Keba Keinde: Le conseiller des grands noms du capitalisme

Président-directeur général de Millennium Finance Corporation qu’il a fondée en 2005, ce Sénégalais de 42 ans est à la tête de la principale banque d’affaires du Golfe.

Publié le 25 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Dans les familles d’ingénieurs, le métier est un attribut qui se transmet de génération en génération. Fils du premier ingénieur sénégalais diplômé d’une grande école française, Keba Keinde le sait bien. Mais il a finalement dévié de cette voie toute tracée. Banquier d’affaires, spécialiste des introductions en Bourse et des fusions-acquisitions, il a fondé et dirige aujourd’hui l’une des banques d’affaires les plus actives du Golfe, Millennium Finance Corporation. Dans le petit monde de la finance internationale, cette institution est un ovni d’un nouveau genre : basée à Dubaï et principalement tournée vers le Sud quand ses consœurs de Londres ou de New York ne s’intéressent que de manière opportuniste aux pays émergents.

« Il est l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur banquier d’affaires que l’Afrique a produit », souligne l’Ivoirien Koné Dossongui, qui considère que les financiers africains de sa trempe se comptent sur les doigts d’une main. « Il a un carnet d’adresses extrêmement fourni et travaille aux Émirats, le centre financier du monde actuel », poursuit le patron du groupe Atlantique. À la tête d’une équipe d’une cinquantaine de banquiers venus du monde entier et d’une vingtaine d’employés, Keba Keinde a déjà conseillé quelques grands noms du capitalisme moyen-oriental et asiatique. Les géants des télécommunications Etisalat et Zain, le holding d’État Dubai Investment Corporation, l’opérateur portuaire DP World, le leader mondial de l’acier Arcelor Mittal ou le premier groupe privé du Maroc, l’ONA, font partie de ses clients. Depuis son bureau situé dans l’une des nombreuses tours que compte la capitale financière du Golfe, il rayonne dans la région et au-delà, voyageant 60 % de son temps, en Arabie saoudite, au Qatar ou au Koweït, bien entendu, mais aussi à Londres, New York ou Bombay.

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À 42 ans seulement, Keba Keinde est habitué aux succès précoces. Élève brillant, il quitte son lycée de Dakar dès 14 ans, remarqué pour ses qualités. Sélectionné au Royaume-Uni par le très élitiste Atlantic College, il prend pourtant la direction du prestigieux lycée parisien Louis-le-Grand. Son père, attaché au système éducatif français, souhaite qu’il en soit ainsi. Éloigné de sa famille, en pension chez les jésuites, il découvre alors la féroce concurrence que se livrent, dès le plus jeune âge, les meilleurs étudiants français. À 16 ans, il décroche son bac scientifique et poursuit, dans le même lycée, ses études dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Entré à Télécoms Paris, l’une des toutes premières écoles françaises, il en sort ingénieur en 1989. Comme papa. Et comme ses deux grands frères et sa sœur aînée. Là s’arrête la comparaison. Rompant avec la tradition familiale, il quitte le monde des ingénieurs après trois ans chez IBM, lassé d’un métier dont il sent qu’il n’est pas fait pour lui. « En 1992, j’ai opté pour un MBA à Boston, au MIT, explique-t-il. Cela m’a permis de prendre un virage dans ma carrière professionnelle. »

BNP Paribas ne répond pas

À l’époque, Keba Keinde rêve d’entrer à la Banque mondiale pour travailler sur des problématiques de développement. Il y fait un court passage avant de rejoindre Wall Street, le temple de la finance mondiale. Embauché par Lehman Brothers, à l’époque l’une des banques d’affaires les plus réputées au monde, il passe quatre ans à New York. Il retourne ensuite à la Banque mondiale, où il s’occupe des privatisations en Afrique. En 2001, la banque française BNP Paribas le remarque et le nomme directeur général en charge du Moyen-Orient, de l’Afrique, de la Turquie et de l’Iran. Il est alors en pleine ascension, conseille l’opérateur de télécoms Etisalat pour l’obtention de sa licence saoudienne (3 milliards de dollars), participe à la privatisation de Türk Telekom (1,9 milliard de dollars), vendu au saoudien Oger, assiste le gouvernement iranien pour la vente de sa deuxième licence de téléphonie mobile…

