Ligne de partage …

La mondialisation aurait dû la faire disparaître, mais elle semble, au contraire, l’avoir creusée et approfondie. Elle sépare le sud du nord de la planète, empêche ou tente d’empêcher les hommes et les femmes de circuler entre ces deux parties du monde inégalement développées.

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 29 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

À leur habitude, les États-Unis ont été les premiers à oser : il y a plus de dix ans, ils ont érigé à la frontière qui les sépare du Mexique un mur électronique. Long de 1 300 km, celui-ci est fort coûteux. Il est doté de 1 800 tours de surveillance, de milliers de caméras, est supervisé par quelque 18 000 agents. Sa fonction déclarée est d’arrêter le flot des migrants venus du Sud par dizaines voire par centaines de milliers.

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Ces derniers sont généralement mexicains ou, plus largement, latino-américains. La vingtaine de pays qui constituent l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud comptent près de 600 millions d’êtres humains. Attirés par l’éclat et la prospérité des États-Unis, leur grand voisin du Nord, de trop nombreux Latinos aspirent à y être admis ; décennie après décennie, leur ingéniosité aidant, nombre d’entre eux sont parvenus à franchir le mur de séparation au prix de risques inimaginables et de pertes considérables. Avec leurs enfants nés aux États-Unis, ils sont aujourd’hui plus de 10 millions de semi-clandestins en attente ou en cours de régularisation.

>> À lire aussi : Pour se protéger des Shebab, le Kenya veut ériger un mur

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Sous nos yeux, en ce moment même, les 28 pays de l’Union européenne – le pendant européen des États-Unis – sont en train d’ériger, à leur tour, face à l’Afrique, une nouvelle ligne de partage. Elle ne sera pas une barrière électronique mais un mur maritime, ou plutôt naval, au large de la Libye, pour empêcher les bateaux de migrants africains de prendre la direction de l’Europe.

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Les Européens ont entrepris d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui autoriserait des actions paramilitaires et des opérations navales visant les "passeurs" et leurs bateaux. Mais ils se réservent le droit d’agir sans l’aval de l’ONU si celle-ci tardait à le leur donner. Ces deux lignes de partage séparent en réalité deux mondes entre lesquels se sont développées de criantes différences.

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1) Niveau de vie et bien-être humain

Au Nord, plusieurs centaines de millions d’hommes et de femmes bénéficiaires de la révolution industrielle que leurs prédécesseurs ont accomplie disposent d’un revenu moyen annuel supérieur à 30 000 dollars ; au Sud, quelques milliards d’hommes et de femmes dont les ascendants ont raté le train de la révolution industrielle et qui, de ce fait, ont encore un revenu annuel avoisinant 3 000 dollars.

La différence, de 1 à 10 ou même parfois de 1 à 20, se traduit en matière de santé, d’éducation et d’espérance de vie : au Nord, presque tout le monde est éduqué, soigné, et bénéficie d’une espérance de vie supérieure à 70 ans ; au Sud, seule une petite minorité est dans ce cas. La majorité connaît le sort des "sous-développés".

 

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2) Démographie

La population de l’Europe s’est fortement accrue à partir de 1750 avec une envolée au XIXe siècle à la faveur des progrès de l’hygiène, de la médecine, de l’agriculture et de l’industrie (voir tableau). Le Tiers Monde, en particulier l’Afrique et l’Asie, connaît à partir de 1950 une très vigoureuse croissance démographique, qui se poursuit aujourd’hui encore en Afrique subsaharienne.

 

 

Évolution générale de la population mondiale (en millions) * Forte croissance en Europe et aux États-Unis ** Très forte croissance au Sud entre 1950 et 1980 et au-delà

Au XXe siècle, la population mondiale a presque quadruplé, passant de 1,6 milliard en 1900 à 7 milliards en 2012. La baisse relative la plus forte affecte l’Europe ; la hausse la plus forte est celle de l’Afrique. Au début du XXe siècle, la France comptait 40 millions d’habitants, et les trois pays du Maghreb central, 10 millions. Ce rapport de 1 à 4 s’est modifié d’une manière spectaculaire pour être ramené, en ce début de XXIe siècle, à moins de 1 à 2. On prévoit que l’Algérie sera au niveau démographique de la France dans dix ans.

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Ajoutez à cela que l’Europe vieillit assez rapidement, et que, à l’exception de la France et du Royaume-Uni, sa population décroît. Dans moins de vingt ans, la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus dépassera celle des jeunes de moins de 15 ans. À l’opposé, dans la plupart des pays africains, l’âge moyen est inférieur à 20 ans ; il ne dépasse 30 ans qu’en Tunisie.

Au Sud, trop de jeunes, pas assez de travail et des ressources inexploitées. En Europe, en dépit d’un chômage conjoncturel de l’ordre de 10 % de la population active, un besoin aigu d’immigrants diagnostiqué par tous les économistes. Les différences entre les niveaux de vie et les disparités démographiques conjuguent leurs effets pour qu’on s’agglutine le long des lignes de partage qui séparent le sud du nord de la planète.

 

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Les États-Unis et l’Europe ont besoin de se protéger d’un "envahissement" non contrôlé de leur territoire par des "migrants" en quête de refuge ou de travail. Mais l’expérience montre que, terrestres ou maritimes, les murs qu’ils érigent à grands frais sont franchissables – et tuent. Ils ne sauraient donc être qu’une – mauvaise – solution provisoire. Où se trouve la bonne solution ? De toute évidence, nous sommes confrontés à l’un des grands problèmes de ce XXIe siècle, aussi important que le réchauffement climatique. Il mérite donc qu’on en traite d’Union européenne à Union africaine. Et que l’Organisation des Nations unies s’en saisisse pour faire en sorte que la circulation des hommes et des femmes d’un continent à l’autre ne soit ni anarchique ni entravée.

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