Iran – Ali Ahani : « Nous nous sommes toujours défendu et n’avons jamais attaqué quiconque »

Conflit israélo-palestinien, Daesh, conflit au Yémen… L’ambassadeur d’Iran en France, Ali Ahani, répond aux questions de Jeune Afrique. Entretien.

Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France. © Laurent de Saint Périer

Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France. © Laurent de Saint Périer

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Publié le 27 avril 2015 Lecture : 6 minutes.

Sur le point de conclure avec l’Occident un accord historique sur son programme nucléaire, en première ligne dans le combat contre l’État islamique en Irak, soutien vital du régime syrien, parrain du puissant Hezbollah libanais et du Hamas palestinien qui contrôle Gaza, allié discret des révolutionnaires bahreïnis et de la milice houthiste qui s’est emparé du Yémen, l’Iran a vu les circonstances régionales lui apporter les occasions d’affirmer sa puissance cette dernière décennie. Et de Riyad à Jérusalem en passant par Washington, on l’accuse à grands cris d’ingérences pernicieuses, de volontés hégémoniques voire d’ambitions totalitaires. Ambassadeur d’Iran à Paris, Ali Ahani répond à ces accusations et livre à Jeune Afrique la vision qu’a son pays de la situation régionale.

Jeune Afrique : L’Iran, un acteur incontournable disent les uns, un État infréquentable facteur de déstabilisation disent les autres. Qui faut-il croire ?

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Ali Ahani : L’Iran a son influence au sein du monde islamique, des pays non alignés, ainsi que sur la scène internationale. Et c’est un acteur important qui a son poids dans cette région bien agitée. Notre stratégie est depuis toujours d’y chercher le calme et la stabilité parce que la paix va dans le sens de notre intérêt. Pourquoi irions-nous chercher la déstabilisation de cette région, comme on peut l’entendre ? Nous nous sommes toujours défendu mais n’avons jamais attaqué quiconque. À propos de l’invasion du Koweït, à propos des problèmes dans le Caucase, au Tadjikistan, en Afghanistan et en Irak,  nous avons toujours essayé de jouer un rôle constructif et stabilisateur. C’est vraiment notre stratégie plutôt que de mettre de l’huile sur le feu.

Israël vous accuse d’être une menace mondiale…

Le régime sioniste est inquiet du sérieux et de la constance de la politique de la République islamique d’Iran concernant la cause palestinienne, il déploie donc toute une propagande contre nous, pour provoquer l’iranophobie dans notre région et au-delà. Certains pays arabes se préoccupent aussi de la cause palestinienne mais le régime sioniste sait que le peuple iranien et son gouvernement sont particulièrement sensibles à la manière dont il se comporte avec les Palestiniens : les massacres qu’il commet de différentes façons, son inacceptable politique raciste et inhumaine. C’est notre constance dans ce soutien qui inquiète le régime sioniste. Regardez à Gaza, dans les autres points des territoires occupés et au Liban : le régime sioniste dispose de plusieurs centaines de têtes nucléaires mais il n’a pu faire face à la résistance libanaise et à la résistance palestinienne.

L’Iran soutient le Hamas palestinien mais ce soutien s’est dégradé ces dernières années avec des différends sur la Syrie. Ces relations se sont-elles réchauffées dernièrement ?

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Nous avons depuis longtemps des relations avec le Hamas et les autres groupes palestiniens qui s’efforcent de défendre leur cause et leur territoire. Le Hamas a aussi été soutenu par d’autres pays de la région et il y a eu des hauts et des bas à propos de leur regard sur l’Iran mais ils ont fini par bien comprendre la sincérité et le sérieux de l’Iran à leurs égards.

L’Iran n’attaque pas mais on l’accuse d’attaquer ses voisins indirectement, en créant ou en soutenant des groupes locaux militants voire paramilitaires…

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Nous croyons qu’il faut respecter ce principe sacré de la démocratie : une voix, un vote. Dans tous les pays du monde et particulièrement dans cette région agitée, si l’on respecte ce principe, beaucoup de crises seront réglées. Si nous soutenons le peuple à Bahreïn, cela ne signifie pas que nous y intervenons. Or vous avez pu y constater l’ingérence militaire de l’Arabie saoudite. Comment peuvent-ils dire que c’set notre soutien à la démocratie à Bahreïn qui a bouleversé ce pays ? On ne peut pas imposer une solution de l’extérieur ni aux Bahreïnis, ni aux Yéménites, ni aux Syriens ! Il faut les respecter et leur préparer le terrain de solutions politiques concertées. Telle est la politique que nous suivons à Bahreïn, comme au Yémen, au Liban ou en Syrie. C’est ça la réalité.

