Maroc : Mohamed Abbadi, ni cheikh ni calife

Tourné vers la prédication, le nouveau chef d’Al Adl wal Ihsane n’est pas près de renier l’héritage politique d’Abdessalam Yassine.

Le secrétaire général de l’association islamiste. © Sipa

Le secrétaire général de l’association islamiste. © Sipa

Publié le 30 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

Djellaba claire, longue barbe blanche et calotte éternellement vissée sur la tête, le nouveau patron d’Al Adl wal Ihsane a la gueule de l’emploi. Mohamed Abbadi, nouveau « pape » de l’association fondée par Abdessalam Yassine, décédé le 13 décembre 2012, a été élu par ses pairs, le 24 décembre, à la tête de la Jamaa (« communauté »). Dès l’annonce du décès du cheikh, Abbadi avait en fait déjà assuré l’intérim, avant d’être désigné comme « secrétaire général », une fonction qui n’existait pas auparavant. La succession s’est faite sans heurt ni surprise, Abbadi étant le personnage le plus âgé et le plus consensuel après la disparition des premiers compagnons du cheikh : Ahmed El Mellakh et Mohamed Alaoui. Abdessalam Yassine garde le titre de guide suprême (mourchid’am), un indice supplémentaire de l’impossibilité de succéder entièrement au fondateur, tant Abdessalam Yassine représentait à la fois le chef spirituel sur le modèle confrérique, le père fondateur et charismatique et le mahdi, auteur de prophéties.

Plus qu’un simple mouvement politique et/ou religieux, la communauté des adlistes est fondée sur l’idéal du compagnon­nage, lui-même construit sur le modèle de la première communauté autour du prophète Mohammed. Et dans cette organisation très hiérarchisée, Abbadi avait réussi à se faire admettre dans le saint des saints : le conseil de guidance. Pour cette raison, il a écopé, en 1990, de deux ans de prison ferme. Première condamnation qui s’accompagne d’une mise à pied de l’Éducation nationale qui durera huit ans. Abbadi, né en 1949, a suivi une formation traditionnelle, dont une ijaza (licence) en fiqh qu’il prépare sous la direction du réputé cheikh Ben Seddiq de Tanger. Sa biographie officielle indique qu’il a appris le Coran à l’âge de 12 ans, puis déroule un parcours classique d’études islamiques, complété par les médailles en militantisme que constituent ses condamnations judiciaires et tracasseries administratives.

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Rédemption

Né à El Hoceima, Abbadi est affecté à Oujda, où il enseignera les sciences islamiques, mais le vrai tournant, c’est sa rencontre avec Abdessalam Yassine. Comme la majorité des membres de la Jamaa, Abbadi a tendance à mettre en scène, à surjouer peut-être, son entrée dans les ordres. Voici comment il raconte sa rédemption, dans un témoignage devenu célèbre parmi les adeptes d’Al Adl : « Après le baccalauréat, j’ai abandonné les études, je voulais la vérité, j’étais dans une situation de désespoir. J’ai vu beaucoup d’oulémas, j’ai rencontré des gens des mouvements islamiques. Je n’étais pas satisfait, mais le jour où j’ai rencontré le professeur Yassine, c’était une nouvelle naissance. J’étais comme un orphelin qui a vécu de grandes épreuves et qui retrouve son père et sa mère. »

Professeur de langue arabe puis de sciences islamiques, il s’installe donc à Oujda. Dans la région, l’une des plus pauvres du pays, la Tariqa Boutchichiya est très influente. Cette confrérie soufie est le berceau spirituel d’Abdessalam Yassine. Abbadi s’y impose comme un prédicateur respecté, fort d’une longue expérience dans les mosquées du pays. Après un séjour en prison, en 1984-1985, au cours duquel il continue de prêcher, le cheikh Yassine donne une nouvelle forme à son action publique. En 1987, il crée Al Adl wal Ihsane. L’association passe en quelques années du stade « groupusculaire » au rang de variable de poids dans l’équation marocaine. Début 1990, la police lance des arrestations tous azimuts : une quinzaine d’adeptes sont appréhendés à Kenitra et à Salé. Dans le lot, il y a le beau-frère de Yassine, Mounir Regragui, son gendre, Abdallah Chibani, mari de Nadia Yassine, mais surtout les cinq membres du conseil de guidance. Mohamed Abbadi et ses quatre compagnons sont condamnés à deux ans de prison ferme pour « appartenance à une association non déclarée » et « trouble à l’ordre public ». Ce bras de fer ne fait pas plier les adlistes, qui ressortent de prison auréolés d’un statut de martyr.

Prison

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Abbadi, le prédicateur, peu porté sur la politique, devient l’un des symboles de cette résistance. En 2000, il est à nouveau détenu, puis condamné à trois mois de prison avec sursis. En 2003, il écope de deux ans de prison, jugement annulé en appel. En 2006, le ministère de l’Intérieur interdit les journées portes ouvertes de l’association. Le domicile d’Abbadi est mis sous scellés, empêchant la tenue des majalis an-nasiha (séances d’exhortation) qu’il anime hebdomadairement. Le 12 janvier dernier, un sit-in organisé devant la maison oujdie du nouveau chef d’Al Adl a été encadré par un imposant cordon policier, et l’interdiction perdure. Pour ceux qui s’interrogent sur un changement de ligne politique, le slogan de la première conférence de presse d’Abbadi est clair : résistance et fidélité. Si Al Adl évolue vers la participation politique, ce sera dans le cadre de l’héritage yassinien. Abbadi n’a jamais fait partie du « cercle politique », l’instance dédiée au sein de la Jamaa. « Il laissera à d’autres le soin de gérer les relations avec le pouvoir », explique l’un de ses proches.

L’infante ne sera pas reine

Coqueluche des médias, la fille aînée du cheikh est en retrait, restant très discrète depuis la mort de son père en décembre 2012. En 2011, elle a subi une campagne de dénigrement en règle : des médias peu scrupuleux, notamment sur internet, ont relayé des images d’elle en compagnie d’un autre membre de la Jamaa, l’accusant d’adultère. La ficelle était grosse, mais le mal est fait. Selon l’une de ses proches, à cette cabale extérieure s’est ajoutée une fronde à l’intérieur d’Al Adl wal Ihsane. Après avoir réussi à fonder une section féminine, un projet ancien, Nadia Yassine a continué de subir le machisme d’autres membres influents de la Jamaa, qui lui avaient barré la route du conseil de guidance. Ils lui reprochaient alors de faire de l’ombre (en Occident) au porte-parole officiel, Fathallah Arsalane. Y.A.A.

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