Antoinette Nana Djimou Ida : le style et les jambes

La Franco-Camerounaise a conservé son titre de championne d’Europe d’heptathlon. Et prépare avec autant de concentration son avenir dans le stylisme.

Lors de l’épreuve de saut en longueur, le 15 août à Zurich (Suisse). © Matt Dunham/AP/Sipa

Lors de l’épreuve de saut en longueur, le 15 août à Zurich (Suisse). © Matt Dunham/AP/Sipa

Publié le 29 août 2014 Lecture : 4 minutes.

« Tu parles aussi vite que tu cours ! » lance une sportive à Antoinette, à la cafétéria de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), niché dans le bois de Vincennes, qui jouxte Paris. Moulée dans un survêtement rose et noir, calligraphie chinoise tatouée à la cheville, l’heptathlo­nienne fait le récit de sa carrière en avalant une double ration de fruits, entre deux entraînements. Saut en hauteur ce matin, javelot cet après-midi. Antoinette se prépare alors à défendre, les 14 et 15 août, son titre de championne d’Europe au cours des sept épreuves combinées de l’heptathlon.

Il y a quelques mois, Antoinette a quitté celui qui l’entraînait depuis sept ans pour travailler avec quatre spécialistes différents. En France, « ça ne se fait pas trop », mais elle veut considérer chaque discipline comme si c’était la seule. « C’est risqué si la coordination entre les coachs n’est pas bonne, mais ils sont compétents », estime son tout premier entraîneur Christophe Letellier.

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En mars 2001, c’est une timide jeune fille de 15 ans qui s’est présentée à lui au club de Montreuil, à l’est de Paris. Antoinette courait d’abord pour le plaisir. « Je ne pensais pas devenir Marie-José Pérec ! Pendant trois ans, je me suis juste amusée. » Letellier, qui a travaillé avec elle entre 2001 et 2003, confirme. « Elle était insouciante, et c’était aussi sa force : elle ne se rendait pas compte ! Sa rigueur est montée en puissance au fil du temps. Aujourd’hui c’est une battante, une vraie compétitrice. » Antoinette reconnaît avoir changé plusieurs fois de mentalité.

Premier déclic en 2004, aux championnats du monde juniors, où elle décroche la quatrième place. « J’ai pris goût à la compétition, mais c’était toujours un jeu », se souvient-elle. Sélection sur le fil en 2008 pour les Jeux olympiques (JO) de Pékin. Élimination rapide.

« J’étais là en touriste. Je me suis dit que c’était la dernière fois que je concourais pour rien ! » Première médaille – de bronze – en 2009 aux championnats d’Europe. « Je l’oublie toujours, celle-là ! » s’amuse celle qui raconte son parcours avec des éclats de rire que récoltent joyeusement ses copines alentour, car quand Antoinette se marre, elle se couche littéralement sur la banquette.

Tout premier titre de championne d’Europe à Bercy en 2011, en pentathlon (cinq disciplines seulement, en salle). « Avant la dernière épreuve, je suis allée pleurer dehors. Ensuite, je tremblais sur la piste… C’est le public qui m’a portée ! Au dernier virage du 800 mètres, j’étais prête à mourir ! Mais après je me suis dit : « Ah. C’est ça, une médaille d’or ? Je n’ai rien ressenti du tout. » » Déçue de sa cinquième place aux JO de Londres, elle gagne pourtant de nouveaux titres européens en 2012 et 2013. « Mais l’Europe ne me suffit plus, je veux le Mondial et les JO ! »

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À l’Insep, on l’appelle Nana. Sur son site internet, c’est Andi, ses quatre initiales dans un ordre un peu curieux. Antoinette Ida porte le nom de son père (Nana) et celui de sa mère (Djimou), Bamilékés du Cameroun. Autour de son cou, un collier doré forme Choonana, le surnom que les enfants lui donnent lors des compétitions…

Choonana est née à Douala et a grandi dans les quartiers de Bépanda et de Ndogbong. En 1999, elle rejoint son père en France, directeur d’une société de gardiennage, et est orientée vers l’athlétisme par sa prof de sport au collège. Aujourd’hui, en France, les athlètes de haut niveau sont encouragés à poursuivre des études en parallèle.

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En 2006, l’heptathlonienne passe un baccalauréat sciences et technologies tertiaires, puis, en 2009, un DUT techniques de commercialisation. « J’aurais sûrement arrêté les études si je n’avais pas été interne à l’Insep. Avec des horaires aménagés, on peut avoir un double projet. » Depuis 2012, c’est dans une école de stylisme, Formamod, qu’elle est inscrite.

« En Afrique », comme elle dit toujours, elle fabriquait des habits en papier à ses poupées. Mais, fin 2012, elle a mis sur pied dans le stade de l’Insep un vrai défilé d’une dizaine de créations à base de tissus camerounais. « Je change toujours de style, donc je ne sais pas comment seront mes futurs vêtements. J’aime bien ce couturier qui fait des robes asymétriques », dit-elle en cherchant le nom sur son smartphone, du bout de ses doigts que prolongent des ongles roses à pois blancs. Elle a créé ses modèles elle-même en prenant comme cobaye sa mère, qui vit au Gabon, venue en France pour la première fois en 2014. « La collection que je dois faire pour l’école, explique-t-elle, ce sera dans deux ans, après Rio. »

Les JO de 2016. « C’est l’objectif d’Antoinette, affirme Christophe Letellier. Après, à 31 ans, elle sera au maximum de sa maturité, mais je ne sais pas où en seront son physique et, surtout, sa motivation. » Déjà blessée plusieurs fois en voulant dépasser ses limites, Antoinette est aujourd’hui réaliste. « L’athlétisme, ça ne dure pas trente ans… »

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