Festival de Fès – Alain Weber : « La musique est un peu une revanche pour l’Afrique »

Entretien avec Alain Weber, directeur artistique de la 21e édition du festival de Fès des musiques sacrées du monde.

Affiche de la 21e édition du Festival de Fès. © Festival de Fès des musiques sacrées du monde.

Affiche de la 21e édition du Festival de Fès. © Festival de Fès des musiques sacrées du monde.

Publié le 27 mai 2015 Lecture : 6 minutes.

Durant les neufs jours de la 21e édition du Festival de Fès des musiques sacrées du monde du 22 au 30 mai 2015, l’Afrique et l’altérité sont les hôtes d’honneur d’une session qui est aussi un hommage vibrant à l‘une des quatre villes impériales du Maroc et à son rayonnement historique sur le continent. "Fès au miroir de l’Afrique" n’est pas un retour sur le passé, mais le témoignage du rayonnement de la cité en tant que maillon fort entre le Maghreb et le continent africain mais aussi de la position actuelle d’un pays  résolument tourné vers l’Afrique. Pour l’ouverture de cette manifestation, BaB Al Makina, impressionnante enclave dans les murailles de Fès, est devenue, par la magie des nouvelles technologies dont les effets de mapping, une lumineuse caisse de résonnance les stances musicales font écho aux rencontres avec l’autre et sa diversité que rapportent les récits de Léon l’Africain, campé par Saïd Taghmaoui. Alain Weber, metteur en scène du spectacle et également directeur artistique du festival, a déroulé les musiques de tradition du continent sur le rythme d’un conte mis en images. Bab Al Makina s’est muée tantôt en contreforts de l’Atlas, tantôt en désert où en savane ;  un voyage hors du temps presque initiatique qui part de Fès et y revient comme pour la sublimer.

Jeune Afrique : Le Festival des musiques sacrées du monde avait comme coutume de valoriser les musiques soufis,  le spectacle d’ouverture rompt avec cette habitude…

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Alain Weber : Le thème de l’Afrique s’est imposé à partir d’une réflexion collective prenant en compte, entre autres, la position politico économique actuelle du royaume. Nous souhaitions nous éloigner d’un spectacle purement soufi et l’idée d’un personnage fédérateur, en l’occurrence Hassen Al Wazzan dit Léon l’Africain, qui exprime les rapports établis entre l’Afrique et le Maroc, pays bien évidement africain, s’est imposée. Les routes commerciales tracées par les caravanes, se doublent de réseaux incroyables qui dépassent les objectifs diplomatiques. Que ce soit pour l’Orient ou pour l’Afrique, on ne se rend pas compte au moment où on parle de globalisation, que la communication, la culture et les échanges étaient d’une richesse inouïe déjà dans les temps anciens. Léon l’Africain, bien plus connu des occidentaux à cause de son nom et du livre d’Amin Maalouf, permettait de mettre en avant la ville de Fès en tant que ville sainte et cité phare de l’époque. On part de Fès pour y revenir à la fin du spectacle comme dans  une sorte de voyage un peu initiatique qui mène jusqu’à Tombouctou. Le prologue où le jeune Hassen Al Wazzan arrive d’Andalousie porte aussi cette emblématique de la grandeur de Fès à la fois érudite, attractive et formatrice ; pôle d’influence comme Marrakech pour islamiser divers points d’Afrique.

Comment se monte un tel spectacle total ?

Le plus intéressant dans ce travail a été de combiner la véritable racine africaine, on pourrait dire presque animiste, avec toute cette richesse du rapport à la nature, à l’écologie propre aux cultures restées en contact avec un certain environnement. Cela permettait de mettre en valeur autre chose que l’aspect soufi qui a été abondamment abordé à Fès. L’image de Sidi Ahmed Al Tijani, qui intervient à la fin, est finalement assez discrète ; elle est aussi symbolique puisque lui-même a été un élément de ces échanges du monde arabisé avec le reste de l’Afrique. Mais je souhaitais surtout introduire une dimension rituelle dans ce spectacle, notamment avec les masques de la lune dont l’expression tient à une ritualité autour de la transformation de la forme humaine en forme divine, surnaturelle ou animale. Mêlé le sacré à la spiritualité sans rester cantonnés dans du donner à voir.