Aux premières loges pour vivre le boom du Moyen-Orient, Keba Keinde constate l’aspiration des entreprises du Golfe à devenir des opérateurs de classe mondiale. « À l’époque, il n’y avait pas de banque d’affaires spécialisée sur la région, qui soit capable d’accompagner réellement et dans la durée les groupes locaux, se rappelle-t-il. J’ai proposé à BNP Paribas de développer une structure spéciale, je n’ai jamais eu de réponse. » En toute logique, il cherche à réaliser son projet ailleurs. « Le président du conseil d’administration d’Etisalat était aussi ministre des Finances de Dubaï et avait également des responsabilités à Dubai Islamic Bank (DIB) », explique-t-il. DIB sera le premier soutien de Millennium Finance Corporation, en devenant son actionnaire historique aux côtés de tous les banquiers qui, en 2005, participent à sa création et sont largement associés au capital. Depuis, Millennium Finance a ouvert son capital au holding de la famille royale du Koweït (Kipco).

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À travailler sur des opérations de plusieurs milliards, à fréquenter quelques-uns des plus puissants patrons du capitalisme émergent, nombre d’hommes d’affaires auraient pu être gagnés par la folie des grandeurs. Pas Keba Keinde. Avec sa femme, sénégalaise comme lui, et leurs trois enfants, dont les deux derniers sont nés aux Émirats, il vit à Palm Jumeirah, cette île en forme de palmier mondialement célèbre, entièrement construite sur la mer et qui offre à quelques privilégiés des villas de rêve, les pieds dans l’eau. Pour autant, son comportement n’en laisse rien paraître. « Il est modeste et accessible malgré l’importance de ses fonctions », se rappelle l’un de ses clients. « Il se tient au courant de tous les dossiers mais il n’intervient qu’au moment où il sait que son expérience et ses relations peuvent les faire avancer », se souvient Amadou Hott, PDG d’UBA Capital, au Nigeria, qui a travaillé pendant près de trois ans avec lui.

Un drôle de mélange

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S’il a quitté le Sénégal depuis vingt-huit ans, le pays reste naturellement dans son cœur. « Ma famille est là-bas et mes frères et sœurs y travaillent tous dans le BTP. J’y retourne au moins deux fois par an et j’y vais parfois pour mon travail. » Au pays de la Teranga, le banquier d’affaires est connu, mais sans plus. Il porte le prénom de Keba Mbaye, célèbre magistrat, grand ami de son père. La famille Mbaye, dont Tidiane, le patron de la Sonatel, fait partie de ses amis. Certains se souviennent de Keba Keinde du temps où il était à la Banque mondiale puis chez BNP Paribas. Il a été impliqué dans quelques privatisations qui n’ont pas laissé que des bons souvenirs, comme celle de la Senelec. Quelques-uns admirent la réussite de celui qui accompagnait il y a peu l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal pour ses investissements au Sénégal. Ou qui conseille de grands noms du capitalisme africain, comme l’Ivoirien Koné Dossongui, patron du groupe Atlantique, ou le milliardaire nigérian Ali Dangote. Ils sont plus nombreux à se souvenir de ses prouesses musicales. En plus des sports automobiles, qu’il pratique dès qu’il peut sur les circuits de Dubaï, Keba Keinde est musicien. Amateur aujourd’hui, il fut hier chanteur professionnel. Le groupe de pop africaine qu’il avait formé alors avec d’autres étudiants de Télécoms Paris eut un vrai succès, réalisant deux albums qui furent très en vogue à Dakar. « Nous avions appelé le groupe Saf, ce qui signifie « épicé » en wolof, parce que nous étions un drôle de mélange, avec des membres venus de partout. »

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