Tchad : Hissène Habré et le fantôme de Hassan Djamous

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 25 avril 2014 Lecture : 3 minutes.

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1989, le commandant en chef des Forces armées nationales, Hassan Djamous, soupçonné par le président Hissène Habré de fomenter un complot pour le renverser, s’enfuit de N’Djamena. Se sachant surveillé et susceptible d’être arrêté à tout moment, le « comchef » part donc pied au plancher vers l’est, en direction du Darfour soudanais, à la tête d’une colonne de 4×4 et de 74 fidèles issus pour la plupart de l’ethnie zaghawa.

C’est ainsi que Djamous, ingénieur devenu stratège, rompt avec le régime de terreur de Hissène Habré. Ce faisant, il met sa vie en danger, ainsi que celle de ses proches. En particulier celle de ses cousins, Idriss Déby Itno (IDI), alors conseiller de Habré pour la défense et la sécurité, et Mahamat Itno, ministre de l’Intérieur. Si IDI et Itno n’avaient pas eux aussi quitté N’Djamena, le tyran paranoïaque leur aurait alors immanquablement fait payer la défection de Djamous. Car, au Tchad, les fidélités sont claniques. Les alliances se scellent ou se rompent avec l’assentiment des parents. Les deux cousins, Djamous et Déby, savent d’autant plus ce qu’ils risquent qu’ils connaissent bien Habré : en 1982, le trio avait chassé Goukouni Weddeye du pouvoir. Avec d’autres membres de sa famille, Idriss Déby Itno rejoint donc Djamous sur les routes de l’est sans attendre la visite des tortionnaires de la tristement célèbre Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique. Dans cette vaste étendue désertique, le groupe compte constituer – avec l’aide du Soudan – une armée assez forte pour tenter de renverser Habré.

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Pendant ce temps, à N’Djamena, le dictateur n’entend pas laisser se former une nouvelle rébellion et réunit sans attendre le meilleur de ses troupes pour donner la chasse aux insoumis. Le 12 avril 1989, au terme d’une course-poursuite harassante, le groupe est rattrapé en territoire soudanais. Après de violents combats, les pertes sont lourdes dans les deux camps. Trois soldats issus de la famille Habré périssent. Déby Itno parvient à s’échapper. Djamous est blessé, capturé et ramené à N’Djamena.

La suite de l’histoire est confuse. Mais lorsque les troupes d’IDI prennent la capitale, le 2 décembre 1990, une partie de l’horreur du régime est révélée. Exhumée des sinistres archives de la DDS. Dans le fatras du bureau de son directeur, on retrouve la photo d’un corps. «  »C’est Djamous, mon mari ! », criera sa veuve », raconte Mahamat Hassan Abakar dans Chronique d’une enquête criminelle nationale (L’Harmattan, 2006). Selon le rapport de la commission d’enquête, rendu public en 1991, « les différents témoignages recueillis sur le sort de Hassan Djamous concordent pour dire qu’il a été arrêté vivant avec une blessure à la jambe. Mais la manière dont ses bourreaux l’ont exposé et photographié en dit long. Le cadavre a été jeté par terre. Il est torse nu, porte juste un pantalon. Le visage est tuméfié et les yeux bouffis. Un soldat se tient debout à côté du cadavre. Toutes ces données reflétées par la photo confirment la thèse selon laquelle Djamous a succombé à la suite d’épouvantables tortures ».

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D’autres sources indiquent qu’il aurait été tué quelques heures seulement avant la fuite de Habré vers le Cameroun. Il aurait donc été détenu sept mois durant dans les cellules de la DDS.

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Vingt-cinq ans plus tard, les circonstances de sa mort demeurent un mystère. Peut-être va-t-on pouvoir enfin y voir plus clair lors du procès de Hissène Habré. Réfugié au Sénégal, ce dernier a été inculpé le 2 juillet 2013 par le parquet des Chambres africaines extraordinaires, créées par le Sénégal sous l’égide de l’Union africaine pour juger les crimes commis au Tchad sous sa présidence, de 1982 à 1990. L’État tchadien et un millier de familles se sont portés partie civile.

Dans l’imaginaire des Tchadiens, Djamous était bien plus qu’un homme politique ordinaire. Aujourd’hui encore, il incarne la figure du héros de guerre. Celui qui a bouté l’armée de Mouammar Kadhafi hors du pays en 1987. Victorieux à Fada, Bir Kora, Ouadi Doum, le commandant en chef Djamous reste celui qui mena l’attaque contre la base aérienne de Maaten al-Sarra, en territoire libyen, à 100 km de la frontière tchadienne. Plus de 1 000 soldats du « Guide » furent tués et nombre d’aéronefs détruits. La Libye abandonna la bande d’Aouzou. Et tout alla pour le mieux jusqu’au retour du comchef dans la capitale.

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Mais le pouvoir prend vite ombrage des héros. Djamous l’a payé de sa vie. En attendant que justice soit faite, ses anciens compagnons lui ont rendu hommage en donnant son nom à l’aéroport international de N’Djamena, la principale porte d’entrée du pays.

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