Sale temps pour les chiens de guerre

Cerveau de l’opération qui, en mars 2004, devait renverser le président équatoguinéen Obiang Nguema, Simon Mann a écopé de trente-quatre ans de prison. Retour sur l’un des plus lamentables fiascos de l’histoire du mercenariat.

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 6 minutes.

Le mercenaire Simon Mann aura tout le temps de réfléchir sur les conditions du ratage de l’une des plus rocambolesques « barbouzeries » africaines. Pendant trente-quatre ans et quatre mois, très exactement. Le 7 juillet, l’ancien officier des forces spéciales britanniques (SAS) a été reconnu coupable par Carlos Mangué, le président du tribunal de Malabo, en Guinée équatoriale, d’être le cerveau du coup d’État qui, en mars 2004, devait renverser le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo en vue d’installer son principal opposant, Severo Moto Nsa.
Sur la base de « l’évidence », de la « gravité des faits » et de « l’absence de regrets » émanant de l’accusé, la justice équatoguinéenne s’est montrée particulièrement sévère. Sans compter la condamnation à verser 150 000 euros, cette peine d’emprisonnement est supérieure de trois ans à celle que le procureur José Olo Obono avait réclamée. Mann, certes, a reconnu tous les chefs d’inculpation et authentifié les documents présentés durant les quatre jours de son procès, du 17 au 20 juin. Mais, selon son avocat, Fabian Nguema, les faits incriminés justifiaient une sentence de dix ans. Pas davantage. « Il n’y a que l’intention d’une action dans ce dossier, et le sang n’a pas coulé. »
Lors de ses interrogatoires, Mann a joué sur cet argument pour obtenir la clémence du juge. Interviewé en avril dernier sur son lieu de détention, à la Black Beach Prison de Malabo, par les journalistes de la chaîne britannique Channel Four News, il avait affirmé n’être qu’un « exécutant » aux ordres « d’un cartel international » emmené par de hauts responsables britanniques, l’Espagne et l’Afrique du Sud, le tout sous le regard bienveillant des États-Unis. Mais la transparence comme la volonté de collaborer avec les autorités équatoguinéennes n’ont apparemment servi à rien.
Arrêté en mars 2004 sur l’aéroport de Harare, au Zimbabwe, le fondateur de l’agence paramilitaire privée Executive Outcomes devait s’envoler vers Malabo en compagnie de ­soixante-huit hommes à bord de deux avions chargés d’armes pour y retrouver le mercenaire sud-africain Nick du Toit. Une fois réussie, l’opération devait lui donner le commandement de la garde du nouveau régime et le porter à la tête de plusieurs sociétés de secteurs stratégiques comme le pétrole. Déjouée in extremis par le Zimbabwe, elle a tourné au fiasco. L’un des plus retentissants de l’histoire du mercenariat. Mann purgera quatre ans à la prison de Chikurubi, au Zimbabwe, avant d’être extradé vers Malabo, en janvier dernier.
Cette histoire est celle d’un naufrage. Celui des barbouzes et des dignes héros de l’écrivain Frederick Forsyth, qui sont aujourd’hui bien en peine de réussir une opération sur un terrain – l’Afrique – jadis privilégié. Services secrets africains de plus en plus aguerris, législations draconiennes pour éradiquer ces pratiques d’un autre âge, réticences des États eux-mêmes à reconnaître ces soldats de l’ombre Les « chiens de guerre » ne sont plus ce qu’ils étaient. La condamnation de l’ancien membre des SAS survient d’ailleurs quelques semaines après celle d’un autre comploteur malchanceux, l’Ivoirien Ibrahim Coulibaly, condamné début juin par la justice française à quatre années de prison dans le cadre d’une tentative d’assassinat du président Laurent Gbagbo.
Mais le cas Simon Mann est aussi et surtout l’histoire d’un lâchage au milieu du gué. Dans cette affaire, l’ancien officier qui a écopé pour tous les autres est l’arbre qui cache la forêt. Une forêt dense, suffocante, dont l’humus nauséabond a fait remonter des dizaines de noms plus ou moins connus sans que ceux-ci n’aient jamais été entendus ni inquiétés. Sont notamment cités les Britanniques Peter Mandelson, commissaire européen, Jack Straw, ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et Jeffrey Archer, ex-président du Parti conservateur. L’enquête a surtout révélé l’implication de Mark Thatcher, fils de l’ancien Premier ministre, ainsi que celle d’Eli Khalil, homme d’affaires d’origine libanaise né au Nigeria.

