Daesh à Mossoul : « C’est une véritable hécatombe pour les oeuvres du musée »

L’algérien Mounir Bouchenaki dirige aujourd’hui le Centre régional arabe pour le patrimoine mondial. Après les destructions opérées par l’État islamique au musée de Mossoul, il revient la situation dramatique du patrimoine culturel d’Irak et de Syrie.

Des jihadistes détruisent des oeuvres du musée de Mossoul. © AFP

Des jihadistes détruisent des oeuvres du musée de Mossoul. © AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 6 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Se lassait-on des exécutions de masse, des décapitations d’otages et des prisonniers de guerre brûlés vifs ? La dernière vidéo produite par la cellule de communication de l’État islamique présente un contenu plus "culturel". Sur fond d’hymnes religieux, ses zélateurs se déchaînent à coups de pieds, de masse et de marteau-piqueur sur des statues antiques exposées dans une galerie du musée de Mossoul puis sur des sculptures monumentales du site de Ninive, capitale de l’antique empire assyrien. Idoles vénérées par les "adorateurs de Satan", images polythéistes : pour les extrémistes jihadistes, ces œuvres uniques et millénaires doivent retourner à la poussière.

Vétéran de la protection du patrimoine, l’Algérien Mounir Bouchenaki dirige aujourd’hui le Centre régional arabe pour le Patrimoine mondial, créé à Bahreïn en 2012. En étroite collaboration avec l’Unesco, ce centre a pour priorité l’assistance aux sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril qui compte aujourd’hui la totalité des sites classés Unesco de Syrie et deux sites irakiens auxquels devraient très vite s’en ajouter d’autres. Effondré par les prédations de l’État islamique, Mounir Bouchenaki revient pour Jeune Afrique sur la situation dramatique du patrimoine culturel d’Irak et de Syrie.

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>> Lire aussi : La propagande de Daesh et le fantasme de la venue du Mahdi, "sauveur des musulmans"

Jeune Afrique: Peut-on évaluer l’ampleur et la nature des destructions opérées par Daesh au musée de Mossoul ?

Mounir Bouchenaki : Selon les informations que j’ai reçues de collègues irakiens, les destructions qui ont été montrées sur la vidéo diffusée par Daesh ne se déroulaient que dans la galerie du Musée de Mossoul qui abritait les sculptures assyriennes. Plusieurs chercheurs irakiens et des conservateurs du British Museum ont fait des analyses comparatives avec les objets qui proviennent des fouilles de Ninive et de Hatra et en ont conclu qu’il y avait, comme on l’a souligné, des copies parmi les sculptures détruites, mais qu’hélas la majorité d’entre elles étaient des originaux.

Les destructions vont au-delà des quelques œuvres brisées montrées sur la vidéo ?

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C’est une véritable hécatombe pour les œuvres de ce musée que je compare personnellement à ce que les Talibans avaient fait au musée et dans les réserves de Kaboul. J’en ai des photos saisissantes tout comme celles du musée de Mossoul et il a fallu des années d’efforts aux conservateurs afghans pour recoller les morceaux. Selon les estimations données par certains experts irakiens plus de 90% de la statuaire de Mossoul a été détruite…

Doit-on s’attendre à ce que l’ensemble des collections ait été anéantie ?

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La vidéo de Daesh s’est bien gardée de montrer les petits objets qui, selon toute vraisemblance, font l’objet de trafic illicite et servent à alimenter les caisses des troupes de ce mouvement extrémiste iconoclaste.

Ce mouvement extrémiste a décidé de procéder à une sorte de politique de "terre brûlée".

Au-delà de son message de propagande politico-religieuse, comment interpréter cette violence culturelle ?

Ce que l’on peut tirer comme conclusion provisoire est que ce mouvement extrémiste a décidé de procéder à une sorte de politique de "terre brûlée" en matière de vestiges du passé de l’Irak et de la Syrie. Ils doivent certainement savoir qu’ils n’auront pas d’avenir et comme des "enragés", ils procèdent à des destructions irréparables. On  l’a vu lorsqu’ils se sont attaqués aux sculptures monumentales de la cité de Ninive et aujourd’hui au site de Nimrud. 

Hatra, un des plus beaux sites d’Irak, n’est qu’à 110 km de Mossoul…

Je n’ose pas le penser, mais s’ils décident d’attaquer le site de Hatra, premier site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ce sera un autre "crime contre la culture" !

Comment parvenez-vous à agir sur des terrains en guerre comme la Syrie ?

Nous avons invité l’an dernier à Bahreïn le directeur général des antiquités et des musées  de Syrie, Dr. Maamoun Abdulkarim, et signé un accord pour le lancement d’un cycle de formation conduit avec l’Iccrom (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels) pour les collègues syriens. C’est ainsi que 22 experts syriens, responsables de sites et de musées, ont pu se rendre à Beyrouth en décembre 2014 pour deux semaines de formation organisées avec le  Bureau régional de l’Unesco. Elle a pour but d’enseigner à porter les "premiers secours au patrimoine culturel pendant les conflits". Ce cours a eu un grand retentissement en Syrie et on nous demande de le poursuivre.

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