En Afrique, la pauvreté est sexiste

Publié le 26 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

Angélique Kidjo est auteur compositeur, ambassadrice de bonne volonté d’Unicef, cofondatrice de la Fondation Batonga.

Alors que les ministres des finances africains se réunissent cette semaine à Abidjan, la croissance africaine est à nouveau sur toutes les lèvres. Certes c’est un formidable slogan mais nous n’évoluerons que trop peu et trop lentement si nous ne prenons pas conscience d’une autre réalité bien plus sombre : "la pauvreté est sexiste".  Nous savons que si nous investissons en faveur des femmes et des filles, ceci ne bénéficiera pas seulement à elles, mais  elles apporteront davantage à leurs familles et à leur communauté. Alors pourquoi en sommes-nous toujours là ? La capacité d’ascension de l’Afrique sera entravée tant qu’on ne remédiera pas à cette injustice, en soutenant pas  de toute urgence et de toutes nos forces,  nos femmes et nos filles les plus pauvres et les plus marginalisées.

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Le nouveau rapport DATA de ONE identifie les besoins financiers pour sortir les plus démunis, en particulier les femmes et les filles, de la pauvreté. Il énumère aussi les actions possibles afin de trouver les fonds nécessaires. Ses recommandations sont simples et efficaces. D’ailleurs, beaucoup d’entre elles sont soutenues par mon pays, le Bénin, qui préside le groupe des "pays les moins avancés". Voici ce qu’il faut en retenir.

Premièrement, il faudrait que chaque nation investisse un montant minimum pour garantir l’accès aux services essentiels aux couches les plus pauvres de la société. D’après les estimations, il faut en moyenne 300 à 500 dollars par personne et par an pour garantir un accès minimum à l’éducation, la santé, la nutrition, l’eau potable et l’hygiène publique pour tous.
Mon combat personnel, c’est l’éducation des filles ; et au-delà de la question de dignité humaine, je pense que tous les ministres des finances devraient être plus conscients du retour sur investissement que cette éducation peut apporter à toute la société. Cependant, de nombreux pays sont bien loin du niveau suffisant de dépenses dans ce secteur comme dans les autres services essentiels.

Nous devons nous tenir mutuellement responsables et aspirer à plus d’investissements sociaux.

Certes nous n’atteindrons pas cet objectif du jour au lendemain et chacun doit déterminer ses objectifs pour fournir des services de base appropriées au niveau national, mais ensemble nous devons nous tenir mutuellement responsables et aspirer à plus d’investissements sociaux.

La seconde recommandation du rapport propose des solutions pour trouver l’argent nécessaire à ces investissements dans les services de base. Nous devons avant tout compter sur nous-mêmes et nos partenaires. De notre côté, nous devons mieux gérer nos ressources naturelles, augmenter les revenus qui en découlent et mieux les dépenser. Nous devons exiger des normes plus strictes de la part du secteur privé, endiguer la corruption et encourager des investissements plus responsables grâce à une transparence des budgets et des contrats. Nous devons renforcer et mettre en œuvre des politiques fiscales justes et progressives pour augmenter nos recettes.

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Cependant, nous devons également demander à nos partenaires de cibler leur aide de manière plus judicieuse. J’ai été extrêmement surprise d’apprendre qu’à l’heure actuelle, moins d’un tiers de l’aide américaine ou britannique est dirigé vers les pays les moins avancés et seulement un quart pour la France et l’Allemagne. La plupart des contribuables de ces pays pensent probablement que la majorité de cette aide est donnée aux plus pauvres et non aux pays à moyen revenu. Ce déséquilibre doit être rectifié, les pays donateurs doivent allouer au moins la moitié de leur aide aux pays les moins avancés.

Enfin, un des plus grands défis au sein de nos nations africaines est de tenir nos dirigeants responsables de leurs engagements envers leurs concitoyens et de leur demander de rendre des comptes. Paradoxalement, ils ne savent pas eux-mêmes s’ils font correctement ou non leur travail car ils n’ont pas accès à des informations et des données de qualité. Mo Ibrahim s’est exprimé récemment sur le manque de données en Afrique et à quel point la souveraineté économique africaine serait grandement accrue si nous augmentions notre investissement dans la qualité de ces données. Les données sur les femmes et les filles les plus pauvres sont particulièrement obsolètes, ceci aggravant leur manque de représentation et d’autonomie.

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>> Lire aussi : Gouvernance en Afrique : votre pays est-il performant, selon l’indice Mo Ibrahim 2014 ?

Les données sur les femmes et les filles les plus pauvres sont particulièrement obsolètes.

Au niveau du village, les femmes doivent être émancipées pour pouvoir tenir le gouvernement local responsable de la fourniture des services de base. Comment peut-on savoir quels services apporter à des populations qui ne sont pas encore inscrites dans des bases de données gouvernementales officielles, quand leur naissance, leur mort et leur existence ne sont pas enregistrées ? Une révolution des données est essentielle pour soutenir la plus que nécessaire marche vers l’égalité des sexes.

Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais l’Afrique joue un rôle prépondérant aux Nations Unies cette année. Dans quelques semaines, l’Éthiopie va accueillir une conférence internationale historique sur le financement du développement. Le Bénin dirige le groupe des pays les moins avancés.  L’Ouganda préside l’assemblée générale des Nations unies. Enfin, l’Afrique du Sud dirige le Groupe des 77 de l’ONU et organise le sommet des BRICS, le Kenya et la Tanzanie jouent aussi un rôle clé dans les institutions de l’ONU en ce moment.

Les dirigeants et les pays africains ont véritablement leur mot à dire sur la manière dont seront dépensés ces milliards de francs CFA et de dollars à l’échelle mondiale sur les quinze prochaines années, durée de vie des futurs Objectifs de développement durable. Il ne tient donc qu’à nous de prendre les choses en main. Actuellement, des millions de femmes et hommes à travers l’Afrique et le monde entier rejoignent des mouvements tels que celui initié il y a quelques semaines par neuf artistes africaines avec leur chanson "Strong girl". Nous exprimons notre solidarité et notre soutien pour que chaque fille africaine puisse réaliser ses rêves : aller à l’école, avoir accès à des soins de santé décents, avoir suffisamment à manger, avoir l’opportunité de vivre en toute dignité et contribuer au bonheur et à la prospérité de sa famille et de sa communauté. Lorsque nous réaliserons ces rêves, nous réaliserons ceux de tout notre continent.

>> Lire aussi : Angélique Kidjo : "Les femmes sont la colonne vertébrale de l’Afrique"

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