Le spectacle est en français alors que sur scène le roi d’Ouarzazate se disait charmé par la musicalité de l’arabe qu’il ne comprenait pas. La langue d’un ancien dominant continue à faire lien entre les peuples ?

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Effectivement mais j’avais aussi une contrainte technique, nous voulions des sous titres en arabe mais nous avons abandonné l’idée tant ils ont été très lourds à gérer. 

N’avez-vous pas craint de froisser des susceptibilités ?

"La peur du sauvage" à la peau dure

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Je savais être sur un terrain, entre autres politique, sensible ; j’en avais un peu peur mais la magie du spectacle a opéré. L’introduction de l’Islam en Afrique ne s’est pas faite en douceur, elle a aussi été violente. Les écrits des voyageurs dont Léon l’Africain l’attestent ; aujourd’hui on dirait même qu’ils sont parfois inacceptables. Quand on présente les choses de manière détachée, à travers un conte par exemple, on peut faire passer beaucoup de choses sans heurter et susciter de polémiques, les susceptibilités sont effacées. Mon objectif était de réconcilier la partie islamisée de l’Afrique avec son autre ritualité mais aussi interpeller certains milieux africains politiques et intellectuels qui tendent à renier le côté tribal et animiste surtout avec le discours tenu sur les arts premiers. Dans un sens "la peur du sauvage" à la peau dure ; je craignais cette lecture et que l’on ne me reproche de présenter l’Afrique sous cet angle alors que je tentais de rapprocher deux univers.

>> Lire aussi : Abderrafie Zouitene : "Fès est une ville qui porte un message de paix"

Le spectacle sublime Fès, pourquoi vous inspire-telle autant ?

Je suis quelqu’un de fasciné par l’Orient et j’ai une fascination pour cette ville malgré certaines difficultés. Mon cheval de bataille a toujours été les musiques de patrimoine et d’héritage, aussi ai-je la chance de travailler dans des lieux historiques absolument fabuleux. L’environnement est très important, la rencontre entre les musiques et les espaces donne une approche complètement différente. Ces mêmes musiques traditionnelles, que l’on peut voir, par exemple à Paris, dans des salles de spectacles aussi sophistiquées soient-elles, n’auront jamais le même rendu qu’ici. Les lieux historiques d’époque deviennent comme une enveloppe qui magnifie ces musiques. Au fond je suis aussi un grand nostalgique de ces époques ; j’ai l’impression de revivre un conte d’enfant. On pourrait m’accuser d’être un orientaliste occidental, mais tant pis, je m’en fiche. D’ailleurs la dernière phrase du spectacle est "la beauté n’a pas de prix" ; mélanger les espaces et la musique, en sortant des canons actuels, crée cette beauté, c’est assez magique. Avec un tel spectacle, on se sent pacifié ; on est un peu hors du temps. Je ne suis pas un homme de théâtre ; ces mises en scène que je fais sont simplement conçues à partir de musiques qui s’habillent de textes et de lumières. Une mise en espace de ces musiques.

Avec un spectacle simple mais enchanteur il semble que vous preniez le contre-pied de la globalisation.

Elle tue le rêve.

La programmation du festival n’est pas uniquement tournée vers l’Afrique…

Le festival a pour vocation d’être une ouverture sur le monde et je cherche à mettre en valeur les musiques de tradition. Après il faut trouver un équilibre, sans compromis, entre les musiques de patrimoine et de transmission et des formes plus urbanisées mais inspirées de traditions sachant que celles-ci soient se réinventent dans un contexte de mutations sociales, soient s’appauvrissent pour cette même raison. C’est le cas pour l’Afrique sans compter les effets de l’immigration et de l’exil qui créent des formes hybrides. La musique est un peu une revanche pour l’Afrique qui a été l’un des continents les plus opprimés humainement et écologiquement ; elle a  imposé ses musiques à la planète entière via l’Amérique. Toutes les musiques actuelles, pop, gospel, rock, hip-hop, jazz, blues, reggae sont basées sur un fond africain. C’est pourquoi sur le festival il y a ce rappel sous forme de clin d’œil comme avec  Faada Freddy, jeune chanteur de rap sénégalais qui s’est mis au gospel. Toute la magie d’un festival comme Fès est de pouvoir opérer un mélange subtil entre les formes post-traditionnelles et les racines des musiques.

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Propos recueillis à Fès par Frida Dahmani
 

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