« Menace existentielle »

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 24 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Ici même, la semaine dernière, j’ai soutenu que, malgré les apparences, notre monde était plus pacifique qu’il ne l’a jamais été.

Sauf ce malheureux Moyen-Orient, terre d’instabilité, théâtre d’innombrables conflits plus meurtriers les uns que les autres.

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Juillet 2014 : dans la région, plusieurs guerres se superposent, s’entrelacent et s’additionnent. Entre le moment où j’écris ces lignes et celui où vous les lirez, des centaines de morts, des milliers de blessés et d’énormes destructions auront alourdi le bilan.

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Dans les médias, les guerres de Syrie et d’Irak ont été supplantées par le conflit entre le Hamas, maître de Gaza depuis sept ans, et un État d’Israël gouverné par une coalition de droite autour du Likoud de Benyamin Netanyahou.

C’est le troisième en cinq ans et on l’a vu venir.

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L’épreuve de force, qui n’est pas encore terminée, se distingue des deux précédentes par la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les deux belligérants.

Le Hamas a perdu tous ses alliés dans la région (et ailleurs dans le monde). Il n’est soutenu par aucune force politique, ni aucun pays.

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Ceux-là mêmes qui sont proches de lui idéologiquement – la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, le Qatar, les islamistes tunisiens – ont brillé jusqu’ici par leur silence et leur absence.

Les Palestiniens de Cisjordanie n’ont pas bougé, comme si ceux qui étaient bombardés par l’armée israélienne n’étaient pas des leurs.

La rue arabe ? Calme plat.

L’Égypte de Sissi ? Elle a aidé Israël à ne pas aller trop loin. Mais a maintenu son blocus de Gaza et a refusé de dialoguer avec le Hamas, considéré comme un avatar des "Frères musulmans".

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Israël est allé à cette guerre seul et, notez-le, car c’est une première : les États-Unis, l’Europe et les alliés traditionnels de l’État hébreu ont gardé leurs distances. Certains se sont même dissociés d’Israël, qui a senti son isolement.

Le proche avenir montrera que la politique menée depuis plus de cinq ans par Netanyahou est en train de faire perdre à Israël son atout international le plus précieux : l’appui inconditionnel des gouvernements des États-Unis et de l’Europe occidentale ; la sympathie agissante de leurs peuples.

Nous verrons Netanyahou ou ses successeurs chercher à compenser cette perte en se rapprochant de la Russie et de l’Asie.

En conclusion de son éditorial du 17 juillet, le Financial Times écrivait ceci :

"La politique israélienne, l’occupation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie ont réduit l’Autorité palestinienne à l’impuissance, sapant sa crédibilité. Mais la réputation d’Israël souffre elle aussi de la situation et il serait illusoire de croire que le pays garde l’image d’une oasis de paix et de prospérité au milieu d’une région constamment à feu et à sang. Tant qu’ils dénieront aux Palestiniens la possibilité de bâtir un État viable, les Israéliens verront, eux aussi, leur image sur la scène internationale se dégrader."

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La plupart des observateurs sont d’accord avec Charles Cogan, ancien directeur de la CIA et bon connaisseur du Moyen-Orient, lorsqu’il écrit :

"Les négociations israélo-palestiniennes sous l’égide des États-Unis ayant échoué, nous sommes dans un vide. Depuis avril, il n’y a plus de forum pour discuter.

Les États-Unis imputent la responsabilité de l’échec des pourparlers à Israël. Les conséquences sont une frustration croissante des Palestiniens et une lassitude des États-Unis. L’avenir est très sombre, et tant qu’il y aura Netanyahou, il n’y aura pas de solution au conflit."

En Israël même, les ténors de l’establishment sécuritaire affirment que, contrairement à ce que soutient Netanyahou, l’Iran n’est pas "un danger existentiel" pour l’État hébreu ; ce sont les Palestiniens, ou plutôt l’incapacité à résoudre le problème palestinien, qui constituent la principale menace.

*

Chef du Mossad, le service israélien de renseignement responsable des actions clandestines, Tamir Pardo, nommé à ce poste à la fin de 2010 par Benyamin Netanyahou, a livré, le 5 juillet, son sentiment à un cercle restreint de trente chefs d’entreprise israéliens.

Pour que ses propos ne soient pas enregistrés, il a exigé que les téléphones cellulaires soient laissés à l’entrée de la pièce.

Selon les confidences recueillies auprès de ceux qui l’ont écouté, Pardo n’a pas hésité à dire ceci, qui contredit la position de Netanyahou, réitérée par lui semaine après semaine :

"La menace principale pour la sécurité d’Israël vient de son conflit avec les Palestiniens. C’est très certainement notre problème le plus important. Le nucléaire iranien ? Ce n’est même pas notre problème numéro deux. Si l’Iran parvenait à construire la bombe, je ne recommande à aucun Israélien de se précipiter pour obtenir un passeport d’un autre pays afin de s’y installer.

Un Iran nucléaire n’est pas une menace existentielle pour Israël. J’ai dit cela en 2011 et je le réaffirme.

L’expression de "menace existentielle" est d’ailleurs utilisée de façon inappropriée. Si quelqu’un dit qu’un Iran qui détiendrait l’arme nucléaire serait une menace pour l’existence d’Israël, il se trompe, en tout cas, il ne dit pas vrai."

En réalité, le chef actuel du Mossad ne fait que réitérer ce qu’avait affirmé avec la même force son prédécesseur, Meir Dagan. Tous deux prennent sciemment le contre-pied de leur Premier ministre, Benyamin Netanyahou.

Ce dernier n’a d’ailleurs ni sanctionné ni désavoué Tamir Pardo.

Tout juste a-t-il fait émettre par son cabinet une mise au point embarrassée :

"Parlant du nucléaire iranien, le chef du Mossad a bien dit qu’Israël doit tout faire pour empêcher l’Iran d’être en mesure d’acquérir l’arme nucléaire…"

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C’est l’objectif que se sont assigné les cinq Grands plus l’Allemagne qui négocient avec l’Iran pour cantonner son industrie nucléaire à la satisfaction de ses besoins civils.

Nous saurons ce 20 juillet si la négociation a des chances de réussir.

Mais même dans ce cas, Netanyahou s’arrangera pour que l’Iran et la Palestine lui permettent de maintenir "toutes les options sur la table".

La paix au Moyen-Orient n’est décidément pas à l’horizon.

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