclusion des "ex-", comme naguère celle des islamistes, n’est plus à l’ordre du jour. Le pays se reconstruit avec l’ensemble de ses forces vives. Les gens réagissent, débattent, réfléchissent et peaufinent des arguments. Oh ! certes, l’ambiance est encore trop souvent cacophonique et l’on a parfois tendance à se perdre dans les méandres de la vie politique. Les temps sont durs, et la menace terroriste omniprésente dans les esprits. Mais comme le dit une amie tunisienne : "C’est formidable, on se sent enfin vivants !"

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