>> Lire aussi : Yémen : la coalition arabe menée par l’Arabie Saoudite annonce la fin des frappes aériennes

À votre avis, est-il acceptable de défendre une intervention militaire extérieure au Yémen, des bombardements des infrastructures locales mais aussi de populations civiles innocentes en se fondant sur le fait que le président démissionnaire du Yémen a demandé à l’armée d’un pays étranger d’attaquer ses opposants ? C’est injustifiable. Au lieu de faire attention à cette ingérence flagrante, l’on accuse l’Iran, c’est ridicule.

Vous dites soutenir la démocratie et vouloir favoriser le dialogue entre tous les groupes mais le fait est que l’Iran soutient des groupes issus des communautés chiites…

Est-ce que le Hamas est chiite ?

L’Iran fait tout de même preuve d’une solidarité chiite…

Oui, c’est tout à fait clair, mais en qui devons-nous placer notre espoir ? Au Conseil de Sécurité de l’Organisation des nations unies (CSNU) ? A certaines puissances occidentales ? Quelle est leur attitude ? Qu’ont-ils fait à propos du Yémen ? Dans la résolution du CSNU sur ce pays est-ce qu’il a-t-elle été juste de ne pas faire attention à l’intervention étrangère au Yémen, ni à l’arrêt des bombardements par des forces extérieures ? Qu’est-ce que cela signifie ? A qui demander le soutien ? Les chiites du Yémen représentent combien de pourcents de la population ? Ont-ils droit de vie ou non ? Faut-il les écraser ainsi ?

L’Iran ne soutient donc pas militairement les Houthistes ?

Non, nous l’avons démenti officiellement. Nous les soutenons politiquement, moralement et sur le plan humanitaire et il faut aller dans le sens de l’arrêt immédiat des attaques afin de faire parvenir l’aide humanitaire aux gens qui souffrent.

N’y a-t-il donc pas un conflit entre un croissant chiite et un arc sunnite ?

Il ne faut pas raisonner ainsi. À notre avis, sunnites comme chiites sont tous des musulmans. Nous croyons en un seul Dieu, un seul Coran et un seul Prophète. Il ne faut pas permettre à certains éléments extrémistes d’évoquer ce genre de distinctions. Bien entendu il y a certaines différences entre chiites et sunnites mais aller dans ce sens n’est pas du tout dans l’intérêt du monde islamique. Il faut que nous nous respections les uns les autres, coopérer dans l’intérêt du monde islamique. Nous n’allons pas dans le sens chiite parce que nous sommes chiites. Nous cherchons toujours à développer des relations étroites avec tous les pays musulmans qu’ils soient sunnites ou chiites. Et nous avons de bonnes relations avec la plupart des pays musulmans dont la majorité est sunnite.

Notre aide à l’Irak se fonde sur leur demande pour lutter contre Daesh, soyez sûrs que sans cette aide et la coopération de l’Iran, Daesh aurait été à Bagdad aujourd’hui ainsi qu’à Damas sans les efforts du Hezbollah et sans doute à Beyrouth même. C’est une menace non seulement pour la région mais aussi pour les pays hors de cette région. Il faut que la communauté internationale soit sérieuse dans la lutte contre Daesh et contre le terrorisme.

>> Lire aussi : État islamique : vivre le califat

Le grand rival régional de l’Iran est l’Arabie saoudite qui déploie un langage agressif vis-à-vis de votre pays…

Les Saoudiens se trompent en portant un tel regard et en insistant sur une telle rivalité. L’Iran et l’Arabie saoudite sont deux pays importants, deux acteurs majeurs dans cette région et dans le monde islamique. Il faut qu’ils essayent de résoudre leurs différences de vue, de trouver des domaines de coopération pour aider les différents pays de cette région, dans l’intérêt du monde islamique. C’est notre vision et nous sommes navrés d’être témoins de certaines attitudes, de certaines politiques de la part des Saoudiens qui se basent sur des calculs erronés. Il faut qu’ils soient réalistes et au lieu de penser en termes d’hostilité à l’égard de l’Iran, il faut qu’ils pensent en termes de coopération dans cette région pour jouer un rôle constructif.

Tel était le sens d’une visite inédite du ministre iranien des Affaires étrangères à Riyad. Ce geste a-t-il été suivi de rapprochements plus durables ?

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Rohani, il y a eu des gestes et même certains échanges pour aller dans le sens de la détente. Mais malheureusement il y a en Arabie saoudite certains éléments qui ne permettent pas d’aller dans le bon sens. Il faut être vigilant de ne pas être piégé. Une bonne relation entre ces deux puissances sera dans l’intérêt commun de l’un et de l’autre État.

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