Milliardaire sulfureux
Selon l’édition du 8 juillet du quotidien britannique The Independent, le président Obiang Nguema n’a pas l’intention « de rester les bras croisés » et de laisser en paix ces deux hommes présentés par Mann comme les véritables instigateurs du coup et non comme de simples intermédiaires, contrairement à ce que ces derniers prétendent. « Nous avons attendu quatre ans pour obtenir l’extradition de Mann. Nous pouvons attendre autant pour eux », aurait affirmé le président équatoguinéen, qui veut les faire juger sur le territoire national. Alors qu’elles réclament l’extradition de Severo Moto, emprisonné à Madrid pour trafic d’armes, les autorités de Malabo ont également lancé, en mars dernier, un mandat d’arrêt international contre le fils de la Dame de fer. Arrêté au Cap en août 2004 pour violation de la loi sur le mercenariat, lord Thatcher a admis son implication, mais est retourné libre à Londres après le versement d’une caution de 3 millions de rands (environ 246 000 euros).
L’exécution de son mandat est donc fortement improbable. « Il n’y a aucun risque, explique l’un de ses défenseurs. La Grande-Bretagne n’est pas le Zimbabwe, mais un pays membre de l’Union européenne. Elle ne livrera jamais l’un de ses ressortissants à un pays où la peine de mort est encore appliquée et qui est stigmatisé en matière de droits de l’homme. »
La même considération s’applique-t-elle à Khalil ? Installé à Londres, ce dernier a toujours nié être « le bras exécuteur » du coup avorté en 2004. « Je n’aurais pas eu le talent de le planifier, mais, oui, j’ai financé les activités de Severo Moto et je lui ai présenté Simon Mann en raison de son expérience en matière de sécurité », a-t-il confié, le 8 juillet, au quotidien britannique The Daily Telegraph.
Il n’empêche. Ce milliardaire sulfureux aujourd’hui âgé de 62 ans et surnommé « le Cardinal » n’a cessé de défrayer la chronique africaine ces dernières années. Il a eu notamment ses entrées au sein des présidences angolaise, sénégalaise et béninoise (à l’époque de Kérékou), et fut surtout un proche de l’ancien dictateur nigérian Sani Abacha. Il a également été arrêté un court moment en France en 2002 à la demande du juge Renaud Van Ruymbeke pour son implication présumée dans l’affaire Elf. « Nous pouvons obtenir son jugement au Royaume-Uni, explique l’un des avocats de la Guinée équatoriale, car nous avons les preuves que des sommes ont été directement versées à Moto à partir de ses comptes bancaires. »

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« Wonga coup »
De cette épopée de pieds nickelés en rupture de ban, seul le photographe anglais James Brabazon semble finalement avoir tiré son épingle du jeu. Et pour cause. Dans un long article paru dans la même édition de The Independent, cet ancien reporter de guerre, qui a été avec Mann sur le théâtre de la guerre civile libérienne dans les années 1990, explique avec moult détails comment l’ancien officier l’avait persuadé de participer au « Wonga Coup » (le « coup pour un tas de fric »).
Son rôle était simple : filmer intégralement sa préparation et son exécution. Prêt à se joindre aux autres mercenaires en 2004, il n’a finalement pas fait partie de l’opération. La raison est aussi absurde que providentielle. Quelques jours avant son départ, James Brabazon s’est retrouvé dans l’impossibilité d’entrer en contact avec Mann, son téléphone portable ayant été volé.
Seule consolation, il pourra toujours proposer la réalisation d’un documentaire sur les mésaventures de son « ex-recruteur » dans la prison de Black Beach, d’où Simon Mann, 56 ans, ne devrait jamais ressortir. Sauf à vivre jusqu’à 90 ans ou à bénéficier d’une remise de peine exceptionnelle, voire d’une grâce présidentielle. Selon un diplomate en poste à Malabo, « il n’est pas impossible qu’Obiang le gracie en raison de sa disposition à coopérer. Mais le jugement de Khalil, à Malabo ou ailleurs, est un préalable pour les autorités de ce pays ».

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