Burundi : Bob Rugurika, « comeback kid »

À chaque fois que cet enquêteur aguerri met en cause la responsabilité du pouvoir burundais dans de troubles affaires, il est menacé et contraint à l’exil. Et à chaque fois il revient au pays.

Devant le siège de RPA, la radio privée qu’il dirige à Bujumbura. © Carl De Souza/AFP

Devant le siège de RPA, la radio privée qu’il dirige à Bujumbura. © Carl De Souza/AFP

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Publié le 28 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

Pour avoir révélé le scandale du Watergate, Bob Woodward et Carl Bernstein avaient reçu le prix Pulitzer. À la suite de ses révélations sur les dossiers troubles du régime Nkurunziza, Bob Rugurika, admirateur des deux journalistes américains d’investigation et directeur de la populaire Radio publique africaine (RPA), a dû quitter précipitamment le Burundi le 10 mai.

Et mettre le cap sur un pays d’Afrique de l’Est, où il vit dans la clandestinité. Né à Bujumbura de parents fonctionnaires, Bob Rugurika, 37 ans, entre à RPA comme stagiaire, en 2004, alors qu’il suit des études de droit. Il est pris en main par Alexis Sinduhije, le fondateur de cette radio privée qui s’efforce de réduire la fracture entre Hutus et Tutsis et adopte comme slogan "la Voix des sans-voix".

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Très vite, il devient chargé des enquêtes. Il sera nommé rédacteur en chef en 2010. Sa carrière épouse les révélations dérangeantes qui ont éclaboussé le règne de Pierre Nkurunziza. Celles concernant un trafic d’armes et de minerais avec la RD Congo, impliquant de hauts responsables des services de sécurité burundais, relayées par le militant anticorruption Ernest Manirumva, assassiné en 2009.

Celles visant la livraison d’armes aux milices Imbonerakure durant la campagne présidentielle de 2010, des détournements financiers au coeur de l’État ou encore les lourds soupçons entourant l’incendie, peut-être intentionnel, du marché de Bujumbura, en 2013. Partout Bob Rugurika voit la main du général Adolphe Nshimirimana, ancien responsable des services d’espionnage, considéré comme l’exécuteur des basses oeuvres de Nkurunziza.

La vie du journaliste se déroule selon un cycle invariable : enquête, révélations sur les ondes de RPA, menaces de mort émanant des cercles du pouvoir, puis exil temporaire. Fin 2010, après la campagne présidentielle, il avait dû se mettre au vert pendant trois mois. En 2012, après avoir révélé l’implication d’officiers hauts placés dans l’assassinat d’une quarantaine de civils à Gatumba en 2011 et dans l’assassinat de Manirumva, il avait fait ses valises pour Bruxelles, où il a installé son épouse et ses enfants.

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En liesse

En janvier 2015, alors que la présidentielle s’annonce, Rugurika met en cause la responsabilité du pouvoir dans l’assassinat de trois religieuses italiennes dans le Sud-Kivu en septembre 2014. Celles-ci auraient été les témoins involontaires de l’entraînement paramilitaire des milices Imbonerakure en RD Congo.

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À la manoeuvre, selon le journaliste, l’éternel général Adolphe. "J’ai reçu des menaces des services de renseignements : "Si tu ne renonces pas, c’est la prison ou la mort !"" confie-t-il à Jeune Afrique. Ce sera la prison. Incarcéré fin janvier, Rugurika est remis en liberté sous contrôle judiciaire un mois plus tard. Bujumbura, en liesse, fête sa sortie. Mais fin avril, quand Nkurunziza officialise sa troisième candidature, les radios privées dont RPA, prises dans la tempête, sont empêchées d’émettre.

Rugurika dort chaque nuit dans un lieu différent. "Des sources haut placées m’ont révélé que les forces de sécurité avaient reçu l’ordre de me tuer à vue", poursuit-il. Il quitte alors le Burundi. Depuis son exil, il continue de diriger ses journalistes, dont les bureaux ont été incendiés. "L’entourage direct du président a juré ma mort. Mais, dès que j’obtiens des garanties, je rentre au Burundi", assure celui que ses amis qualifient de tête brûlée. Bob Rugurika n’a jamais supporté l’exil. Quel qu’en soit le prix. 

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