Photographie : Wahib Chehata, touche-à-tout aux doigts d’or

Passionné de dessin et de peinture, photographe compulsif, patron de presse, directeur artistique et réalisateur, ce fils d’immigrés tunisiens est un véritable entrepreneur de l’image.

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 8 avril 2013 Lecture : 3 minutes.

«Suffisme », « Alcooleptique », « Salamiste », « Souverain poncif »… « VOUS RAPPELLE QUE MON LIVRE EST TOUJOURS EN VENTE FORCÉE, TOUJOURS DISPO CHEZ MOI AVEC DÉDICACE, ALCOOL, BEDO, RENCONTRES COQUINES, OPPORTUNITÉ DE TRAVAIL »… Ne comptez pas sur Wahib Chehata pour publier ses souvenirs de vacances sur Facebook. Son truc, c’est plutôt la provocation. Déclarations misogynes ou racistes, assertions libertaires ou néologismes absurdes postés sur le mur de son profil comme un tagueur apposerait un graffiti sur le mobilier urbain, les saillies du photographe s’attaquent au « politiquement correct ». Un brin dada, un rien extravagant, ce quadragénaire solitaire à l’arrogance facile a choisi de faire du fameux réseau social un espace créatif de street art. Il y présente ses derniers travaux – des clichés d’hommes ou de femmes dont il déforme une partie du corps, le plus souvent le visage ; des paysages gigantesques (4 m x 2 m) d’apocalypse composés à partir de milliers de photographies méticuleusement détournées ; des portraits d’anonymes remettant au goût du jour le clair-obscur du Caravage…

C’est sur internet que l’artiste a contacté ces centaines d’inconnus qui ont participé au projet titanesque « Black & Light ». Son but ? Réaliser « une grande fresque contemporaine » à partir des portraits d’un millier de personnes, toutes de noir vêtues à partir de quelques accessoires proposés par l’artiste. Et démontrer, si besoin était, que tout le monde est photogénique, même si l’on n’a pas la taille mannequin et que l’on ne correspond pas aux canons des magazines de mode. Le défi est en passe d’être remporté, et les cinq cents premiers clichés sont d’ores et déjà publiés aux Éditions Amu Darya*. Mais ne dites surtout pas à l’artiste que ses oeuvres vous évoquent d’autres travaux similaires réalisés par des confrères non moins doués, Wahib Chehata ne souffre guère la comparaison tant il est persuadé de son talent.

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Boulimique de travail, ce forçat de l’image se consacre à la photographie jour et nuit, corps et âme, s’isolant dans son petit studio de la rue d’Aboukir (Paris) dont les rideaux de l’unique fenêtre sont rarement ouverts sur le tourbillon des livreurs du Sentier. Pour « Black & Light », il a shooté entre vingt et trente personnes par jour au point d’en ressentir « une souffrance physique ». Un rythme et un engagement incompatibles avec une vie de famille, reconnaît ce divorcé, père de deux enfants.

Passionné de dessin et de peinture, Wahib Chehata compose ses photographies comme un peintre son tableau. Lorsqu’il était adolescent, son père, ouvrier qualifié chez Renault, lui avait interdit de s’asseoir sur les bancs de la cité de Bagnolet dans laquelle la famille venue de Tunisie s’était installée quand il n’avait que 10 ans. Le jeune homme passa donc l’essentiel de son temps libre à arpenter la capitale et à fréquenter ses musées, à commencer par celui de la Marine.

Dans ses portraits, Chehata concentre la lumière sur « l’essentiel » : le visage et les yeux. « Je tiens à ce que soit gommée toute référence sociale, ethnique, temporelle… Je construis ainsi des personnages qui deviennent acteurs d’une nouvelle mythologie » en revisitant, par exemple, le dernier repas du Christ et des apôtres. Un travail de mise en scène devenu la marque de fabrique de cet ancien dessinateur de presse qui a également immortalisé les plus grandes stars du 7e art et du rap pour Libération, Le Monde, Paris Match, Le Figaro Magazine, Télérama… Et dont les photos sont exposées dans les cinémas UFC en France.

Mais… « J’en ai eu marre, affirme-t-il, la presse veut toujours le même type de photos. » Wahib Chehata s’est alors mis à son compte et a lancé, en 1998, Syndikat, un magazine de rap, puis deux ans plus tard Score afin de concurrencer le mensuel de cinéma Première. Le voilà patron de presse. Pas de quoi l’inquiéter, puisque c’est un univers qu’il connaît bien depuis qu’il a aidé son oncle maternel à la tête d’un périodique pornographique. Il peut ainsi s’amuser à saisir Monica Bellucci avec un oeil au beurre noir, Jean-Claude Van Damme en plein saut de karaté dans le couloir d’un palace, ou encore Vincent Cassel incarnant Mesrine… Il confectionne quelques affiches de films, des pochettes d’albums, dont celle de Lipopette Bar pour Oxmo Puccino, et quelques clips. Il participe à la direction artistique de la série Maison close diffusée par Canal+. Et réalise actuellement son premier long-métrage, Les Chiens d’la casse, « un conte moderne, une histoire d’amour entre deux hommes ». Un nouveau challenge pour ce touche-à-tout aux doigts d’or et à l’oeil affûté.

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* Black & Light, de Wahib Chehata, éditions Amu Darya, 452 pages, 39 euros.

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Séverine Kodjo-Grandvaux

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