Après Bemba, qui ?

D’autres personnalités impliquées dans la guerre civile en Centrafrique pourraient être inculpées. À commencer par l’ancien président Ange-Félix Patassé.

Publié le 2 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Le dimanche 25 mai au réveil, Ange-Félix Patassé a allumé la radio, comme tous les jours. Le journaliste annonce l’arrestation de Jean-Pierre Bemba en Belgique. La surprise. L’étonnement. Le choc. Puis l’ancien président centrafricain se mure dans un silence officiel. Protégé par deux policiers togolais et quelques gardes du corps centrafricains, il ne sort plus guère de la grande maison qu’il habite à la cité de l’OUA, à Lomé, et passe son temps au téléphone. Des amis lui disent : « Fais attention. Cela risque de t’arriver aussi. » Imperturbable, il répond : « Non, le peuple centrafricain est derrière moi. » Mais en privé, il prépare fébrilement sa défense. Au cas où.
Il faut dire qu’Ange-Félix Patassé porte la responsabilité d’avoir personnellement appelé les troupes de Jean-Pierre Bemba à la rescousse en octobre 2002 pour repousser l’attaque des rebelles de François Bozizé sur Bangui. « À l’époque, il n’avait pas le choix », plaide un de ses proches. « Depuis les mutineries de 1996 et la tentative de putsch de mai 2001, la plupart des officiers des Faca (Forces armées centrafricaines) avaient déserté. » Patassé lui-même aime à dire : « Quand votre maison brûle, vous ne vous posez pas la question de savoir qui vient à votre secours. »
Surtout, aux yeux de beaucoup de Centrafricains, Patassé est coupable de n’avoir rien fait pour arrêter les crimes des « Banyamulenges » de Bemba. Savait-il ? « Oui », répond sans hésiter Me Goungaye Wanfiyo, le président de la LCDH (Ligue centrafricaine des droits de l’homme). « Les viols et les pillages n’ont pas duré quelques jours, mais plusieurs mois. D’abord à Bangui, puis en province. Dès la mi-novembre, les témoignages ont afflué. Il ne pouvait pas les ignorer. » Un ancien membre de l’état-major des Faca confie : « Moi, je ne pouvais pas supporter qu’ils violent nos filles et nos femmes. Je l’ai dit. Mais Patassé couvrait les Banyamulenges. Quant à mes supérieurs, ils se taisaient. C’étaient des lâches. Alors, je suis parti. »
L’ex-président centrafricain est-il allé jusqu’à encourager ces crimes ? À Bangui, certains le pensent. « Il voulait briser l’élan de la population dans les quartiers favorables à Bozizé », dit un observateur averti. « Arrêtons de le diaboliser. Patassé n’a pas la tête d’un violeur de femmes », répond l’un de ses proches. « Jamais je ne l’ai entendu donner des ordres en faveur d’une campagne de terreur. » Vrai ou faux ? En tout cas, le chef de l’État centrafricain savait être cynique. Un jour de novembre 2002, il n’hésita pas à déclarer : « La population centrafricaine vit en harmonie avec nos amis congolais. »
En fait, il semble qu’Ange-Félix Patassé ait donné carte blanche aux combattants de Jean-Pierre Bemba pour terroriser la population dans trois quartiers de la capitale que les rebelles avaient brièvement occupés en octobre 2002 : Boy-Rabé, Fou et Gobongo. Quand les miliciens congolais sont arrivés chez Michel Gbézéra Bria pour piller sa maison, celui-ci s’est exclamé : « Mais je suis le directeur de cabinet du président ! » Réponse d’un Congolais : « Dans cette zone, tout le monde est rebelle. »
Évidemment, le président Patassé n’était pas seul aux commandes. Tous les jours, le gouvernement de Martin Ziguélé devait trouver les fonds nécessaires pour distribuer des PGA (primes générales d’alimentation) à tous les miliciens congolais. À la tête des Faca, deux hommes jouaient un rôle clé : le général Yangongo, ministre délégué à la Défense, et le général Bombayéké, commandant de la garde présidentielle. Mais Ange-Félix Patassé se méfiait de ses officiers. Beaucoup avaient subi l’ascendant de leur ancien chef d’état-major, François Bozizé. Comme dit Me Goungaye Wanfiyo, « Patassé faisait plus confiance aux miliciens de Bemba qu’à ses propres troupes. »
Du coup, le président centrafricain préférait traiter directement par téléphone avec celui qu’il appelait « mon fils », Jean-Pierre Bemba. Un membre du protocole centrafricain se souvient : « Le président et Bemba se parlaient tous les jours ou presque. Du moins quand on arrivait à joindre Bemba sur son téléphone satellite. » Ensuite, Jean-Pierre Bemba appelait son commandant de terrain, le colonel Mustapha, et lui répercutait les décisions prises entre Patassé et lui. Avec le triumvirat Patassé-Bemba-Mustapha, l’ordre régnait à BanguiÂÂ
Outre ces trois hommes, deux autres figures de la scène centrafricaine sont aujourd’hui dans le collimateur. D’abord le colonel Abdoulaye Miskine. Sa milice pro-Patassé est accusée d’avoir massacré en novembre 2002 plusieurs dizaines de civils d’origine tchadienne à un marché au bétail de la sortie nord de Bangui. Ensuite le capitaine français Paul Barril. Officiellement chargé de la lutte antiterroriste à Bangui, l’ancien gendarme de l’Élysée assurait la protection personnelle du chef de l’État centrafricain. En avril 2006, la Cour de cassation centrafricaine a renvoyé devant la CPI Miskine et Barril, en compagnie de Patassé et Bemba.
Reste la question : pourquoi poursuivre les hommes du camp Patassé et pas ceux du camp Bozizé ? De fait, les rebelles de François Bozizé et leurs alliés tchadiens ont tué des civils, eux aussi. À Bossangoa, un prêtre et un journaliste ont été froidement assassinés. « Il faut que Patassé soit arrêté et jugé, mais il faut aussi que la CPI ouvre une enquête sur les exactions des rebelles de l’époque, affirme la LCDH. Sans parler des crimes qu’ils ont commis depuis leur arrivée au pouvoir, en mars 2003. » Patassé coupable ? « Peut-être, mais pas tout seul », disent beaucoup de Centrafricains.

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