Kadhafi Circus

Nicolas Sarkozy et ses ministres l’ont vérifié à leurs dépens, du 10 au 15 décembre : à Paris ou ailleurs, le « Guide » libyen est incontrôlable !

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Un grand numéro de cirque. C’est ce à quoi s’est résumée l’interminable visite du numéro un libyen à Paris. À vrai dire, seuls ceux qui ne connaissaient pas Mouammar Kadhafi pouvaient s’imaginer que sa venue en terre française puisse ne pas tourner à la mascarade. Récit des temps forts d’un séjour qui aura tenu l’Hexagone en haleine cinq jours durant.

Folklore bédouin
Lundi 10 décembre, 14 h 45. Avec quarante minutes de retard, l’Airbus A-300-600 d’Afriqiyah en provenance de Lisbonne atterrit à Orly. Il pleut et le vent souffle en rafales. Frigorifiée, Michèle Alliot-Marie, la ministre de l’Intérieur, accueille le « Guide », en toge ocre et toque noire, au pied de l’appareil. Elle remplace au pied levé Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, jugé « pas assez bien » pour Kadhafi.
Ce dernier retrouve Nouri Mesmari, son chef du protocole, et Moussa Koussa, le chef de ses services secrets, dont la prestance et l’élégance contrastent avec le style hirsute et m’as-tu-vu du reste de la délégation. Le « Guide » s’engouffre dans une grande limousine Mercedes blanche (voir pages suivantes) et file vers l’Élysée où l’attend un Nicolas Sarkozy impatient de lui faire signer de mirobolants contrats. Les Libyens sont venus en force : pas moins de 395 accréditations ont été délivrées – du jamais-vu de mémoire de diplomate français. Ils sont dispatchés entre la résidence de Marigny, où Kadhafi a planté sa tente bédouine, le Concorde Lafayette et le Ritz.
L’entretien avec « Sarko » dure trois quarts d’heure. Raccompagné sur le perron, le « Guide » trébuche dans l’escalier et est retenu par le bras par Mesmari. Les photographes enragent : ils viennent de manquer la photo de l’année ! Quelques minutes plus tard, une autre berline, plus discrète, s’immobilise dans la cour du palais présidentiel : celle de Benyamin Netanyahou, l’ancien Premier ministre israélien, venu prendre le thé et discuter des affaires du monde avec le chef de l’État français, son ami.

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Rama Yade recadrée
La déclaration fracassante s’étale à la une du Parisien : « La France n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. » Elle est de Rama Yade, la secrétaire d’État aux Droits de l’homme, qui expliquera par la suite avoir voulu réagir à un fâcheux télescopage : le début de la visite de Kadhafi coïncide avec la célébration de la Journée mondiale des droits de l’homme. Yade ignorait sans doute une autre coïncidence : le 10 décembre 1993, Mansour Kikhia, un ancien ministre des Affaires étrangères libyen devenu opposant, était kidnappé, au Caire Son corps n’a jamais été retrouvé.
Le soir même, la jeune ministre est recadrée à la télévision par Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée : « Elle a exprimé une sensibilité, mais pas la voix de la France. » Le lendemain, la venue à l’Assemblée nationale du numéro un libyen, qualifiée de « provocation scandaleuse » par l’opposition, est boycottée par une majorité de députés. Il est vrai que le colonel n’a jamais fait mystère de son mépris pour le système parlementaire occidental

Au Ritz, le rendez-vous des amis
Plusieurs dizaines de personnalités triées sur le volet ont répondu, le 11 décembre, à l’invitation de Kadhafi : Roland Dumas et Hervé de Charette, deux anciens ministres des Affaires étrangères, Dominique Baudis, le président de l’Institut du monde arabe (IMA), Denis Tillinac, l’écrivain chiraquien, Tarak Ben Ammar, le producteur de cinéma franco-tunisien, Edmond Jouve, professeur à la Sorbonne et directeur de thèse d’Aïcha, la fille du « Guide ». Le journaliste Alexandre Adler, grippé, s’est fait excuser. Le député Patrick Ollier, compagnon de Michèle Alliot-Marie et président du groupe parlementaire France-Libye, joue les maîtres de cérémonie. Kadhafi se lance dans des digressions sur le christianisme et l’islam, puis, étrangement, sur les mines antipersonnel, dont il désapprouve le bannissement par la convention d’Ottawa.

