Jean-Pierre Bemba

Le candidat battu au second tour de la présidentielle congolaise entend désormais enfiler l’habit de chef de file d’une opposition forte.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

La cause est entendue. Joseph Kabila, proclamé vainqueur de la présidentielle, a été investi le 6 décembre. Mais Jean-Pierre Bemba, son challenger malheureux, le candidat du Mouvement de libération du Congo (MLC) soutenu au second tour du scrutin par l’Union pour la nation, une coalition de partis qui se sont ralliés à lui au second tour de la présidentielle du 29 octobre, n’abdique pas pour autant toute ambition politique. Encore moins tout destin national. À 46 ans, l’enfant de l’Équateur, sa province natale, est décidé à ouvrir un nouveau chapitre de sa vie, le quatrième et peut-être le plus enthousiasmant, dans son pays où tout ou presque reste à faire. L’ancien homme d’affaires passé à la rébellion armée puis à l’un des fauteuils de vice-président du Congo entend désormais enfiler l’habit de chef de file de l’opposition. Et affiche clairement des intentions à la hauteur de son score : près de 42 % des suffrages. C’est ce capital qu’avec ses nouveaux amis de l’Union il espère faire fructifier dans les mois et les années à venir afin de représenter une véritable alternative pour le Congo. C’est ce que Jean-Pierre Bemba appelle « une opposition forte, démocratique et républicaine ». Explications.

Jeune Afrique : Vous avez reconnu la victoire de votre adversaire du second tour, Joseph Kabila
Jean-Pierre Bemba : Je veux bien passer sur les détails, mais vous allez un peu vite tout de même. Je ne suis pas d’accord avec les résultats. Ni avec la manière cavalière dont la Cour suprême de justice a rendu son jugement, qui n’a pas été motivé. Nous sommes frustrés. Mais j’ai privilégié l’intérêt supérieur de la nation en cherchant à éviter la violence et le chaos dans le pays. Je vais me situer dans une opposition forte et républicaine. Et l’ensemble de l’Union pour la nation nous a suivis dans cette démarche.
Avez-vous subi des pressions en ce sens de la part de votre entourage ou de la communauté internationale ?
Absolument pas. C’est une démarche personnelle, faite en mon âme et conscience, afin d’éviter le pire au pays.
Quels sont donc vos projets politiques ?
Dès aujourd’hui, il faut nous atteler à restructurer notre parti, le Mouvement de libération du Congo. Nous allons renforcer notre présence dans les zones où nous avons enregistré des résultats peu satisfaisants. Nous espérons nous y implanter pour obtenir une meilleure adhésion des populations. Il faut également restructurer l’Union, qui sera la plate-forme de l’opposition forte, démocratique et républicaine susceptible de nous présenter comme une alternative pour demain.
Serez-vous candidat dans cinq ans, à la prochaine présidentielle ?
Je crois que c’est encore un peu tôt. Ce n’est pas une obsession, il faut laisser un peu de temps au temps. Pour le moment, il s’agit de bien gérer un nombre important de provinces, probablement six sur les onze que compte le pays, de jouer pleinement notre rôle à l’Assemblée nationale comme dans le futur Sénat. L’Union compte déjà plus de 200 députés, dont quelque 80 du MLC.
Les résultats du scrutin présidentiel ont montré une véritable fracture électorale du pays
C’est bien regrettable. On a effectivement une scission Est-Ouest. Et c’est inquiétant dans la mesure où cela traduit peu ou prou un vote ethnolinguistique non confortable pour l’unité et la cohésion du pays. Il nous faut particulièrement y faire attention et éviter que cette fracture ne devienne profonde et préjudiciable. Mais c’est d’abord le rôle du président et de son gouvernement de s’impliquer, de se mettre à l’uvre pour trouver des solutions.
Attendez-vous quelque chose de précis de Joseph Kabila ?
Non, c’est à lui maintenant de dire clairement et exactement ce qu’il va faire de ce pays. Moi, en tout cas, là où j’ai pu éviter la violence et le chaos pour préserver l’unité du pays et sa cohésion, je l’ai fait. J’ai tout accepté au nom de la paix nationale, y compris l’inacceptable.
Est-il envisageable pour vous de travailler demain avec Kabila et son gouvernement ?
Non, je prône une opposition qui fait son travail en s’opposant et un pouvoir qui fait le sien en gouvernant. Je prône un jeu d’alternance.
Pensez-vous que c’était une erreur de laisser certains de vos partisans mener campagne sur le thème de la congolité ?
Jamais ! Ce slogan n’est jamais sorti de ma bouche. Dans mon parti, on n’en a pas parlé non plus. Maintenant, au second tour, les choses se sont passées trop rapidement, les coalitions se sont vite mises en place, et je ne peux être tenu pour responsable de ce que les uns ou les autres ont pu dire.
Vous êtes aussi un homme d’affaires
Je vous fais remarquer que je ne suis plus dans les affaires depuis pratiquement neuf ans, exactement depuis 1997. Mes intérêts ont été presque totalement anéantis à l’arrivée de l’AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, le mouvement de Laurent-Désiré Kabila qui a conquis le pouvoir en mai 1997, NDLR]. Ma compagnie de téléphonie cellulaire a été entièrement détruite
Allez-vous désarmer vos miliciens ?
Je n’ai pas de partisans armés ! J’ai une garde dûment répertoriée dans les forces de la République démocratique du Congo, qui émarge au budget de l’État et qui est mise à la disposition du vice-président.
Mais vous n’êtes plus vice-?président, aujourd’hui ?
Certes, mais ce sont les accords signés devant les Nations unies qui prévoient une telle structure pour ma protection personnelle. Sur ce point précis, je garde le même statut qu’hier.
Qu’espérez-vous désormais de la communauté internationale ?
Je voudrais d’abord les féliciter d’avoir eu le courage d’aider le pays à sortir de la division qu’il a connue, en acceptant de piloter les accords de Lusaka et de Sun City, de financer les élections. Je veux dire merci pour tout cela. Même si les résultats ne sont pas ceux escomptés par le peuple.
La Commission européenne envisage de doubler, pour la période 2008-2013, le volume de son aide à votre pays. Elle était de 201 millions d’euros pour 2002-2007
Voilà qui est une bonne nouvelle. J’applaudis tout ce qui est fait pour aider le pays à consolider ses acquis et à se développer.
Quel diagnostic faites-vous?de la situation actuelle dans votre pays ?
Il y a beaucoup à faire. Le Congo a un grand besoin de réformes importantes en matière économique, financière, judiciaire, sécuritaire, qu’il faut mener de manière courageuse. Il a également besoin d’une cure contre la fraude et la corruption car il lui faut des ressources supplémentaires pour faire face aux difficultés sociales de tous ordres et aux problèmes d’aménagement du territoire afin de développer ses infrastructures. Les attentes sont considérables de la part de la population. Ce qui suppose beaucoup de moyens. À mon niveau, il s’agira, dans l’opposition, de surveiller le travail du pouvoir et, si on veut bien m’écouter, de faire des propositions.

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