Maroc – Prix Draper : Rachid Yazami, « Monsieur 100 000 Volts »

Le chimiste Rachid Yazami a inventé les batteries au lithium qui font vivre nos téléphones. Il est le premier lauréat français, mais aussi africain, du prestigieux prix Draper.

« J’étais devenu une poule à pondre des brevets, cinq à six par an » s’amuse Yazami. © Ore Huiying

« J’étais devenu une poule à pondre des brevets, cinq à six par an » s’amuse Yazami. © Ore Huiying

Publié le 24 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

"Mais je ne l’ai pas fait exprès ! s’exclame l’homme, amusé. J’étais en première année de thèse, à l’Institut national polytechnique et dans un laboratoire du CNRS, à Grenoble. J’ai fait une expérience un peu en dehors de mon sujet, puisque je travaillais sur le pôle positif, la cathode. Donc c’était une diversion !" Ce jour de 1980, c’est en effet l’anode que le Marocain Rachid Yazami met au point, le pôle négatif des batteries rechargeables au lithium de nos (futurs) téléphones portables.

En février dernier, trente-quatre ans plus tard, il est récompensé par le prix Draper, le Nobel des ingénieurs, aux côtés des trois chercheurs qui ont complété sa découverte, John Goodenough, Akira Yoshino et Yoshio Nishi. "Yoshino a mis l’anode de Rachid et la cathode de John dans la même cellule et a prouvé que cela fonctionnait ! Et puis Nishi a commercialisé ces batteries avec Sony en 1991", synthétise Yazami. Sans leurs travaux, les téléphones et ordinateurs portables ne seraient pas aussi autonomes et petits qu’ils le sont actuellement.

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Le chimiste est doué pour se raconter. Il déroule avec gourmandise les étapes de son parcours, de Fès à Singapour. Autant de chapitres d’un livre à écouter, jalonnés de personnes et de moments "extraordinaires", "inoubliables" et "fabuleux". Rachid Yazami grandit à Fès, à Hay Chouhada. Deuxième d’une fratrie de sept, il reçoit une éducation exigeante de son père, vendeur de produits laitiers. M. Yazami découvre un jour que l’instituteur de Rachid a oublié de sanctionner des fautes dans un devoir. Au second faux pas, il retire son fils de l’établissement, sous les yeux de l’enseignant en pleurs…

Le parcours de Yazami est marqué par l’intervention de plusieurs anges gardiens.

Le parcours de Yazami est marqué par l’intervention de plusieurs anges gardiens. L’un de ses professeurs de chimie aura montré sa voie au jeune lycéen. Écrasé de gêne dans la voiturette de l’enseignant, un jour qu’il a manqué le bus, Rachid s’entend dire : "Toi, tu seras chimiste !" L’un de ses oncles aura collecté l’argent nécessaire à l’achat du tant convoité billet d’avion pour la France, après le baccalauréat. Le directeur de sa classe de maths sup, à Rouen, l’aura dissuadé d’abandonner, alors que Rachid trouvait le ciel trop gris et ses camarades trop immatures.

Quatrième homme clé : le vieux professeur Watanabe, qui se sera époumoné de joie en croisant le thésard lors d’un congrès, en 1984. Sa découverte de l’anode a été très remarquée par le Japonais, qui l’invite à Kyoto – où il s’installera en 1988 pour deux ans. Le Fassi y apprend le japonais et trouve à la ville, comme à celle de Rouen, d’ailleurs, des similitudes quasi mystiques avec la cité de son enfance.

À l’université californienne Caltech, il devient alors "une poule à pondre des brevets, cinq à six par an", rit-il.

C’est un chercheur de la Nasa qui aura béni plus tard son destin en lui gardant un poste au chaud sept années durant. En 1992, jeune marié, futur père, Yazami préfère poursuivre ses travaux à Grenoble. C’est à cette époque qu’il développe des partenariats avec des entreprises, France Télécom ou Mitsubishi Chemical. En 2000, enfin, il s’installe dans le fameux bureau réservé de l’université californienne Caltech. "Je deviens alors une poule à pondre des brevets, cinq à six par an", rit-il de bon coeur.

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C’est là qu’un sixième homme l’aiguillera. "Le chef du bureau de la valorisation m’a conseillé de lancer ma propre société. J’ai d’abord considéré que c’était une mauvaise idée." Mais 20 millions de dollars (14,8 millions d’euros) sont rapidement rassemblés pour créer Contour Energy Systems en 2007. Yazami peut faire fleurir un talent transmis par sa mère couturière.

Elle recevait ses clientes à domicile et avait poussé son garçon de 10 ans à créer son petit commerce de bonbons. "Les Français sont très bons pour découvrir, mais pas pour vendre ! Le CNRS serait riche aujourd’hui s’il avait breveté ma découverte", analyse celui qui revendique la synergie entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, le public et le privé.

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21 février 2014. La faculté des sciences de l’université Mohammed-V-Agdal de Rabat reçoit l’enfant prodige. "L’amphi de 600 places était plein à craquer, se souvient le doyen, Saaïd Amzazi. Yazami a mis deux heures à quitter la salle, assailli par les ­questions et les félicitations des ­étudiants. C’est un modèle, une fierté nationale, pourtant extrêmement modeste." "J’ai déclenché un tsunami affectif ici", confirme l’intéressé, qui soutient les ambitions chimiques marocaines.

Yazami est consultant pour la société Managem, qui extrait du cobalt mais ne le commercialise pas encore. Il prépare aussi un partenariat pour des prototypes de ­batteries nouvelle génération entre les universités de Rabat et de Marrakech et l’Institut de recherche sur l’énergie de Singapour (Erian), qui l’emploie depuis 2010.

Très attaché au Maroc, le chercheur a célébré son prix Draper chez ses parents. "Une des plus belles fêtes de ma vie ! Cent vingt personnes ont répondu présent, des camarades d’école, des anciens de la famille. C’était bon de les embrasser, sentir leur odeur à nouveau !" Interrogé, enfin, sur sa relation à ses deux téléphones portables, il répond en souriant : "Mes batteries n’ont aucun respect pour moi, elles me lâchent régulièrement !"

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