Kermesse africaine à l’Unesco
C’est là, avenue de Ségur, ce même 11 décembre en fin d’après-midi, que le « Guide » a donné rendez-vous à ses supporteurs pour une rencontre avec la diaspora africaine. Battant le pavé, des griots et des femmes en boubou chantent les louanges du colonel, le « papa de l’Afrique ». Certains improvisent des danses au son des tam-tams, sous l’il amusé de diplomates libyens. À l’intérieur, disposés par milliers sur des présentoirs, des exemplaires en français du Livre vert, florilège de l’insondable pensée du « Guide ».
Deux bonnes heures plus tard, celui-ci arrive enfin, précédé de ses inévitables amazones. Très remonté, il accuse la France d’être une donneuse de leçons, de ne pas respecter les droits de l’homme et de maltraiter ses immigrés africains. L’allusion aux récents événements de Villiers-le-Bel est transparente. Elle donne des sueurs froides rétrospectives aux responsables du protocole du Quai d’Orsay. Qu’auraient-ils fait si, plutôt que de visiter le château de Versailles, Kadhafi avait exigé une excursion dans les banlieues chaudes ? Acquis d’avance, l’auditoire applaudit à tout rompre. « J’ai une association et je cherche des sponsors, me glisse mon voisin. Or les Libyens ont la réputation d’être très généreux » Passe Ahmed Gaddaf Eddam, le cousin du « Guide ». Mon voisin s’élance à sa poursuite pour lui remettre une lettre de doléances

Retour à l’Élysée
Mercredi 12 décembre, 16 h 40. Avec trois bons quarts d’heure de retard, Kadhafi, qui vient de s’offrir une promenade en bateau-mouche sur la Seine, débarque à l’Élysée. Sarkozy a sa mine des mauvais jours. Visiblement, il n’a pas digéré l’interview donnée la veille à France 2. Son invité y démentait que la question des droits de l’homme ait été abordée au cours de leur premier entretien. Le président français l’apprend à des dépens : Kadhafi est ingérable. Il obtient quand même de lui une condamnation des attentats d’Alger. Maigre consolation.

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Mouammar et les femmes
La confusion est totale, ce mercredi soir, à l’entrée du pavillon Gabriel, dans le 8e arrondissement. C’est là que le numéro un libyen a convié des femmes africaines pour une de ces rencontres qu’il affectionne. Mais l’organisation a vu trop petit. À leur grande stupéfaction, toutes les invitées munies d’un carton à en-tête du « Club des amis des États-Unis d’Afrique » sont refoulées. Certaines attendaient depuis près de trois heures. Seules les porteuses d’un bristol de l’ « Association pour le développement culturel, économique et social » (sic) sont autorisées à entrer. Elles auront le privilège (?) de l’entendre pérorer sur « les métiers qui ne conviennent pas aux femmes » : ceux de la mécanique et de la boucherie notamment Comme à l’Unesco, la foule bigarrée est un improbable mélange d’intellectuelles en mal de subventions et de banlieusardes voilées recrutées par le biais d’associations de quartier en cheville avec l’ambassade de la Jamahiriya. Cette fois, pas de Livres verts, mais un somptueux buffet concocté par le traiteur Potel et Chabot : petits-fours, foie gras et coquilles Saint-Jacques servies sur un lit de betteraves

Du Louvre à Versailles
Libre d’engagements officiels, Kadhafi consacre les derniers jours de sa visite à diverses activités culturelles : excursion au musée du Louvre, le 13 décembre, avec halte obligée devant la Joconde, le Radeau de la Méduse et la Vénus de Milo, puis, le lendemain, balade au château de Versailles. Le 15, le « Kadhafi circus » met le cap sur l’Espagne, dernière étape de sa tournée européenne, commencée à Lisbonne.
Auparavant, Abderrahman Chalgham, le ministre libyen des Affaires étrangères, fait une ultime mise au point devant la presse. Pour tirer à boulets rouges sur Bernard Kouchner, le chef de la diplomatie française, qui a ostensiblement boudé la visite : « Ne lui en déplaise, tonne-t-il, la France et la Libye sont amies et cette visite est une grande réussite. Ce monsieur Kouchner est un mal élevé. Ses déclarations sont étonnantes. Il vient chez nous, négocie avec nous, signe des accords et ne trouve rien à redire à notre hospitalité. Et puis, une fois rentré en France, il adopte un tout autre comportement. C’est risible. Il ne veut pas nous voir ? Qu’il se rassure, nous non plus ! »

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