Le procès Habré, un tournant dans la justice africaine et la lutte contre l’impunité

Avocate au barreau du Tchad, présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH) et récipiendaire du Right Livelihood Award en 2011, Jacqueline Moudeina lutte depuis une quinzaine d’années pour que l’ancien président Hissène Habré réponde des accusations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de torture qui pèsent sur lui.

Jacqueline Moudeina, avocate au barreau du Tchad. © Karl Gabo/DR

Jacqueline Moudeina, avocate au barreau du Tchad. © Karl Gabo/DR

Publié le 26 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

Le 25 mars 2015, au Tchad, la Cour criminelle spéciale vient de mettre fin a un cauchemar. En effet, depuis le 26 octobre 2000, nous avons saisi le cabinet du premier juge d’instruction tchadien en déposant entre ses mains 57 plaintes individuelles et une collective contre les principaux collaborateurs et complices de l’ex-président Hissène Habré en les citant nommément.

Hissène Habré a gouverné le Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990 par la terreur. Il a créé la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), qui s’est révélée très vite être une machine de répression : 40 000 personnes ont trouvé la mort dans les geôles de la DDS, selon un rapport d’enquête ordonné par le gouvernement tchadien en 1992.

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Dans le cadre de notre lutte contre l’impunité, nous avons décidé de porter plainte contre Hissène Habré en février 2000 devant les juridictions du Sénégal, un pays où il vit en exil depuis sa fuite suite au coup d’État perpétré contre lui par Idriss Déby, actuel président.

Les deux procédures tchadienne et sénégalaise ont été un véritable chemin de croix. L’ancien président Wade non seulement ne voulait pas faire juger Hissène Habré au Sénégal, mais il avait aussi refusé d’autoriser son extradition en Belgique malgré plusieurs demandes de ce pays.

Au Tchad, la justice n’offrait aucune réponse à nos multiples démarches pour faire juger les sbires de l’ex-président dictateur. Nous ne devons notre salut qu’à l’arrivée au pouvoir de l’actuel président sénégalais, Macky Sall. Les négociations engagées entre le Sénégal et l’Union africaine se sont soldées par un accord permettant la création des Chambres africaines extraordinaires (CAE) à caractère international, évoluant au sein des juridictions sénégalaises et chargées de juger Hissène Habré et toutes personnes ayant commis des crimes relevant de la compétence desdites chambres du 7 juin 1982 au 1er décembre 2000 au Tchad.

Les juges de la commission d’instruction des CAE ont effectué quatre commissions rogatoires au Tchad dans le cadre de l’instruction relative aux plaintes des victimes. Leur travail vient de s’achever et ils ont rendu une ordonnance de renvoi devant la cour d’Assise des CAE. Nous attendons donc de nous retrouver très bientôt face à Hissène Habré devant cette juridiction.

C’est une grande leçon pour tous ceux qui persévèrent dans la répression aveugle de leurs populations.

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Pour ce qui est du Tchad, c’est la fin d’un cauchemar. Pendant plus de 20 ans, nous nous avons côtoyé au quotidien nos bourreaux sans avoir la moindre certitude qu’ils seraient jugés un jour, car ils étaient encore nombreux à occuper des postes à responsabilité, ce qui les rendait toujours dangereux pour les victimes et ceux qui les accompagnent.

Nombreuses sont les victimes à être décédées avant d’avoir obtenu justice. Aujourd’hui, il s’agit d’une grande victoire. Notre obstination et notre détermination ont trouvé gain de cause : une vingtaine de complices de Habré ont été condamnés à des peines allant de cinq ans de prison à la perpétuité. C’est une grande leçon pour tous ceux qui persévèrent dans la répression aveugle de leurs populations. L’impunité n’a pas droit de cité au Tchad.

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Lutter contre l’impunité est mon crédo. Je hais l’injustice et je crois fermement que ces femmes et hommes que je défends doivent être animes du même sentiment que moi pendant cette vingtaine d’année de quête de justice. Ils se sont sentis abandonnés par leur pays, le Tchad, qui n’a jamais daigné leur reconnaître leur statut de victime, ni présenter des excuses publiques, ect.

Quand je me suis retrouvée face a Hissène Habré avec deux victimes devant les juges d’instruction pour une audience de confrontation, j’ai mesuré pleinement mon rôle, qui est celui de porter la voix de ces innombrables "sans voix".

Pour moi et je crois, pour beaucoup d’autres militants, l’impunité est la principale cause des violations des droits de l’homme. Je suis convaincue que le jugement de Hissène Habré constituera un tournant dans la justice africaine et que cette jurisprudence garantira au Tchad la non répétition de ces violations massives, que cela aidera les dirigeants d’autres pays africains à mieux respecter ceux qu’ils sont censés gouverner. Pas exterminer.

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