La traque et les juges

Suivi depuis plusieurs mois par les services de renseignements européens, l’ancien vice-président est désormais entre les mains d’une justice internationale qui doit encore faire ses preuves.

Publié le 2 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Samedi 24 mai, à 20 h 30, on sonne à la porte de la villa de Jean-Pierre Bemba à Rhode-Saint-Genèse, une banlieue huppée de Bruxelles qui compta Mobutu Sese Seko parmi ses habitants célèbres. Le président du Mouvement de libération du Congo (MLC), qui vient tout juste de s’entretenir avec François Mwemba, son numéro deux resté à Kinshasa, se retrouve face à une vingtaine de policiers. En deux temps, trois mouvements, son téléphone portable est arraché, puis une perquisition minutieuse commence dans sa villa. On le conduit à la police judiciaire tandis que son père Jeannot, son épouse Liliane et ses cinq enfants font une croix sur la soirée familiale qui se préparait.
Opération réussie pour Luis Moreno-Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) (voir p. 29) basée à La Haye, qui, deux jours auparavant, avait demandé aux juges d’émettre un mandat d’arrêt contre Jean-Pierre Bemba. Depuis le 9 mai, l’adversaire malheureux de Joseph Kabila à la présidentielle de 2006 était dans le viseur du « proc’ ». Ce dernier avait achevé ce jour-là une enquête – ouverte en mai 2007 – sur quelque cinq cents cas de viols commis à Bangui en 2002-2003. Les hommes du MLC, venus à la rescousse du chef de l’État centrafricain de l’époque, Ange-Félix Patassé, alors menacé par la tentative de coup d’État de François Bozizé, figurent parmi les présumés coupables. En toute logique, leur chef aussi. Considérant, après un an de travail, que son dossier est suffisamment nourri de preuves contre Bemba, Moreno-Ocampo n’a plus qu’à le faire arrêter par une police nationale, la CPI ne pouvant elle-même procéder à des arrestations. Encore faut-il trouver le bon moment pour émettre le mandat d’arrêtÂÂ
Depuis La Haye, une petite cellule d’enquêteurs traque Bemba. Elle observe ses allées et venues entre sa résidence de Faro, au Portugal, où il s’est exilé en avril 2007, et celle de Bruxelles, où, depuis septembre dernier, ses enfants sont scolarisés et vivent avec leur mère. L’ex-vice-président congolais voyage environ tous les quarante-cinq jours. Les enquêteurs savent quand il part en voyage aux États-Unis ou en France. Quand il se déplace dans son avion privé – actuellement stationné à Faro – et quand il voyage sur des lignes aériennes commerciales. À qui il parle, qui il voit, ce qu’il prévoit. En règle générale, ils disposent d’une visibilité de deux semaines sur son emploi du temps. Leurs sources d’information : les renseignements fournis par les États membres de la Cour pénale internationale, en l’occurrence le Portugal et la Belgique essentiellement, qui sont tenus de coopérer.

A deux doigts de la fuite
Au fait des moindres gesticulations de Bemba, la CPI préfère toutefois attendre avant d’émettre le mandat d’arrêt. « Les juges estiment que c’est impérieux seulement quand il y a risque de fuite », explique Béatrice Le Fraper, directrice de la coopération internationale auprès du procureur de la CPI. Or, le 22 mai, les enquêteurs s’inquiètent de ne plus avoir d’informations sur l’agenda de Bemba. Ils savent qu’il est à Bruxelles depuis une dizaine de jours, mais, au-delà, c’est le trou noir. Le risque qu’il prenne la fuite augmente. Organise-t-il un retour dans son pays pour l’élection du porte-parole de l’opposition, prévue le 28 mai et à laquelle il est candidat ? Songe-t-il à rendre visite au chef de l’État ougandais, Yoweri Museveni, ce fidèle ami qui lui a toujours fourni assistance ? Rien de sûrÂÂ Le poisson risque de filer d’une minute à l’autre pour une destination inconnue, alors qu’il est là, à portée de main, sur le territoire d’un État prêt à coopérer, où l’arrestation sera à coup sûr nette et sans bavure. C’est peut-être le moment où jamais de coffrer Bemba. Moreno-Ocampo alerte les juges, qui émettent le mandat d’arrêt le 23 mai au matin. Moins de trente-six heures plus tard, la proie est placée en détention préventive.
Derrière les barreaux, Bemba nourrit alors l’espoir d’une liberté provisoire. En vain. Après la plaidoirie de son avocat, maître Legros, dans la matinée du 28 mai, le juge d’instruction belge rend sa décision en fin d’après-midi : le sénateur de l’Équateur restera en détention préventive. Dès le lendemain, maître Legros fait appel devant la chambre des mises en accusation, qui a huit jours pour statuer. Si l’appel est rejeté, la CPI devra envoyer une demande de mandat d’arrêt définitif pour que Bemba soit transféré à La Haye, puis attendre une décision de la justice belge pour l’extradition. La procédure peut prendre deux mois.

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Le procès : une issue incertaine
Si Bemba est effectivement transféré à la CPI, les charges qui pèsent sur lui seront examinées. Pour son compatriote Thomas Lubanga, dont le procès doit commencer le 23 juin prochain, la procédure a duré deux mois. En cas de confirmation des charges, une nouvelle condition doit ensuite être remplie : la CPI doit s’assurer de la protection des victimes, qui risquent de subir des représailles. Dans l’affaire Lubanga, cette étape aura pris cinq mois. Bref, Bemba ne devrait pas passer à la barre avant le début de l’année 2009.
La suite est encore plus incertaine : la CPI n’ayant encore jamais rendu de jugement, impossible de déterminer avec précision quelle peine encourt Bemba. La justice internationale fournit toutefois quelques éléments de comparaison. En 1998, l’ex-bourgmestre rwandais Jean-Paul Akayesu a été condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à quatre-vingts ans d’emprisonnement pour viols et actes de violence sexuelle – la principale charge qui pèse contre Bemba. En 2007, un ancien soldat bosniaque a écopé de quinze ans pour torture et viols de femmes et de jeunes filles. Reste que c’est pour son autorité sur ses hommes du MLC, et non pour des actes commis de ses propres mains, que Bemba est dans la ligne de mire.

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